PROPOSITION DE LOI relative à la création d'un Observatoire national de la délinquance.
par MM. Jean-Marc AYRAULT, Christophe CARESCHE, Daniel VAILLANT, Gaëtan GORCE, Bruno Le ROUX, Paul QUILÈS, Mme Patricia ADAM, MM. Damien ALARY, Jean-Marie AUBRON, Jean-Paul BACQUET, Jean-Pierre BALLIGAND, Claude BARTOLONE, Jacques BASCOU, Christian BATAILLE, Jean-Claude BATEUX, Jean-Claude BEAUCHAUD, Jean-Louis BIANCO, Jean-Pierre BLAZY, Serge BLISKO, Patrick BLOCHE, Jean-Claude BOIS, Daniel BOISSERIE, Maxime BONO, Mme Danielle BOUSQUET, MM. François BROTTES, Marcel CABIDDU, Mmes Martine CARILLON-COUVREUR, Marie-Françoise CLERGEAU, M. Gilles COCQUEMPOT
Mesdames, Messieurs,
Régulièrement, en France, la publication de statistiques relatives à la délinquance fait l'objet de polémiques. Ces chiffres, qui devraient être interprétés avec sérieux et objectivité pour servir la lutte contre l'insécurité, sont malheureusement susceptibles d'être déformés et exploités, y compris à des fins politiciennes.
Si ces chiffres sont contestables, c'est parce que leur valeur scientifique n'est pas avérée. En effet, les outils statistiques utilisés actuellement dans notre pays ne permettent pas de mesurer l'évolution des phénomènes de délinquance au travers d'une approche scientifique. Une exigence de connaissance plus précise et de transparence impose la construction de véritables outils statistiques et de méthodes de travail plus fines. Il est, en outre, important de parvenir à mettre en relation les faits constatés par les services de police et de gendarmerie et leur traduction judiciaire pour apprécier l'efficacité et la continuité du traitement pénal.
C'est sur la base de ces constats qu'une mission parlementaire avait été confiée, en juillet 2001, à MM. Christophe Caresche et Robert Pandraud, relative à la création d'un observatoire national de la délinquance.
Les travaux de cette mission ont notamment mis en évidence les problèmes suivants :
1° La statistique de la délinquance présentée périodiquement par les pouvoirs publics résulte des faits constatés par les services de police et de gendarmerie qui sont traduits dans un outil appelé «état 4001», centralisé par la direction centrale de la police judiciaire au ministère de l'Intérieur. Cet état, utilisé depuis une trentaine d'années, a fait l'objet d'améliorations et de validations interministérielles, mais il ne couvre qu'en partie la délinquance. En effet, le souci premier des services n'était pas d'étudier ce phénomène mais de disposer de chiffres concernant leur activité. Aussi, l'évolution de la statistique publiée par le ministère de l'Intérieur reflète la propension des victimes à se plaindre autant que l'initiative des services de police et de la gendarmerie : deux éléments dont les variations se surajoutent à celle propre de la délinquance.
2° La présentation actuelle ne tient pas compte de toutes les sources statistiques disponibles : lui échappent notamment les contraventions, y compris celles de la cinquième classe (les plus graves) tels que les délits routiers; lui échappent également, en tout ou en partie, les faits relevés par d'autres administrations habilitées à constater des infractions, comme les douanes, le fisc, la répression des fraudes, la concurrence et consommation, etc.
Fait plus lourd de conséquence sans doute : cette statistique n'est que le premier maillon d'une chaîne d'information dont une part essentielle se situe au niveau de l'institution judiciaire. A l'heure actuelle, aucun rapprochement n'est réalisé entre les statistiques des ministères de l'Intérieur et de la Défense et celles de la Justice, en dehors de quelques efforts locaux menés dans le cadre des contrats locaux de sécurité.
3° Les statistiques judiciaires elles-mêmes ne traduisent pas l'ensemble du processus pénal dans sa continuité. Elles sont diverses (cadres du parquet casier judiciaire central), non reliées entre elles, souvent centrées sur des séquences particulières (activités des juridictions d'instruction, des tribunaux pour enfants, des mineurs suivis en justice, application des peines...), même si depuis plusieurs années un réel effort a été fait pour qu'elles traduisent les politiques pénales de façon plus satisfaisante. C'est ainsi que les motifs de classement sans suite font l'objet d'une statistique détaillée. Cependant, l'informatisation non homogène des juridictions fait que seules celles de la région parisienne disposent d'infocentres permettant de trier et de croiser des données, alors que cela n'est pas possible à l'heure actuelle dans les juridictions de province.
4° A l'exception du ministère de la Justice qui est doté d'une sous-direction de la statistique, les administrations n'ont pas de vrais services statistiques. Aussi, malgré des progrès au fil du temps, leurs instruments de mesure demeurent trop sommaires et leur collaboration pour le rapprochement des données et une tentative de présentation commune n'a pas été concluante.
5° La statistique de la délinquance présentée par le ministère de l'Intérieur n'est pas recoupée ou croisée avec d'autres instruments de mesure utilisés depuis longtemps dans les pays voisins de la France, comme les enquêtes de victimation qui permettent d'apprécier de façon plus large les faits de délinquance, les enquêtes auto-reportées qui recueillent les témoignages des auteurs d'infractions, les enquêtes sur l'insécurité qui obéissent à de nombreux critères et essaient de distinguer entre insécurité objective et sentiment d'insécurité.
La prise de conscience de ces déficiences avait conduit la mission à proposer la création d'un organisme spécialisé, indépendant et pluridisciplinaire, en relation avec les ministères et les administrations intéressés par le phénomène. Les grandes lignes de ces recommandations consensuelles sont reprises dans la présente proposition de loi que nous vous demandons d'adopter.
Cet organisme, constitutif d'une catégorie d'établissement public, aurait la qualité d'un établissement public administratif. La proposition de loi en définit les règles constructives et les missions. Son président du conseil d'administration serait nommé par décret en Conseil des ministres. Il serait assisté d'un conseil d'orientation. L'établissement aurait pour mission de rechercher, de collecter et d'analyser les données chiffrées de la délinquance et de mettre au point les indicateurs pertinents destinés à les analyser, ces informations faisant l'objet d'un rapport annuel.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
I. - Il est crée un établissement public de l'Etat à caractère administratif dénommé « Observatoire national de la délinquance », placé sous la tutelle des ministres de l'Intérieur, de la Justice, et de l'Économie, des Finances et de l'Industrie.
Il a pour mission d'élargir le champ des statistiques relatives à la délinquance et les croiser avec d'autres sources, mettre en relation les statistiques policières et judiciaires et faire évoluer la statistique 4001.
Pour cela, il doit notamment rechercher, collecter et analyser les données chiffrées de la délinquance, communiquées par les services de police et de gendarmerie, les autorités judiciaires, ainsi que toutes les administrations habilitées à constater des infractions (douanes, fisc, répression des fraudes, concurrence et consommation, etc.). Il doit également mener des enquêtes systématiques de victimation et des études sur l'insécurité. Il doit être un appui pour la production de statistiques locales par les instances locales.
Il met au point scientifiquement des indicateurs pertinents destinés à évaluer et analyser le phénomène de la délinquance.
Ces informations, transparentes et publiques, font l'objet d'un rapport annuel.
II. - L'Observatoire national de la délinquance est doté d'un conseil d'administration et d'un conseil d'orientation.
Le conseil d'administration est composé de représentants des administrations concernées, de parlementaires, de représentants d'associations d'élus locaux et de personnalités publiques qualifiées. Le président du conseil d'administration est nommé par décret en Conseil des ministres.
Le conseil d'orientation est composé de chercheurs, de personnalités qualifiées en raison de leur compétence, de représentants d'associations d'usagers et de représentants de la presse.
III. - Les services de l'établissement sont dirigés par un directeur nommé par décret. Le conseil d'administration assiste le président du conseil d'administration et le directeur de l'établissement sur les aspects scientifiques et techniques de l'activité de l'établissement.
IV - Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent article.
Article 2
La dépense pour l'Etat est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
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