Projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l'adhésion à l'Union européenne de la République tchèque, de l'Estonie, de Chypre, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Hongrie, de Malte, de la Pologne, de la Slovénie et de la Slovaquie.
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mes chers collègues, "l'Europe revient chez elle un peu comme on rentre chez soit", s'était exclamé François MITTERRAND à la chute du mur de Berlin. Quatorze ans plus tard, c'est son retour à la veille maison européenne de dix de nos frères d'âme qu'il nous appartient aujourd'hui de ratifier ! Au nom de quels arguments, pourrait-on ne pas approuver un tel processus qui est au fond la consécration de l'engagement européen depuis plusieurs décennies de tant de générations qui rêvaient de voir se tourner la page de la division de l'Europe ! Au nom de quels arguments, pourrait-on refuser ces peuples qui ont subit tout le poids d'une histoire tragique, de prendre leur part dans l'espace de paix et de prospérité que représente notre union. Et ne serait-il pas paradoxal que d'aucun prenne prétexte de la faiblesse de l'approfondissement pour refuser aujourd'hui l'élargissement alors que les mêmes s'apprêtent demain à refuser de ratifier le projet de constitution européenne pour en rester au fade et faible traité de Nice ? Non, mes chers collègues, ratifier l'élargissement ne peut faire pour tous ceux qui sont sincèrement européen, aucun doute.
Reste en revanche à en tirer toutes les conséquences :
§ D'abord, en définissant mieux l'identité de notre Europe en donnant des limites claires à ses frontières mais surtout un contenu précis à son projet. C'est aujourd'hui la grande faiblesse pour ne pas dire l'incertitude de notre projet européen qui explique pour partie le désenchantement auquel nous assistons à l'intérieur de nos opinions publiques. L'Europe s'est d'abord définit comme un espace de paix ! Elle a été construite par ses fondateurs pour résister à la menace qui pouvait exister à l'Est mais aussi pour répondre, au fond dans le même esprit, aux grands enjeux de la croissance et de l'emploi. Ce sont ces objectifs qu'il nous faut à la fois réactualiser et rappeler avec force. Si nous avons choisi d'être ensemble, de partager nos souverainetés, et si nous voulons accueillir aujourd'hui dix nouveaux états, c'est parce que nous considérons que dans ce monde, parfois menaçant toujours mouvant, nous avons un destin commun à assurer ensemble ! Définir l'identité de l'Europe, c'est réaffirmer les caractéristiques de son modèle économique et social. C'est rappeler l'originalité de ce modèle fondé sur la pluralité des comportements et des cultures à la différence des grands ensembles politiques qui existent de par le monde. C'est affirmer que l'Europe repose d'abord sur la démocratie et que le principe de la participation des citoyens doit être en permanence adaptée à ses évolutions et à ses compétences. Redéfinir l'identité de l'Europe, c'est enfin faire en sorte que les pays qui vont y entrer au 1er mai 2004 puisse y trouver concrètement la manifestation de la solidarité qui fait le principe même de notre union. Cela suppose que dans les futures négociations concernant notamment le budget européen, nous ayons non seulement le souci mais la volonté, et je dirais même la détermination de dégager les ressources nécessaires au niveau des fonds européens pour permettre un rattrapage le plus rapide possible par ses économies de notre niveau d'activité, d'emplois, de pouvoir d'achat et de protection sociale.
§ Ensuite, en veillant à garder à notre construction institutionnelle, un caractère vivant, évolutif. Le projet de Constitution actuellement en débat au sein de la CIG constitue indiscutablement un progrès. Comme tout compromis, il comporte naturellement des imperfections. Mais l'important est qu'il constitue non pas un point d'arrivée mais un point de départ. Ce qui appellerait nombre d'observations notamment sur son mécanisme de révision mais aussi et surtout nombre de réflexions sur les perspectives qui doivent s'ouvrir entre les pays les plus allant, de coopération renforcée permettant de donner un nouvel élan à la construction européenne.
§ Ce qui me conduit tout particulièrement à la troisième conséquence à laquelle nous devons être attentifs. C'est que si l'Europe a besoin d'avoir un nouveau tigre dans son moteur, celui-ci pour une part doit être franco-allemand. L'hypothèse d'une coopération renforcées entre nos deux nations constitue non seulement un formidable défi lancé à la face de l'histoire sanglante. Le défi de l'élargissement, c'est au fond de savoir retrouver en nous même, parmi les vieilles nations qui ont été à l'origine du pacte européen, l'énergie, la vitalité et surtout l'imagination nécessaire pour ouvrir de nouvelles pistes et en donner l'exemple. C'est dans ce cadre que nous devons regarder de plus près les perspectives d'une véritable union franco-allemande. Beaucoup, au cours des dernières années, ont tenté de défricher cette piste qui pourrait se traduire dans des domaines très concrets de l'harmonisation fiscale. De la coordination de nos politiques économiques et budgétaires. Ces pistes naturellement ne devraient pas être exclusives d'autres, et permettre à tous les pays qui souhaiteraient les emprunter de les rejoindre.
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Au total, la décision que nous avons à prendre aujourd'hui n'est que la première d'une longue série qui doit remettre l'Europe sur le chemin de l'initiative et du mouvement. C'est une grande chance à saisir. La récuser reviendrait à regarder l'histoire passée comme un voyageur étranger. Ce serait une erreur et une faute. Il faut au contraire faire ces choix en pleine raison, en en connaissant les difficultés et les contraintes. Mais en en mesurant aussi le formidable impact. Sur notre continent, travaillé par les haines, les guerres, les affrontements entre nos peuples, que la frontière de la paix puisse être ainsi repoussée toujours plus loin ; que la frontière de l'amitié et de la coopération puisse englober toujours plus d'européens. Cet enjeu là en vaut la peine. Elargir l'Europe, c'est aussi élargir notre ambition, notre idéal, notre projet à l'échelle d'un continent.
Quand le rêve, celui d'un continent apaisé, rejoint la réalité, celui d'une Europe unifié, c'est un destin qui prend forme ! La volonté de tant de générations, de peuples et de gouvernements qui l'ont permis ne doit jamais fléchir !
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