Mes Cher(e)s Camarades,
La défaite est derrière nous.
Il faut se le dire et se le répéter. Il est temps désormais de mettre fin à la période de deuil. Tout au long des 6 derniers mois, nous avons ressassé les causes de notre échec, cherché à en mesurer les effets, analysé ses conséquences.
Pourtant, le véritable enjeu de Dijon n'est pas de solder les comptes de notre défaite, de régler des questions de pouvoir au sein du parti, voire de créer de nouvelles chapelles ou de nouveaux clans !
Le véritable enjeu de ce congrès c'est que les socialistes et la Gauche retrouvent l'esprit de reconquête. Nos militants, nos sympathisants, nos électeurs et demain les Français attendent de nous que nous préparions une alternative politique, économique et sociale. Il n'y a pas d'autre choix. Nous n'avons pas d'autre devoir.
Cela suppose, de notre part, un effort de réflexion collective et de clarification politique sans précédent. Nous ne serons pas trop à nous exprimer pour aider la Gauche à sortir de ses hésitations, de ses demi-mesures, de ses demi-teintes. Nous ne serons pas trop à nous exprimer pour garantir au débat qu'il porte bien sur l'essentiel et non par anticipation sur les échéances prochaines. Nous ne serons pas trop à nous exprimer pour permettre à notre parti d'échapper aux pesanteurs qui étouffent depuis une vingtaine d'années notre débat politique ; pour décoller les étiquettes qui discréditent "à priori" toute libre intiative. Pour ce qui nous concerne, nous n'avons pas besoin d'un "ticket de liberté" pour nous exprimer.
Nous voulons que ce congrès réussisse, qu'il soit le point de départ d'une Gauche conquérante. Pour y parvenir, 3 conditions sont à réunir.
I. D'abord, nous devons assumer clairement le bilan des années JOSPIN.
La Gauche a gouverné 5 ans. Les Verts, le PCF, les libéraux et les MDC y ont été associés. Toutes les sensibilités du parti y ont été représentées. Alors, comment accepter que l'on se livre sur ce bilan qui nous engage tous, et auquel nous avons tous collaboré, à une critique si intense, si démesurée, parfois sans retenue et souvent sans limite ? Nous devons assumer ce bilan avec ses réussites et ses échecs, par décence et par esprit de responsabilité aussi !
D'abord parce qu'il est à bien des égards remarquable.
Nous avons au cours de ces 5 ans, engagé une action résolue en faveur de la croissance et de l'emploi ; modifié l'idée que les Français pouvaient se faire de la politique en y introduisant une exigence inédite de rigueur et d'honnêteté ; enclenché de grandes réformes de société. Pour ma part, rapporteur de la loi sur la réduction du temps de travail, aux côtés de Martine AUBRY, je ne renie rien de ce que nous avons fait en ce domaine. Quel crédit pourrions-nous espérer conserver à brûler aujourd'hui ce que nous avons adoré hier ?
Parce qu'ensuite, le devoir d'opposition passe pour nous avant le droit d'inventaire.
La Gauche doit s'affirmer en s'opposant. Alors cessons de donner à la droite les arguments qu'elle retourne sans cesse contre nous, trouvant ses sources dans le florilège des citations dont beaucoup se sont visiblement fendus !
Réservons nos coups au Gouvernement Raffarin : contre le droit, le combat ! Avec la Gauche, le débat !
Enfin, parce que c'est la seule manière de tirer raisonnablement les leçons de notre défaite.
Pour comprendre notre échec, 2 raisons s'imposent à nous :
· D'abord, nous n'avons pas su changer à temps notre manière de gouverner ; nous n'avons pas sur remettre en question cette pratique du pouvoir qui fait tout partir du sommet, attend tout de l'Etat et s'épuise peu à peu sous l'usure des médias.
· Ensuite, nous n'avons pas su assumer totalement la nature de notre action. Depuis 20 ans, la Gauche a changé en profondeur sans jamais véritablement le revendiquer, sans jamais ouvertement l'assumer. C'est cela que nous avons payé en 2002. C'est ce malentendu que nous avons laissé s'installer, entre une vision de la Gauche héritée des années 70 et une action qui cherchait à nous placer résolument dans le 21ème siècle. Pour nous, la Gauche n'a pas perdu parce qu'elle n'était pas assez à gauche ; elle a perdu parce qu'elle n'était pas assez en phase avec l'attente des Français.
II. Notre responsabilité est, dès lors, d'inventer un socialisme de notre temps.
La première grande question à laquelle sont confrontés les socialistes, c'est bien de lier la modernisation de la Gauche et la reconquête des catégories populaires. Ne commettons pas l'erreur de ne retenir que l'un des termes de l'équation. Soit en privilégiant la nostalgie d'un socialisme d'hier ; soit pour renier ce qui fonde notre histoire et notre culture politique. La question la plus délicate que nous ayons à traiter est bien celle de la tradition et du changement, que nous devons conduire sans rupture et avec le souci permanent de faire évoluer nos valeurs sans nous couper de nos racines et de nos origines. Le socialisme n'est plus ce qu'il était. Ce constat s'impose à nous. Non pour s'y résigner, mais pour inventer un socialisme de notre temps qui réponde aux nouveaux défis de l'égalité et permette de définir les nouvelles frontières de la démocratie.
Le socialisme n'est pas mort avec le mur de Berlin. Il n'est pas à mettre au nombre des victimes de la mondialisation. Nul ne l'a renié au chant du coq. Il doit poursuivre et achever sa mue. Il n'a nul besoin d'entrer en résistance : il doit au contraire plus que jamais s'identifier au mouvement, à l'initiative, à la création et nourrir une vision offensive.
III. Ce qui veut dire que nous avons aujourd'hui un devoir d'invention et d'innovation.
Oui la Gauche doit changer !
Le vrai enjeu de ce congrès n'est pas entre le radicalisme et le réformisme mais entre l'innovation et la conservation, le changement et le conformisme.
Oui, la Gauche doit changer ! Et elle doit changer en profondeur.
Dépassons l'esprit de boutique qui, sous prétexte de repli identitaire, est en train de s'imposer dans toutes les formations de la Gauche plurielle, pour ouvrir au contraire à l'unité de la Gauche de nouveaux horizons. Refusons au sein même du PS les vieux réflexes, faisons exploser les vieilles chapelles qui confondent les enjeux du pouvoir avec ceux du débat ; combattons le confort des idées toute faites et des positions acquises. Récusons les schémas de pensée qui nous renvoient à des clivages oubliés, sans réel impact sur la réalité. Pour y parvenir, faisons en somme le choix d'agir dans une triple direction.
- D'abord sortons d'une conception hexagonale de la Gauche.
Situons clairement notre combat dans la perspective européenne ; acceptons le défi de l'élargissement pour faire progresser des institutions mieux intégrées et plus démocratiques ; surtout, dotons nous de la force politique nécessaire pour créer à gauche les majorités européennes de demain. Bousculons le Parti des socialistes européens et lançons un appel à un congrès constituant de la Gauche européenne.
- Portons ensuite le projet d'une société d'intégration.
Les socialistes sont en difficulté avec leurs valeurs qu'ils peinent à ajuster entre elles : égalité, liberté, justice. Nos concitoyens sont également en perte de repères. La seconde grande question qui nous est posée est bien de savoir comment reprendre à notre compte la problématique des droits et des devoirs, qui ne peut trouver de réponse qu'autour du droit à la dignité et à la responsabilité. C'est bien dans la perspective d'une société de l'intégration, où chacun puisse trouver sa place et se sentir reconnu, que nous devons placer notre action.
Cela passe tout d'abord par un nouveau pacte social qui réintègre celles et ceux de plus en plus nombreux, victimes de la précarité ; qui réactualise notre lutte contre toutes les formes de discrimination ; qui garantisse l'égalité des chances. Ne sous estimons pas, le sentiment de précarité, comme nous l'avons fait avec le sentiment d'insécurité, qui affecte tant de nos concitoyens et des salariés menacés par les plans de licenciement, déstabilisés par des emplois atypiques, fragilisés par les aléas professionnels, privés de soutien syndical dans les petites entreprises ; abandonnés dans des zones rurales désertées par les services publics. La solidarité est plus que jamais nécessaire, pour autant qu'elle passe d'une vision lourde et verticale de la société à la prise en compte des problèmes des individus et des territoires dans leur singularité.
Cela passe ensuite par une réhabilitation des règles collectives qui suscite une adhésion forte et entière des citoyens. Retissons le lien fort de la citoyenneté par le vote, rendu obligatoire, l'impôt désormais payé par tous et un service civil à vocation écologique et humanitaire établi dans un cadre national ou européen.
- Changeons notre manière de gouverner ;
Portons notre attention autant sur les moyens que sur les fins de notre action ; réformons l'Etat, donnons aux partenaires sociaux les cadres d'une nouvelle démocratie sociale ; favorisons en permanence le débat et la contradiction pour garder au pouvoir la tonicité et la vigilance que nous pouvons avoir dans l'opposition ; renforçons les droits du Parlement à l'évaluation et au contrôle. En bref, n'ayons qu'un mot d'ordre : INNOVONS !
- Enfin changeons le visage de notre parti.
Ne perdons pas l'élan né au lendemain du 21 avril, qui a conduit des milliers de nos concitoyens à nous rejoindre et à adhérer. Libérons la parole militante, faisons sauter les verrous des motions pour inventer une forme de débat qui permette l'expression la plus large, repoussons toutes les formes de cooptation, introduisons plus de transparence dans notre fonctionnement et redonnons toute leur force à nos instances de délibération. Oui, tels sont les enjeux de ce congrès.
Notre ambition n'est rien d'autre aujourd'hui que de porter et de faire vivre cette exigence de renouvellement, de changement et d'innovation qui traverse tout le parti, qu'il faudrait être sourd pour ne pas entendre et qui dépasse les limites des différentes sensibilités et dont la division promise de notre parti en 3 grands blocs ne rend pas compte ! C'est cette exigence que nous avons eu le souci d'exprimer et de défendre dans les mois écoulés et que nous voulons soutenir dans les mois qui viennent. Ne serait-il pas temps que nous prenions d'ailleurs collectivement nos distances avec une conception médiévale de la politique qui ne jure que par les fiefs, les suzerains et leur vassalité ? Il ne s'agit à l'égard de quiconque, ni d'un acte de rupture, ni d'un acte d'allégeance. Il s'agit seulement de l'expression d'une volonté libre, d'une conviction forte qui nous habite et que nous voulons mettre au service du rassemblement de tous les socialistes à laquelle nous sommes prêts à travailler en responsabilité.
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