Si vous n'avez pas encore entendu parler de l'Open Data, il est temps que vous vous en préoccupiez !
À l'origine, l'idée est excellente : sous un sigle barbare et anglicisé se cache le projet généreux de mettre à la disposition des citoyens les données informatisées détenues par les administrations publiques. Aussi s'inscrit-elle dans le prolongement d'une volonté de transparence déjà illustrée par la reconnaissance, voici plus de trente ans, d'un droit d'accès aux documents administratifs. Venu d'Outre-Atlantique, le mouvement s'est emparé de nos gouvernements : celui de François Fillon a impulsé, en 2011, la création d'une plate-forme nationale et celui de Jean-Marc Ayrault s'est dit, à peine installé, plein d'entrain pour la démarche. N'y aurait-il pas là en effet matière à favoriser développement économique et innovation technologique ? Accessible à tous, le stock d'informations détenu par la puissance publique pourrait en effet constituer une formidable source d'innovation et de plus-value !
Le problème, c'est qu'aveuglé par cet enthousiasme, aucun des promoteurs du projet n'a vu venir la révolution que celui-ci risque de provoquer et les menaces considérables qu'il représente déjà pour le respect de la vie privée.
Certes, aucune information "personnelle" détenue par les administrations ne sera en principe directement accessible : sauf que par recoupement des données brutes fournies par les tribunaux, les services d'état-civil ou ceux du cadastre, voire avec celles (le Big-Data) dont des entreprises sont déjà en possession (comme Google ou Facebook), on pourra très facilement reconstituer le profil de chacun d'entre nous. C'est même la perspective d'un fichage généralisée à des fins privées qui réapparaît ainsi subrepticement. Cette "ingénuité" numérique de nos décideurs fait en effet exploser le cadre juridique mis en place pour, par exemple, limiter la collecte des données personnelles à celles strictement nécessaires à l'accomplissement d'une finalité dont la légitimité est elle-même sujet à évaluation. De même, les croisements de fichiers, loin d'être entravés, seront au contraire favorisés. Sans que l'on puisse identifier non plus qui sera juridiquement le responsable du traitement.
Cette révolution juridique s'opère aujourd'hui en toute discrétion. Aucun de nos ministres, d'hier ou d'aujourd'hui, ne semble même s'en soucier. Puisque l'Administration continue à rendre accessibles, à flux continus, de plus en plus des données que détiennent ses services.
Aussi devons-nous, par exigence civique, les rappeler sans ménagement à leurs responsabilités ! Peut-on accepter que quiconque puisse disposer de ces données, les retraiter et les exploiter sans qu'aient été préalablement fixées les règles nécessaires pour garantir la protection des personnes rendues vulnérables par l'Etat lui-même au mépris des lois qu'il a fait voter et qu'il s'efforce de faire respecter par les entreprises privées ?
Aussi je demande au Gouvernement de stopper les développements de l'open-Data tant qu'un cadre juridique respectueux de la vie privée n'aura pas été arrêté. Et je vous invite à votre tour à vous mobiliser pour remettre un peu de plomb dans la tête de décideurs qui s'obstinent à ne voir qu'une partie des enjeux, économiques évidemment, liés au développement de la société numérique.
Ne rencontrons nous pas d'ailleurs la même difficulté face aux télé-services ? Beaucoup d'élus ou de responsables publics ne veulent y voir qu'un moyen de faciliter la vie quotidienne, ce qui est louable, de leurs administrés. Sans vouloir toujours prendre les précautions nécessaires pour les protéger de toute intrusion dans leur vie privée. Ce qui est plus que préoccupant, c'est que les règles de protection personnelle sont vécues par tous ceux qui veulent développer les applications numériques comme une contrainte et non comme une finalité.
Peut-être serait-il temps de se rappeler que "science sans conscience n'est que ruine de l'âme" et que numérique sans éthique peut signifier la fin de la vie privée ?