Quelles leçons tirer de ce premier tour? D'abord, le large intérêt manifesté par les Français pour une innovation politique qui fera date, à la condition naturellement que le second tour ne démente pas l'esprit du premier. Le débat de ce soir sera bien sûr, de ce point de vue, déterminant. Toute entorse au respect mutuel jusqu'alors pratiqué serait dramatique, et sans doute sanctionnée. Plus profondément, toute concession aux injonctions, aux pressions, aux propositions d'alliance venant des candidats éliminés serait dangereuse. Cela reviendrait en effet à transformer une élection destinée à choisir parmi les socialistes en une véritable pré-présidentielle, faisant de chaque participant le leader d'un courant, le propriétaire d'un capital électoral. Une telle dérive doit évidemment être combattue. Elle signifierait en effet, si elle se concrétisait, la fin des primaires telles que voulues par les militants pour les transformer en compétition entre des candidats invités de facto à constituer leur propre clan voire leur propre parti.
Au-delà de ces enseignements politiques, comment ne pas trouver aussi à cette dramaturgie qu'a été le premier tour une dimension théâtrale presque au sens tragique du terme.
Pour Ségolène Royal, dont il faut saluer la ténacité, et regretter sans doute aussi qu'elle n'ait pas souhaité plus tôt se remettre en question, la défaite a un goût d'amertume. Elle ne signifie pourtant pas la fin du combat. Son tempérament, la conviction qui est la sienne d'avoir un rôle à jouer, continueront à la porter une fois l'échec digéré. Son appel à voter pour François Hollande montre à cet égard sa lucidité alors que tout aurait pu légitimement la pousser à la résignation ou à l'exacerbation des passions.
Plus encore, le résultat de Manuel Valls mérite d'être évalué à son véritable étiage. Privé de relais sur le terrain, entouré seulement d'une équipe de fidèles, il a su imposer par sa maîtrise, son courage politique, la clarté de ses convictions, sa place et son influence pour l'avenir.
Reste Arnaud Montebourg, auquel sa médaille de bronze semble conférer une ambition olympique. Je salue son talent mais me méfie de ses arguments. C'est pourquoi je prends soin de séparer l'un des autres. Son succès n'est en creux que la conséquence d'un débat trop figé où les tenants d'un discours raisonnable ne sont pas parvenus à faire complètement la pédagogie que celui-ci implique et sans lequel il ne peut que refroidir les ardeurs. Les socialistes ont tout à gagner à refuser la démagogie, même si celle-ci est une facilité dont la gravité de la crise peut donner envie d'user. Parce que les Français sont en colère, ils sont prêts à suivre les piques qui se dressent. Mais ils savent bien au fond d'eux-mêmes qu'une telle démarche ne pourrait conduire qu'à d'éphémères satisfactions. Ce n'est pas parce que les réalités s'imposent à nous qu'elles nous interdisent d'agir. Elles nous obligent au contraire à le faire en respectant une méthode et un calendrier. Rien ne sera possible tant que nous n'aurons pas mis de l'ordre dans nos affaires, c'est-à-dire dans nos comptes publics. Cette remise en ordre ne constitue pas une fin en soi, mais un moyen à partir duquel construire un projet plus ambitieux. Si l'on veut engager une vraie réforme de l'éducation, de l'emploi, de la recherche, de notre système de protection sociale, ne faut-il pas avant toute chose avoir mis un terme aux inégalités, aux dysfonctionnements, aux facilités de gestion que traduisent fidèlement nos déficits? Ceux-ci ne sont pas la conséquence d'une générosité qui ne trouverait pas les ressources pour s'assumer, mais d'un refus de choisir prolongé depuis des années entre les priorités qui font justement une politique. Le discours de notre candidat devrait ainsi se dérouler en deux temps : ne rien promettre les deux ou trois premières années d'autre que l'effort et la remise à plat de nos systèmes publics, et s'engager ensuite sur cette base dans un processus de changement permettant de rendre notre société plus juste et notre économie plus performante. D'un tel programme, la réforme fiscale est sans aucun doute le fil conducteur. C'est par elle que les efforts demandés seront rendus supportables parce que justement partagés. C'est par elle que demain, nous dégagerons les ressources permettant d'entamer les projets innovants sans lesquels notre pays finira par épuiser sa confiance dans l'avenir et sa capacité d'exister. Il n'est pas question ici de gauche molle ni de gauche forte, de candidat normal ou non, mais simplement de sens de l'Etat, d'attachement au pays, pour réunir, au-delà des échéances électorales, les conditions de son redressement et de son futur. La vérité n'est pas l'ennemi de la volonté...
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