"C'est à moi de le faire et maintenant" (Jankelevitch)
1) Qu'est-ce que le courage politique ?
- Si le courage, c'est faire ce que l'on doit, au mépris des risques et de la peur, il n'existe que rapporté à une fin.
Et s'il répond du coup à un "impératif moral", que "doit" le politique ?
Rien d'autre, selon moi, que de : regarder la vérité en face (avoir "le courage de fixer le soleil" dit Bachelard) pour assurer la pérennité du collectif dont il a la charge !
Ce qui, en démocratie, revient à l'obligation de "dire" cette vérité, puisque cette vérité, et ce courage, doivent être par principe partagés ! Le courage est alors inséparable d'une pédagogie (de la crise, des événements, du processus qui conduira à retourner les choses) qui démontre par la raison et par la force de l'argumentation que l'issue dictée par le courage est bien celle qui permettra de relever le défi auquel par exemple le pays est confronté (l'on songe à l'appel du 18 juin et sa confiance dans la victoire finale promise par "une force mécanique supérieure").
Le courage relève donc aussi d'une éthique de l'engagement fondée sur le respect du citoyen et le respect des faits. Dans sa version moderne, il est une invitation à l'échange, au dialogue, à la remise en question, et même à l'innovation démocratique.
L'expression du courage politique est dès lors plus sereine que passionnée. Elle en appelle plus à l'intelligence qu'à l'exaltation : l'appel du 18 juin est moins un cri d'indignation qu'un argumentaire serré ; idem de Mendès en 54).
- Le courage politique, puisqu'il renvoie aux exigences du réel, implique la liberté.
D'analyse. Parce qu'il exige une vraie lucidité, il exclut le sectarisme ou l'aveuglement idéologique et ne peut s'accommoder de préjugés.
De parole ensuite : puisqu'il suppose la capacité de s'affranchir de la discipline de groupe ou de parti pour tenir bon sur ce que l'on croit juste en dépit des conformismes de son camp ou de l'opinion.
- Le courage politique a du coup pour but et surtout pour effet, de susciter le courage de
tous. (cf. Churchill pendant la bataille d'Angleterre). Le courage prend force d'exemple et consiste à rappeler chacun, et d'abord soi-même, à ses devoirs.
C'est un acte de rupture mais qui produit, du coup et paradoxalement, des solidarités. Le courage politique, parce qu'il rappelle le collectif (la Nation avec De Gaulle) à ce qu'il doit, est bien un acte de "re-mobilisation", qui redonne en quelque sorte le moral et une morale à tout un groupe (le cas de Mandela est à cet égard parfaitement illustratif).
- Le courage politique est, pour ces raisons, antithétique de la mise en scène narcissique (à la Sarkozy qui se donne en spectacle non en exemple), du cynisme populiste ou du pragmatisme matois qui, sous prétexte d'être sans préjugés, est surtout sans vision et sans principes. Le courage politique peut être le fait d'un Héros, au sens tragique, ou plutôt en démocratie, d'un Leader, mais jamais d'une star ou d'une idole. L'homme courageux s'impose aux circonstances, il n'en profite pas.
2) Mais le courage du politique qui dit la vérité suppose que le citoyen ait aussi celui de l'entendre. Ce qui questionne sa propre exigence, éthique et politique... comme les conditions du débat et de l'expression démocratiques (aujourd'hui abandonnées à la communication médiatique). Le courage est ainsi une invite adressée à chaque individu à se constituer en homme libre et en citoyen, ce qui suppose que la société fasse sa place â l'être plutôt qu'au paraître et les Institutions à la participation la plus large pour garantir la qualité de la délibération. Au même titre que chaque individu doit se sentir concerné par la question morale, il doit se sentir impliqué dans tout ce qui touche à la vie de la collectivité (et donc responsable).
Les Institutions sont alors en cause : si le courage est affaire de caractère, celui-ci n'a-t-il pas besoin d'être secondé ?
Dans un régime d'Assemblée, le courage peut ainsi n'avoir pour impact qu'un vote des 80 (Le 10 juillet 40) et du coup échouer à faire obstacle à l'esprit d'abandon. C'est ce qui devait conduire le Général à vouloir organiser la Cinquième autour du pouvoir, légitimé par le scrutin universel direct, d'un Chef. La méthode ne s'est cependant pas révélée infaillible si l'on en juge par ce qu'il est advenu depuis son départ...
3) Ce qui amène alors à une autre question. Peut-il en y avoir courage politique (ce que l'on doit aux autres que l'on gouverne ou représente) si ce qui fonde le courage moral (ce que l'on "se" doit) a disparu ? Autrement dit peut-on faire preuve de courage sans une idée, partagée, du courage ?
Parce que cette idée ne peut plus, dans nos sociétés, renvoyer à une "vérité révélée" ou absolue, sa définition sera nécessairement relative, formée des convictions, inévitablement différentes, que chacun s'est forgé. Ramenée à la politique, cette idée du courage ne pourra donc être, pour reprendre la formule de Mendès, "qu'une déontologie de la sincérité" que chaque dirigeant choisira de s'appliquer ou non. Mais d'autant plus nécessaire que dans une société laïcisée la fin se confond avec les moyens.
4) L'on peut dessiner, à partir de ce qui précède, une typologie du courage qui distinguera :
- le courage d'ostentation, qui consiste à prendre et à revendiquer cette posture avantageuse. Parce que le courage est comme l'humilité et s'évapore dès qu'on se l'attribue, il s'agit là d'un produit de contrebande, qui consistera le plus souvent à présenter comme courageux ce qui n'est en réalité qu'un discours démagogique visant à critiquer les élites auxquelles on appartient...au nom d'un peuple imaginé. Voyez Sarkozy ou Copé.
- le courage ordinaire, qui peut conduire à aller à l'encontre de ses propres amis, de son propre parti pour défendre envers et contre tout ce que l'on croit juste. Il est plutôt un acte de témoignage et s'exprime souvent par la démission ou l'entrée en dissidence : Mendès quittant le gouvernement Mollet pour dénoncer la torture, Depreux la SFIO à la même époque pour fonder le PSU. Ce type de courage peut produire des effets ambigus : Paul Faure qui rejoint Vichy par pacifisme est-il lâche ou courageux ? Et Romain Rolland en se plaçant en 14 au dessus de la mêlée ? Et Bidault rejoignant l'OAS ?
- le courage exemplaire. Celui-ci a pour effet de régler la question de la valeur du courage dans la mesure où il le considère à une seule aune : l'intérêt du Pays ! Il consiste non à préserver le juste mais l'intérêt public. Il suppose de regarder les réalités en face et de se débarrasser pour cela des préjugés idéologiques, des préoccupations du confort ou de l'intérêt personnels. Exemplaire, il l'est en ce sens qu'en rompant avec le conformisme des idées ou des comportements, il rappelle la communauté à elle-même, l'invite à se ressaisir. Il est donc en principe inséparable d'une éthique de l'engagement.
- enfin, le courage héroïque, celui-ci sort de notre champ puisqu'il ne s'adresse qu'à des personnages hors du commun qui se sauvent en agissant, plus qu'ils ne cherchent à sauver un peuple, une humanité dont ils ont conscience de se distinguer. (cf. Hannah Arendt Achille). (pour Hume le courage est la vertu des barbares. Churchill : la vertu qui garantit toutes les autres).
Dans les deux cas qui devraient nous occuper, (tant le courage d'ostentation n'en est pas vraiment un et le courage héroïque est inaccessible), le courage exige des vertus particulières : la lucidité qui permet de mesurer l'enjeu et le caractère qui donne la force de rompre. Si Raynaud en juin 40 ne fut pas courageux, c'est que sa lucidité n'était pas secondée par son caractère.
Veillons enfin à ne pas céder à la facilité qui consisterait à opposer le courage à l'habileté : l'un vient lorsque l'autre ne peut suffire !
5) Aussi est-ce bien de courage dont nous aurions le plus besoin aujourd'hui : si le politique doit regarder la vérité en face et la dire, le moment ne peut être que bien choisi ! D'autant que la confusion dans les esprits est aujourd'hui à son comble. C'est d'une rupture avec le discours convenu et rassurant que l'on peut espérer un sursaut du pays, un ressaisissement ! Et d'abord parce que ses dirigeants en ont beaucoup manqué hier, pratiquant une politique au rebours de leur discours: bien que déclaré en faillite, l'Etat a été prodigieusement endetté, les dépenses publiques augmentées et les réformes, comme celles des retraites, non financées.
Mais à ne pas dire toute la vérité sur la situation que la droite a laissé, la Gauche s'est aussi privée du moyen de convaincre nos concitoyens de la nécessité de mesures appropriées, de rappeler chacun à ses responsabilités et du coup à modérer ses revendications. Être courageux à moitié, c'est à dire tirer les conséquences budgétaires (et impopulaires), d'une situation dramatique sans l'expliquer complètement, revient à renoncer à donner au pays tout entier un élan que l'enjeu du redressement, c'est à dire l'appel au courage collectif, pourrait susciter !
Au total, le courage devrait aujourd'hui s'exprimer de deux façons : pour expliquer les raisons pour lesquelles une politique de redressement est nécessaire; et pour proposer une alternative au modèle de production et de consommation qui nous a précipité dans la crise. Les deux ne sont nullement exclusives l'une de l'autre, au point même que l'une devrait s'inscrire dans le prolongement de l'autre....
6) Mais pourquoi le courage se fait-il si rare ?
- parce que l'on n'y est pas préparé. Penser que tout est à portée de la main, comme son 1/4 h de notoriété, n'incite pas à se distinguer. Les générations passées savaient que le courage peut être nécessaire. Celles d'aujourd'hui comptent sur la manœuvre d'appareil.
- parce que les partis ne jouent pas leur rôle: ils sont les conservateurs d'un système et non les promoteurs d'un débat véritable. Il faut donc veiller à préserver tous les espaces qui donnent à un élu ou un militant les moyens d'échapper au conformisme interne (le scrutin majoritaire plutôt que la proportionnelle par exemple).
- parce que nos élites sont plus que jamais formées à la conformité. Or, le courage suppose de l'imagination pour croire ou voir que d'autres issues sont possibles.
"Regarder la vérité en face"; "le courage politique (...) renvoie aux exigences du réel"
De telles formules sont ambiguës. Elles sont du reste souvent utilisées par les "conservateurs du système" qui nient que "d'autres issues sont possibles".
En effet, tenir compte du réel n'interdit nullement de chercher à le transformer. Le propre de l'homme est d'ailleurs qu'il ne s'adapte pas au monde, contrairement à l'animal, mais qu'il adapte le monde à ses besoins et à ses désirs.
Ceux qui invoquent sans cesse "les exigences du réel" confondent généralement le réel et le possible et présupposent que ce qui n'est pas réel est impossible. Ils raisonnent généralement ainsi : des politiques alternatives à celles -malheureusement bien réelles- appliquées successivement par la droite et la gauche n'ont été mises en oeuvre nulle part, donc de telles politiques sont "irréalistes". Autre faute de raisonnement: la mondialisation est un fait; il faut donc s'y adapter. Mais c'est oublier qu'elle a été voulue et organisée et que ce que nous avons fait peut être défait.
Rédigé par : carlo | 26 juin 2013 à 09:24