Non ! Je veux me placer sur un terrain plus délimité : celui de notre procédure et plus globalement de la dégradation constatée depuis une vingtaine d'années, des conditions du débat parlementaire. A laquelle, faute peut-être d'en prendre vraiment conscience, aucune majorité n'a su apporter de véritable réponse.
Cette dégradation est perceptible à différents signes : spectaculaires comme le débat sur les retraites en a fourni ; plus diffus comme le relèvera l'observateur attentif : l'inflation du nombre des amendements par exemple, mais surtout la dégradation de la qualité des débats, le recul du respect de l'opposition par la majorité (et inversement) et une mauvaise foi partagée dans l'utilisation (et le contournement) du règlement.
On ne peut évidemment dissocier cette dégradation spécifique du travail parlementaire du contexte politique dans lequel il se produit.
Mais il faut chercher la cause ailleurs, en tout cas partiellement, et les solutions, dans un registre totalement novateur.
Pourquoi le débat parlementaire ne parvient-il plus à faire converger l'objectif de la majorité (faire voter dans des délais raisonnables l'arsenal législatif que comporte son programme) et celui de l'opposition (faire connaître les raisons de son désaccord et de ses éventuelles alternatives) ?
Il est probable, à bien y réfléchir, que l'archaïsme de nos procédures y est pour beaucoup : le débat général n'est qu'une longue litanie d'interventions monotones ; et l'examen des articles, le prétexte à un affrontement répétitif autour des mêmes arguments.
Or, la médiatisation du système a accentué l'intensité de la discussion poussant à la mise en scène. Elle débouche sur une nécessaire théâtralisation où les acteurs semblent les interprètes d'un répertoire convenu les obligeant en quelque sorte à « surjouer ». L’obsolescence des règles conduit à leur violation continue.
Cette "montée" de vapeur liée à la pression de l'opinion, ne faudrait-il pas la canaliser dans des tuyaux plus larges et plus longs qui permettraient d'en réguler l'énergie ?
Pourquoi ne pas retenir, par exemple, le principe britannique qui veut que la discussion générale précède l'examen en commission, permettant de séparer ce qui relève du débat d'opportunité, de l'expertise ? Une telle formule supposerait naturellement que le gouvernement, quel qu'il soit, accepte la "durée" nécessaire à un bon calendrier parlementaire. Produire une loi n'est pas question de rendement mais de méthode. Et l'on devrait admettre qu'un an soit nécessaire pour y parvenir.
Pourquoi ensuite, comme le propose notre collègue Garrigue, ne pas faire du "temps programmé" une arme de dissuasion ? Une sorte de 49-3, à l'usage du Président de l'Assemblée. Celui-ci pouvant en décider au vu du déroulement des débats et non à leur début, ce qui constituerait un moyen de pression sur l'opposition comme de temporisation à l'égard du Gouvernement ?
Encore faudrait-il, cependant, que la manière de gouverner changeât elle aussi. Si l’opposition est en effet amenée à « dramatiser » sa partition pour se faire entendre, n’est-ce pas parce que n’arrivent pas devant le Parlement des réformes prêtes, mûries, abouties par la concertation avec les acteurs sociaux, la pédagogie de l’opinion ? Le débat parlementaire n’est plus alors l’aboutissement d’un processus mais le carrefour où se rencontrent toutes les frustrations entretenues en amont. Ce choc ne peut être que brutal.
Force est de constater, en tout cas, que le nouveau règlement qui est issu de la réforme constitutionnelle a manqué son but. Il serait par conséquent utile de rouvrir la réflexion. C'est pourquoi je propose à notre ami Garrigue, s'il veut bien saisir la main que je lui tends, de constituer un groupe de travail ouvert à tous, sans considération d'appartenance, chargé de proposer des solutions d'intérêt commun.
Gaëtan Gorce
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