Compte rendu intégral de la proposition de loi "Egalité des chances"
Deuxième séance du mardi 31 janvier 2006
129e séance de la session ordinaire 2005-2006
M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.
La parole est à M. Gaëtan Gorce.
M. Gaëtan Gorce. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il est bien des manières de gouverner. On peut choisir l’arrogance, l’affirmation hautaine de ses prétentions, le dédain pour ceux qui auraient le front de s’opposer.
M. Jean Leonetti. Fabius ! (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Gaëtan Gorce. Nul doute que cette voie puisse vous tenter.
M. Jean Leonetti. Cela nous rappelle quelque chose !
M. Gaëtan Gorce. Comment juger autrement votre attitude à l’égard des partenaires sociaux comme du Parlement ? Comment juger autrement l’attitude d’un Premier ministre qui nous convie tout à l’heure, dans cet hémicycle, à ce débat et qui, au moment où l’explication s’engage, le déserte pour préférer s’expliquer à la télévision au lieu de rester avec la représentation nationale ? (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Descamps. Quelle arrogance !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Ne lui reprochez pas d’aller expliquer sa politique aux Français !
M. le président. Mes chers collègues, laissez parler l’orateur !
M. Jean-Jacques Descamps. M. Gorce nous provoque, monsieur le président !
M. le président. En tout état de cause, monsieur Descamps, si vous tombez à pieds joints dans chaque provocation, l’intervention de M. Gorce durera plus d’une heure et demie.
Il a seul la parole.
M. Gaëtan Gorce. Mes chers collègues, si vous considérez comme une provocation ce qui n’est qu’un constat, à savoir l’absence du Premier ministre dans cet hémicycle, alors la provocation risque de durer. Mais elle sera le fait du chef du Gouvernement.
On peut aussi choisir l’humilité feinte, la fausse modestie, qui n’a pour but que de se dédouaner de ses fautes, d’échapper au bilan de ses propres actions, de se présenter sous un jour nouveau pour conduire la même politique.
M. Patrick Roy. Quatre ans de pouvoir !
M. Jean-Jacques Descamps et M. Éric Raoult. Et vous, vingt ans !
M. Arnaud Montebourg. Vous avez dormi pendant quatre ans et voilà que vous déclarez l’urgence !
M. Gaëtan Gorce. En effet, quatre ans ne se sont-ils pas écoulés depuis votre accession aux responsabilités ? Nul doute que vous ne vous laissiez parfois aller à cette tendance, vous prévalant aujourd’hui, comme l’a rappelé Henri Emmanuelli, de vos propres turpitudes – la montée du chômage et les inégalités –, pour mieux faire accepter ce qui ne saurait l’être.
Toutefois la pire des manières de gouverner, la pire de toutes, c’est celle qui cherche à tromper l’opinion sur la nature de la politique que l’on conduit pour l’entraîner sur de fausses pistes, chercher à l’égarer sur ses intentions, à la leurrer sur ses objectifs véritables. Il s’agit non pas de changer la donne, comme l’a prétendu le Premier ministre, évoquant le CPE, mais au contraire de brouiller les cartes, de présenter des reculs comme des avancées, de faire passer des régressions pour des progrès, préparant ainsi de douloureux réveils pour le trompeur, sans doute, et ce sera justice, dès l’an prochain – nous y travaillons –, mais aussi pour le trompé, découvrant trop tard qu’on l’a dupé par des solutions erronées et que le problème qu’il redoutait reste entier, aggravé même par le prétendu remède.
Il y aurait pourtant du panache à relever le défi et à assumer vos choix, mais vous préférez avancer masqués, faisant d’une sorte d’humanisme social un paravent, une protection, en contradiction évidente avec vos intentions et vos actes. Vous portez un masque social, comme d’autres portent un masque vénitien.
M. Christian Paul. Eh oui, c’est le carnaval !
M. Gaëtan Gorce. Lors d’un précédent débat, j’avais comparé votre bilan au portrait de Dorian Gray, si engageant au premier coup d’œil mais faisant apparaître à l’examen la somme des turpitudes, des injustices et des iniquités commises. Nul doute que vous n’en écriviez aujourd’hui un nouveau chapitre.
Dans la grande bataille qui est au cœur de la mondialisation, entre ceux qui veulent réduire les protections des salariés et ceux qui veulent les ajuster et les renforcer, vous avez choisi votre camp. Vous avez choisi de vous en prendre au travail : au coût du travail, à la durée du travail, à la protection du travail, à la représentation du travail, notamment celle des salariés de moins de vingt-six ans qui ne comptent plus dans le calcul des seuils déterminant la représentation du personnel. C’est là que se situe la ligne de clivage qui nous sépare intrinsèquement et justifie l’opposition de fond qui nous mobilise aujourd’hui.
Vous prétendez que la gauche cherche à tromper l’opinion…
M. Francis Delattre. Comme d’habitude !
M. Gaëtan Gorce.… et veut faire prendre, en ce qui concerne le CPE, les vessies pour des lanternes. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Mais c’est votre gouvernement qui est rompu à cet exercice ! Et c’est vous, avec ce projet de loi, qui cherchez au contraire à tromper les Français. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
D’abord en nous présentant dans l’urgence un projet de loi censé favoriser l’égalité des chances, comme si quelques articles épars pouvaient y suffire. Comment pouvez-vous faire croire – et croire vous-mêmes – que la réponse à la crise des banlieues, qui a révélé un malaise si profond, se trouverait dans le texte que vous nous présentez ? Qu’au mal qui ronge notre société – le chômage – qui éprouve sa confiance en l’avenir – le chômage des jeunes – qui mine son identité – la montée des discriminations – vous voulez nous faire croire que la réponse se trouverait dans ces quelques pauvres articles ajoutés dans l’urgence et préconisant l’apprentissage à quatorze ans et le licenciement à cinq euros, c’est-à-dire le coût de la lettre recommandée qu’il suffira à l’employeur d’adresser au jeune ou au salarié pour le renvoyer sans condition ?
M. Patrick Roy. C’est scandaleux !
M. Francis Delattre. Incroyable ! Il n’a jamais « bossé » !
M. Jean-Jacques Descamps. C’est un apparatchik de la politique !
M. Gaëtan Gorce. Pensez-vous que c’est de cette manière que vous ferez reculer la précarité et que vous renforcerez la cohésion sociale de ce pays ? Vous auriez trouvé là, contre les partenaires sociaux, la pierre philosophale ! Vous auriez eu, après quatre ans d’absence et six mois d’hésitation, une sorte de révélation, fondée sur le rappel de vos fautes : l’abandon de la politique de la ville, la réduction des crédits d’insertion. Faut-il vous rappeler l’asphyxie budgétaire des médiateurs et des associations ?
M. Christian Paul. C’est vrai !
M. Patrick Roy. Le ministre le nie, mais c’est vrai !
M. Gaëtan Gorce. Le reproche le plus grave – malheureusement, il y en aura d’autres – que l’on puisse vous adresser, c’est que vous preniez un prétexte aussi grave – la crise des banlieues et le chômage des jeunes – pour tenter de justifier une opération aussi discutable, aussi contestable et, par certains côtés, aussi condamnable. Jean-Jacques Rousseau disait qu’il valait mieux être homme à paradoxe qu’à préjugé. Or vous cumulez l’un et l’autre !
Si nous devions vous suivre, la réponse – paradoxale – qu’il serait juste d’apporter à la précarisation des conditions de vie serait une précarisation accentuée des conditions de travail et la meilleure façon – paradoxale – de favoriser l’entrée des jeunes les plus fragiles dans l’entreprise serait justement d’en faciliter l’exclusion.
Tout votre raisonnement repose sur le préjugé que c’est la législation du travail qui fait obstacle à l’embauche, épousant ainsi la cause de l’aile la plus libérale de votre majorité.
M. Gilbert Le Bris. Quel aveu !
M. Arnaud Montebourg. La plus dogmatique !
M. Gaëtan Gorce. On comprend mieux que certains aient hésité à vous suivre.
M. Jean-Pierre Blazy. On a vu les résultats !
M. Arnaud Montebourg. Ce sont des idéologues aveugles !
M. Gaëtan Gorce. Je vous le dis, messieurs les ministres, comme je le ressens : il est indigne de prendre l’argument de la crise des banlieues pour esquiver le débat qu’attendent les Français et qu’exige légitimement le Parlement. Il est indigne de se réfugier derrière l’inquiétude des jeunes et de leurs familles pour tenter de faire passer en force une réforme menaçante pour les salariés et pour notre code du travail. Il est indigne de prendre le prétexte de l’égalité des chances pour justifier l’une des plus graves discriminations à l’embauche que la jeunesse n’eût jamais à redouter : le contrat « première embauche ».
M. Jean Leonetti. Il n’y croit même pas lui-même !
M. Francis Delattre. Le code du travail est un ovni pour vous !
M. Gaëtan Gorce. Comment d’ailleurs ne pas mesurer le peu de cas que vous faites de l’égalité des chances au risque que vous lui faites prendre en y mêlant sans ménagement et sans préparation pour quiconque le contrat « première embauche » ?
Vous trompez aussi les Français en contournant les syndicats et en précipitant le débat parlementaire. Il faut que vous soyez bien peu sûrs de vous pour avoir pris ainsi la responsabilité d’ignorer les partenaires sociaux, au mépris de vos propres engagements. Ce n’est pas la première fois, ce ne sera sans doute pas la dernière. Dois-je rappeler l’exposé des motifs de la loi Fillon dont vous n’avez fait qu’un chiffon de papier ?
Il faut que vous soyez bien peu sûrs de vous pour avoir pris le risque d’enjamber le Conseil d’État, comme la Constitution aurait pu vous y inviter si vous aviez déposé normalement un projet de loi, et pour avoir choisi de bousculer à ce point le calendrier parlementaire. Dois-je rappeler devant cette assemblée les conditions dans lesquelles ce texte a été déposé puis discuté ?
Dois-je rappeler que la commission des affaires sociales a appris au petit matin qu’elle aurait à débattre dans l’après-midi d’un texte qui ne lui avait pas encore été transmis, puisque les amendements ne nous ont été communiqués que le lendemain ? Nous étions censés, le mardi après-midi, déposer des amendements sur un texte qui n’était pas encore à notre disposition !
M. René Couanau. À l’heure du laitier !
M. Gaëtan Gorce. Presque à l’heure du laitier, vous avez raison de le relever, monsieur Couanau !
M. Jean-Pierre Blazy. Quel mépris pour le Parlement !
M. Francis Delattre. Il faut savoir être un peu réactif !
M. Gaëtan Gorce. L’effet de surprise fut si complet que le président de la commission des affaires sociales, comme le rapporteur, ignorait tout de ce changement quelques heures avant qu’il ne se produise.
M. Arnaud Montebourg. C’est incroyable !
M. Gaëtan Gorce. Dois-je rappeler que cette commission s’est réunie pour discuter d’un projet de loi sans en connaître la teneur. Avouez que le procédé n’est pas seulement cavalier, mais qu’il traduit à l’égard de notre assemblée ce que, par courtoisie, je me contenterai d’appeler une forme de désinvolture, laquelle est d’ailleurs devenue ces dernières années la règle.
Je n’aurai pas la perfidie de comparer ces pratiques à celles que le président de notre assemblée condamnait dans ses vœux, dont le comportement du Gouvernement a fait des vœux pieux en moins de temps qu’il ne fallut au président pour les prononcer. Lui-même avait en effet condamné cette façon de contourner l’Assemblée, d’ignorer la commission, de procéder par amendements. À peine l’aviez-vous entendu que vous le contredisiez en agissant exactement de la manière contraire à celle qu’il souhaitait.
Si j’ajoute que ce texte, examiné dans la précipitation, a fait l’objet d’une déclaration d’urgence, je finis de dresser un décor où le cynisme le dispute parfois à l’amateurisme à l’égard de la représentation nationale. À moins qu’une grande peur ne vous ait saisis et que vous ayez voulu, par ces procédures expéditives, devancer la mobilisation des syndicats, privant par le vote du Parlement leur courroux de son objet.
La démocratie, monsieur le ministre, n’a rien à gagner à de telles parodies. Et qu’il puisse se trouver des responsables de notre institution pour s’y prêter est consternant.
Cependant si votre attitude à l’égard du Parlement est contestable – disons qu’elle relève désormais d’une sorte d’habitude, d’un tic gouvernemental mal maîtrisé – que penser de votre conduite à l’égard des syndicats ?
M. Gilbert Le Bris. C’est une attitude primaire !
M. Gaëtan Gorce. Quelle conception vous faites-vous de la concertation sociale pour choisir délibérément d’écarter les syndicats sur un sujet aussi grave que celui de l’emploi et du contrat de travail ? Avez-vous fait vôtre, en la paraphrasant, la maxime de Clemenceau : « Le social serait-il une chose trop sérieuse pour être laissée aux partenaires sociaux » ? Ou bien ne redoutez-vous pas plutôt leur jugement sur une mesure construite et rédigée par vos services ?
Enfin, vous trompez les Français en cherchant à masquer le véritable enjeu de ce débat. Au fond, que cherchez-vous à faire avec le contrat « première embauche » ? Cherchez-vous sincèrement à apporter une réponse efficace à la situation de trop nombreux jeunes face à l’emploi ?
M. Alain Néri. Non !
M. Gaëtan Gorce. Ou bien poursuivez-vous la mise en branle de l’implacable mécanique qui conduira du contrat « nouvelles embauches », adopté cet automne, au contrat « première embauche » que vous nous présentez dans ce texte, puis au contrat unique, dans tous les cas dépourvus de la moindre protection à travers une période d’essai applicable à tous les salariés, dans toutes les entreprises, et portée à vingt-quatre mois pendant lesquels le salarié n’aura plus aucun droit, où il pourra être renvoyé à tout moment, sans aucun motif et sans aucun recours ?
M. Jean-Pierre Blazy. Vous, messieurs les ministres, c’est en 2007 que vous allez être renvoyés !
M. Gaëtan Gorce. Cette affirmation d’un pouvoir discrétionnaire de l’employeur constitue un recul sans précédent.
M. Arnaud Montebourg. Elle est anticonstitutionnelle !
M. Gaëtan Gorce. Mais il ne s’agit pas d’un accident. Le CPE n’est pas un dérapage de votre politique, une embardée sur une route socialement mieux tracée. Il en est au contraire l’illustration, la manifestation emblématique. Votre politique sociale conduit au contrat « première embauche » puis au contrat unique comme le fleuve mène à la mer.
Contrairement à ce que vous prétendez, la politique du Gouvernement n’est pas dictée par le pragmatisme, ou par le simple bon sens. Elle est au contraire l’expression, l’illustration d’une stratégie qui était perceptible dès la déclaration de politique générale du Premier ministre et qui repose sur un pari dont le code du travail et les salariés sont les otages : aller aussi loin qu’il est possible dans la dérégulation du marché du travail sans pour autant provoquer une réaction trop vive et une mobilisation trop forte des syndicats et de l’opinion. C’est une stratégie risquée, qui exige du doigté et qui ne se comprend qu’à la lumière de la compétition impitoyable qui s’est engagée au sein de la majorité dans la perspective de 2007.
M. Jean-Pierre Blazy. Voilà la vérité !
M. Francis Delattre. Il n’y a pas de compétition au sein du parti socialiste, c’est bien connu !
M. Gaëtan Gorce. La pratique très libérale que vous avez du social vise à vous gagner la faveur d’une opinion de droite en passe d’être séduite par les solutions plus radicales du principal concurrent du Premier ministre, pourtant membre du Gouvernement. Quant au discours plus social avec lequel le Premier ministre commente cette pratique, il vise quant à lui à préserver ses chances à l’égard du reste de l’opinion, massivement acquise à la modération et à la prudence.
M. Francis Delattre. Vous, vous préférez le conservatisme !
M. Gaëtan Gorce. Je suis ravi, mes chers collègues, de constater que vous approuvez la description que je fais de votre majorité et que la compétition qui s’est engagée suscite de votre part les commentaires appropriés. Je serais ravi de savoir lesquels se situent dans un camp plutôt que dans un autre, mais j’imagine que la situation va bientôt s’éclaircir. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – « Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Francis Delattre. Un peu d’humilité ne ferait pas de mal !
M. Gaëtan Gorce. Le président Dubernard disait tout à l’heure qu’il était regrettable d’interrompre les orateurs. Je suppose que cet argument vaut pour l’opposition comme pour la majorité et que vous aurez à cœur de l’appliquer !
M. Jean Leonetti. Tiens, M. Fabius vous quitte !
M. Francis Delattre. Vous n’avez pas réussi à convaincre M. Fabius ! Il en a assez entendu !
M. Gaëtan Gorce. La mise à mort du CDI, que vous avez manifestement décidée avec le CNE et programmée avec le CPE, doit prendre ainsi pour des raisons similaires la forme d’un simple accompagnement de sa fin de vie : un meurtre avec préméditation, habilement maquillé en simple accident de la route législatif, en quelque sorte.
Pragmatisme et bon sens : deux clés pour verrouiller l’accès à votre véritable démarche, plus politique, et à votre véritable orientation, plus idéologique puisqu’elle s’inspire d’une conception de la société qui voit dans les droits sociaux un obstacle plutôt qu’une garantie.
Aussi ai-je à cœur de démontrer pendant ce débat que, loin d’être inspiré par le pragmatisme, le texte que vous nous présentez s’inscrit bien dans un projet cohérent et déterminé de dérégulation progressive de notre marché du travail.
M. André Gerin. Tout à fait !
M. Gaëtan Gorce. Comment appelez autrement, malgré vos protestations, une politique qui réduit consciencieusement, concrètement, le droit des salariés, la place de la négociation collective et la portée de la norme sociale ? Et c’est bien dans ce cadre et sous cet éclairage qu’il faut examiner le CNE, comme le CPE, que l’on pourrait résumer en quelques mots : moins de droits pour moins d’emplois, c’est-à-dire un recul pour les droits mais sans le moindre progrès pour l’emploi. Voilà le slogan que nous pourrions attacher à la réforme que vous nous proposez.
Il ne fait aucun doute, en effet, que, si les résultats du CNE et les perspectives du CPE ont bien pour conséquence inéluctable de retirer aux salariés embauchés les protections que leur garantit aujourd’hui le code du travail, on peut en revanche exprimer les plus grandes réserves sur l’efficacité pour l’emploi de ces mesures. Non seulement parce que le passé ne plaide pas pour vous, non plus que votre bilan ; non seulement parce que, de l’avis même de tous les économistes, les effets d’aubaine et de substitution seront massifs ; mais surtout en raison de l’erreur de diagnostic, du vice de conception que révèle votre dispositif. Vous semblez être persuadés que c’est le niveau de protection de l’emploi qui freine l’embauche alors qu’il est en réalité la condition de la cohésion sociale et, par conséquent, de l’efficacité économique.
M. Bernard Roman. Très bien !
M. Gaëtan Gorce. Le contrat « première embauche » ne peut être examiné indépendamment de la politique que vous avez conduite et qui vise à favoriser une dérégulation de plus en plus poussée du marché du travail. Je vais vous le démontrer.
C’est en effet un autre modèle social qui se dessine progressivement à travers les différentes législations que vous avez fait approuver par cette assemblée depuis quatre ans et, plus encore, depuis l’installation du gouvernement de M. de Villepin, selon une méthode aussi éprouvée que contestable.
Vous avez ainsi décidé, sous la pression de la compétition qui vous est imposée au sein de la majorité, de prendre le code du travail en otage. Encore faut-il, pour en prendre l’exacte mesure, dissiper l’épais brouillard dont vous vous êtes ingéniés à recouvrir votre politique.
D’abord, conscients des réactions que ces changements risquaient de susciter dans l’opinion qui est majoritairement acquise à notre pacte social, vous vous êtes efforcés d'en camoufler la portée en recourant à une de ces facilités que vous autorise la difficulté des temps : l'urgence ! Désormais, tout est urgence. Il n'est pas un discours, pas une expression, pas un projet de loi présenté par ce gouvernement qui ne soit caractérisé par l’urgence ou qui n'y fasse désormais référence. L'urgence est devenue, en quelque sorte, le « tube » des années Villepin. Cette danse de Saint-Gui gouvernementale n'est pas dépourvue d'arrière-pensées. Ce sont même celles-ci qui lui donnent tout son tempo.
La méthode de l'urgence que vous utilisez depuis des années présente en effet de nombreux avantages.
Elle donne tout d'abord l'illusion de l'action par la répétition des mêmes décisions ; il suffit, pour ce faire, de prendre l'exemple des nouveaux contrats de travail, spéciaux, aidés ou dérogatoires, qui sont constamment créés ou recréés, et de leur appliquer la méthode dite de la multiplication des pains ; je ne vois pas d’autre référence possible.
Aux contrats initiative emploi, emploi solidarité, local d'orientation, vendanges, de retour à l'emploi, d'accès à l'emploi, d'emploi consolidé, de reconversion, de professionnalisation ou d'insertion au revenu minimum d'activité, vous avez ajouté, rien qu'au cours de l'année 2005, des contrats d'accompagnement dans l'emploi, d'avenir, d'insertion sociale, de mission à l'exportation et de volontariat de solidarité internationale. Le dernier né est le contrat « nouvelles embauches » du 2 août 2005 et, maintenant, nous est soumis le contrat « première embauche » destiné aux jeunes. Il s'agit simplement, par cette inflation verbale et législative, de donner le sentiment et l'illusion de l'action.
Vous y parvenez de la même manière en modifiant fréquemment les mêmes contrats que vous venez de créer. Le contrat d'avenir de janvier dernier vient, par exemple, d'être modifié quelques semaines à peine après son adoption par l'Assemblée nationale, par la loi du 26 juillet 2005 relative aux services à la personne, et par deux décrets du 2 août 2005.
Très peu coûteux pour l'employeur, il présentait l'avantage pour le salarié d'être relativement stable puisque conclu pour une durée de deux ans. C’était sans doute encore trop long, car cette durée pourra désormais être divisée par quatre. Le contrat d'avenir garantissait au salarié un avenir de deux ans, il ne garantira plus aujourd’hui qu'un avenir de six mois. Au rythme où vont les choses, peut-être cette durée serait-elle encore considérée comme trop longue et, au fur et à mesure que vous avez choisi d'allonger les périodes au cours desquelles le licenciement pourrait intervenir sans condition, vous réduisez celles, au contraire, pendant lesquelles les salariés sont assurés de leur emploi. Cela s'appelle brûler la chandelle par les deux bouts. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Et c'est dans ce même mauvais esprit que nous avons vu se succéder en trois ans trois plans d'urgence pour l'emploi, sans qu'on ait jugé utile de procéder à l'évaluation des précédents.
A quoi bon préciser que le bénéfice attendu se trouve dans l'action la plus médiatisée possible, plus que dans le résultat qu'elle produit ?
Vous renouvelez ainsi l'image de ces chœurs d'opéra scandant « Marchons, marchons » dans un harmonieux surplace. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Christian Paul. Très belle image !
M. Gaëtan Gorce. Je savais que l’image de l’opéra pourrait satisfaire certains d’entre vous, mais cette méthode ne se limite pas à permettre des illustrations tirées de l’opéra ou de la musique. Elle présente un deuxième avantage : elle vous permet de masquer le contenu réel de vos réformes. Et c’est sans doute là ce que vous attendez d’elles avec le plus d’attention.
Ainsi, avec la cadence infernale de la production de textes, de nombreuses micro-réformes destinées à satisfaire tel ou tel intérêt particulier peuvent passer totalement inaperçues. Je ne sais pas combien de mes collègues ont en souvenir la loi du 15 décembre 2004 qui a pu permettre de faire échapper à la qualification de salaire, donc aux cotisations sociales qui y sont attachées, une part de la rémunération des sportifs professionnels les mieux payés. On peut imaginer que, s'ils avaient pu en mesurer les conséquences, les contribuables auraient peu apprécié d'être priés de compenser via le budget de l'État la perte que cette exonération fait subir aux caisses de la sécurité sociale.
C'est encore au détour d'un amendement difficile à percevoir dans un premier temps qu'a été prise la décision de décompter de la durée du temps de travail effectif la durée de transport, contrairement à ce que la jurisprudence avait toujours considéré jusqu'alors.
De la même manière, c'est également par un amendement déposé et voté en catimini que le forfait jour a été étendu aux salariés non cadres l'an dernier et que, enfin, très récemment, à l'occasion d'une commission mixte paritaire, les conditions du recours à l'intérim ont été modifiées sans que jamais nous n’ayons été amenés à en débattre ici même, dans cet hémicycle.
M. Michel Vergnier. Uniquement au Sénat, c’est scandaleux !
M. Gaëtan Gorce. C'est aussi de cette manière, par le biais de ce saucissonnage, que la destruction de la réforme des 35 heures a pu être réalisée. Un retour abrupt aux 39 heures hebdomadaires n’aurait pas été accepté par l’opinion, peut-être même pas par le Président de la République qui a dit ce qu’il pensait des inepties dont certains pouvaient s’estimer porteur. Il a donc été jugé préférable de procéder par petites étapes successives.
Le nombre des heures supplémentaires a d'abord été augmenté, puis leur coût réduit. Certains temps, anciennement qualifiés de temps de travail, ont été requalifiés en temps libre, un jour férié a été supprimé, les possibilités d'adopter un calcul en forfait jour ont été accrues. Aucune de ces réformes ne remettait à elle seule en cause les 35 heures, mais, mises bout à bout, elles vont bien au-delà de la remise en question de la durée légale du travail ; elles vont même au-delà du point de départ puisque, aujourd’hui dans ce pays, il est possible de travailler sans difficulté au moins quarante heures sans d’ailleurs avoir la rémunération correspondante, puisque vous avez réduit la rémunération des heures supplémentaires, en particulier dans les petites entreprises. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Je vois que les 35 heures vous font toujours réagir ! Je n’ai pas parlé de Martine Aubry car je voulais épargner vos nerfs !
M. Francis Delattre. Cela a été une bêtise !
M. Patrick Roy. Privilège pour les uns, régression pour les autres !
M. Gaëtan Gorce. Cette méthode de l’urgence, cette méthode des petits pas a aussi un autre avantage, peut-être le dernier, celui que vous allez chercher à utiliser aujourd’hui : elle permet de réduire les possibles résistances. Les opposants au projet doivent mobiliser contre le dernier des petits pas en discussion. Pour peu que l'on soit déjà habitué aux petits pas précédemment effectués et que l'on fasse abstraction de celui qui suivra, ce petit pas semble finalement relativement anodin. Découper une réforme en petits morceaux, c'est obliger les opposants à un difficile travail d'explication et de reconstruction. Cela peut même permettre de décourager les opposants, voire les contraindre à la mauvaise conscience, accusés qu’ils sont de s'opposer à l'intérêt des chômeurs, des jeunes ou des petites entreprises. Et c'est bien cette méthode qui est à l'œuvre s'agissant des CNE et des CPE.
M. Patrick Roy. Et la misère monte !
M. le président. Et si vous, vous pouviez baisser le ton, ce serait bien !
M. Francis Delattre. Et les nouveaux pauvres, ça ne vous rafraîchit pas la mémoire ?
M. Gaëtan Gorce. Cette méthode, que vous avez utilisée pendant plusieurs mois, atteint cependant aujourd'hui sa limite. Avec l'accumulation, l'illusion n'est en effet plus possible. Avec le recul, on peut en revanche reconstituer la redoutable cohérence de la politique de dérégulation sociale que vous avez choisi de conduire et qui s'attaque aux fondements mêmes de notre contrat social, le contrat « première embauche » constituant une étape supplémentaire et spectaculaire dans cette escalade.
Il n'y a dans mon propos nulle caricature. Il traduit simplement l'examen attentif de l'ensemble des dispositions que vous avez fait adopter depuis quatre ans et plus encore depuis mai 2005.
M. René Couanau. Mais non ! Personne ne vous fait ce procès. (Sourires.)
M. Gaëtan Gorce. Cependant comme je sais qu’il y a parmi vous des esprits rétifs aux explications que l’opposition pourrait donner, je me vois contraint de développer mon argumentation et de vous apporter la démonstration que les lois que vous avez modifiées ont toutes conduit soit au recul de la négociation collective, soit à réduire la portée de la norme sociale, soit à réduire les protections apportées aux salariés face aux licenciements. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Le premier temps de l'offensive – car c’est bien ainsi qu’il faut l’appeler, même si elle a été discrète – a porté sur la norme sociale, qu'elle soit issue de la loi ou de la convention.
Depuis 2002, avec l’ensemble des lois que vous avez votées, vous vous êtes efforcés d'affaiblir la portée de la norme sociale, d'en resserrer et d'en limiter le champ d'application. Notre contrat social, j’ai déjà eu l’occasion de l’évoquer à cette tribune, est fondé sur l'idée que, dans la relation salarié-employeur, le déséquilibre ne peut être compensé que par l'intervention d’un droit qui assure des garanties aux salariés dans une situation de subordination liée au contrat de travail. Ce droit est issu soit de la loi, soit de la négociation collective, et l’on peut souhaiter qu’il le soit plus de la négociation et un peu moins de la loi. Or vous n’avez eu de cesse, au cours de cette législature, de faire reculer la place réservée au droit social et à la négociation collective. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Le premier exemple en a été donné par la loi de 2003 relative à la négociation collective sur les restructurations ayant des incidences sur l'emploi, laquelle a consisté pour le législateur à se défausser sur la négociation collective et les partenaires sociaux de ses responsabilités en la matière, non pas pour engager une négociation interprofessionnelle qui aurait substitué à la règle fixée par la loi une autre règle générale définie par les partenaires sociaux, mais pour renvoyer la définition des critères, des modalités, des conditions du licenciement à l’accord d’entreprise, faire en sorte qu’il n’y ait plus un droit du licenciement, mais un droit de licenciement propre à chaque établissement et à chaque entreprise !
M. Patrick Roy. Premier coup de massue, première régression !
M. Gaëtan Gorce. Dans le même temps, le législateur renonçait à ses prérogatives qui étaient pourtant des principes d’ordre public social de tout temps, comme la définition du contrôle exercé par l’administration sur le licenciement ou les modalités de consultation du comité d’entreprise.
Manifestement, compte tenu de l’indifférence dans lequel ce rappel se situe, vous avez voté l’esprit tranquille ces dispositions qui bouleversent pourtant notre paysage social. Et j’ai encore d’autres exemples.
Puis ce mouvement s'est accentué avec la loi de 2003 sur le dialogue social et la formation professionnelle.
M. Patrick Roy. Deuxième coup de massue, deuxième régression !
M. Gaëtan Gorce. Merci, mon cher collègue, de scander ce qui apparaît bien comme un lent calendrier de régressions qui doivent être dénoncées comme telles !
M. René Couanau. On se croirait sur les grands boulevards !
M. Gaëtan Gorce. Qu’avez-vous fait dans ce texte sur le dialogue social et la formation professionnelle ?
Outre que vous avez rappelé des principes sur la concertation que vous n’avez jamais respectés, vous avez consacré la notion d’accord dérogatoire. Vous avez inventé une sorte de 49-3 social. Plutôt que de considérer que l’accord qui faisait droit était l’accord signé par les syndicats majoritaires, vous avez considéré qu’un accord entrait en application si la majorité des syndicats ne s’y opposait pas. Oui, c’est bien un 49-3 social qui montre d’ailleurs dans quelle considération vous tenez le dialogue et la négociation puisque c’est une démarche négative que vous valorisez et non pas une démarche constructive de négociation et de construction du droit.
Mme Martine David. Très bien ! Judicieux !
M. Yves Durand. Ça, c’est de la démonstration !
M. Arnaud Lepercq. N’importe quoi !
M. Gaëtan Gorce. Toutefois en généralisant l’accord dérogatoire, vous avez porté un autre coup assez rude à notre édifice de protection sociale puisque vous avez introduit un élément qui remettait en cause un principe fondamental, le principe de faveur : cette idée selon laquelle on ne peut pas déroger à un accord d’entreprise ou à un accord de branche qui introduirait des dispositions plus favorables que celles qui auraient été négociées à un niveau inférieur. En clair, à travers la loi que vous avez votée, vous permettez désormais de modifier au niveau de l’entreprise, sauf si l’accord de branche s’en était prémuni, des dispositions plus favorables normalement généralisables à l’ensemble des salariés.
De ce point de vue, si l’on y regarde de près, c’est bien le dumping social que vous avez encouragé, puisque, sur des questions aussi importantes que la rémunération des heures supplémentaires, le montant des indemnités de licenciement et bien d’autres, nous aurons un droit local, distinct dans chaque entreprise, indépendamment de la cohérence de la branche professionnelle. Ce revirement, vous n’avez pu l’opérer que parce que les organisations professionnelles, les syndicats ne disposaient pas de moyens suffisants de mobilisation compte tenu de la situation économique et sociale dans ce pays.
C’est le chômage, c’est la crainte du chômage qui pèse aujourd’hui sur la mobilisation sociale et qui empêche les salariés d’exprimer ce qu’ils nous disent, à nous, sur le terrain, dans nos circonscriptions : le rejet qui est le leur de votre politique sociale et les conséquences qu’ils mesurent au quotidien à travers la montée du chômage, quoi que vous en disiez, à savoir la réduction de leurs droits.
M. Patrick Roy. Troisième coup de massue, troisième régression !
M. Gaëtan Gorce. Merci, cher collègue !
Nous avons échappé de peu – mais pour combien de temps ? – à une autre évolution de même nature consistant, car il faut insister sur ce point, à décentraliser notre droit du travail, avec d’ailleurs les mêmes conséquences que ce que l’on observe pour la décentralisation, c’est-à-dire le transfert des charges et des coûts.
Vous avez d’abord transféré la compétence de la loi à la négociation – plutôt à la négociation de branche –, encouragé ensuite la négociation d’entreprise au détriment de la négociation de branche et, dans la négociation d’entreprise, tenté d’ouvrir un champ qui cassait la notion même d’ordre public social.
Par exemple, sur la question de la durée du travail, il y avait dans le rapport de M. Novelli et de M. Ollier sur la réduction du temps de travail – excellent rapport au regard de la cohérence idéologique qui l’animait – un élément qui a d’ailleurs fait réagir le gouvernement de l’époque et qui consistait à dire que la durée du travail devrait être fixée au niveau de chaque entreprise, que c’est par l’accord d’entreprise que la durée légale du travail devait être fixée. Autrement dit, il n’y aurait plus de durée nationale légale du travail ; chacun pourrait travailler un temps différent selon l’entreprise où il se trouve, temps négocié ou imposé dans des conditions que l’on imagine.
M. Arnaud Lepercq. Allons, allons !
M. Gaëtan Gorce. Il est vrai que cette proposition était un peu provocatrice, mais elle avait le mérite de la franchise. Et vous, vous avez choisi, comme je l’ai rappelé précédemment, de remettre en cause la durée légale du travail d’une manière beaucoup plus appropriée, à petit pas, à petits coups, en faisant en sorte que les 35 heures ne soient plus la réalité de l’entreprise pour la majorité des salariés.
M. Francis Delattre. Comme partout en Europe !
M. Gaëtan Gorce. Voilà pour le premier temps de l’offensive : les reculs que vous avez introduits par rapport à notre édifice social.
Le second temps de l'offensive a consisté à favoriser de manière tout à fait inédite une réindividualisation des relations de travail à l'instar de ce qui peut exister dans le droit anglo-saxon.
Après avoir délocalisé la source du droit de la loi à l’accord de branche, de l’accord de branche à l’accord d’entreprise, vous avez estimé que cela n’allait pas encore assez loin et c’est dans le contrat de travail que vous souhaitez aujourd’hui voir figurer des normes et des garanties qui relevaient normalement d’une protection d’un plus haut niveau. Ce faisant, vous remettez en cause l’idée même sur laquelle repose notre droit du travail, celle d’une protection assurée par des garanties collectives.
Depuis 2002, vous n’avez eu de cesse de rompre cet équilibre. De plus en plus nombreuses sont les situations de travail qui peuvent ainsi être réglées indépendamment du recours au cadre collectif, par un simple arrangement entre l’employeur et le salarié. On peut bien qualifier cela, en référence aux normes anglaises, d’opting out : vous prétendez le combattre à Bruxelles dans les discussions sur la directive temps de travail,…
M. Christian Paul. Personne n’y croit !
M. Gaëtan Gorce. …mais vous le mettez en œuvre, ici, à Paris, dès que vous en avez l’occasion. Chacun doit avoir conscience de ce processus qui, au mieux, prend acte de la faiblesse de la représentation syndicale dans les PMI-PME, mais au pire − et c’est au pire qu’il faut se préparer − organise un nouveau système de relations sociales et porte en germe une précarisation accrue du salariat.
À ce stade, je ne prendrai que deux exemples, parfaitement vérifiables.
Le premier concerne la durée du travail qui peut désormais varier sans difficulté d’une entreprise à l’autre, au point qu’il est presque possible d’affirmer qu’il n’existe plus de durée légale de référence.
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Mais si !
M. Patrick Roy. Quatrième coup de massue, quatrième régression !
M. Gaëtan Gorce. Monsieur le ministre, je vois que vous ne partagez pas ce point de vue, ce qui prouve que vous avez encore conscience des risques que de telles dispositions comporteraient pour les salariés si elles étaient appliquées. Ce sont pourtant celles que vous avez fait voter. Aujourd’hui, la référence légale est de 35 heures, auxquelles il est possible d’ajouter 220 heures supplémentaires. Au-delà même des conventions qui ont fixé ces heures complémentaires, le salarié peut parfaitement accepter de travailler au-delà du contingent conventionnel s’il a trouvé un accord avec son employeur.
M. Arnaud Lepercq. Ça lui permet de gagner davantage ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Gaëtan Gorce. On peut donc arriver à des durées de travail sans limitations.
M. Bernard Roman. Eh oui !
M. Francis Delattre. Et alors ?
M. Gaëtan Gorce. Le second exemple est celui de l’amendement que vous avez fait voter en urgence et en catimini : il consiste à étendre le forfait jours aux salariés non cadres. Ainsi, les salariés vont être de plus en plus nombreux à être concernés par un forfait jours − fixé en principe à 217 jours, mais que l’on peut désormais dépasser − et à ne plus être protégés par les maxima hebdomadaires et journaliers.
On pouvait comprendre que ce dispositif s’applique pour les cadres supérieurs et pour ceux qui ont une responsabilité particulière, compensée par une rémunération équivalente, mais il s’adresse désormais à des salariés beaucoup plus modestes. On a du mal à déterminer, en lisant le texte que vous avez fait voter, la durée du travail qui s’impose à eux.
M. Francis Delattre. S’ils sont payés plus, où est le problème ? Tout est encadré !
M. Gaëtan Gorce. Pour seule récompense, on leur offre la possibilité de travailler plus de 48 heures par semaine.
Peut-être, monsieur le ministre, contesterez-vous cela, mais vous aurez sans doute quelques difficultés à nous démontrer le contraire du point de vue juridique.
M. Patrick Roy. Cinquième coup de massue, cinquième régression !
M. Gaëtan Gorce. Je pourrais donner d’autres exemples, mais je crains de lasser mon auditoire. (« Non ! Non ! » sur les bancs du groupe socialiste. − Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Arnaud Lepercq. Il y a longtemps que c’est fait !
M. Gaëtan Gorce. Je vous remercie de vos encouragements, qui pourraient me convaincre d’évoquer d’autres points, telle la décision que vous avez prise de permettre au salarié de faire argent de sa santé en transformant en rémunération le repos compensateur qui lui était dû au-delà de la quarante-troisième heure lorsqu’il était amené à faire des heures supplémentaires. Ce faisant, vous mettez en cause un principe essentiel de notre droit : les repos compensateurs sont prévus pour préserver la santé du salarié et il ne doit pas pouvoir les monnayer, mais il est aujourd’hui incité à tirer les conséquences de la faiblesse de son pouvoir d’achat, qu’il doit à votre politique.
M. Michel Vergnier. Ils n’avaient peut-être pas vu cela !
M. Gaëtan Gorce. De tels procédés, de telles dispositions dessinent un paysage bien différent de celui que vous avez coutume de nous présenter. Loin de défendre notre modèle social, vous êtes en train de le bouleverser contre l’avis des partenaires sociaux et sans que l’opinion publique ait pu véritablement en prendre encore conscience. Le choix que vous faites va inéluctablement dans le sens d’une dérégulation, d’un affaiblissement de l’encadrement collectif, d’un contournement des partenaires sociaux. Renvoyant la négociation collective de la branche à l’entreprise, vous favorisez l’émiettement du droit social ; en encourageant les accords directs passés entre le salarié et l’employeur, vous remettez en cause l’idée même d’une norme collective et d’un droit conventionnel.
Dans ces conditions, on comprend mieux l’inquiétude exprimée par les syndicats de salariés face à votre projet de réécriture du code du travail. M. Larcher la présente comme devant être à droit constant, mais, parallèlement, il ne manque pas une occasion de dire qu’il y aurait là une formidable occasion d’adapter notre droit aux conditions économiques nouvelles, ce qui, en langage libéral, annonce une nouvelle vague de régressions.
M. Patrick Roy. Sixième coup de massue !
M. Gaëtan Gorce. C’est dans ce contexte, particulièrement éclairant sur les objectifs de votre gouvernement, qu’il nous faut examiner le contrat « première embauche », car il est bien l’élément essentiel du texte qui nous est présenté.
Mon collègue Yves Durand aura tout à l’heure l’occasion d’aborder les autres aspects de ce texte…
M. Laurent Hénart, rapporteur. Très bien !
M. Gaëtan Gorce. …mais vous avez décidé de focaliser la discussion sur cette disposition, puisqu’elle a été introduite, sinon en grande pompe, en tout cas de manière spectaculaire dans un texte qui n’était a priori pas destiné à la recevoir. C’est au regard de ces ruptures, de ces changements, de ces modifications, de ces régressions − le mot s’impose −, qu’il faut aujourd’hui juger du contrat « première embauche », qui n’est au fond que le décalque, pour les jeunes de moins de vingt-six ans, du contrat « nouvelles embauches » que vous avez présenté il y a quelques mois et que l’on pourrait résumer en quelques mots : un recul des droits sans progrès pour l’emploi.
M. Francis Delattre. Quel archaïsme !
M. Gaëtan Gorce. Qui, en effet, pourrait contester qu’il y a bien un recul des droits ?
M. Arnaud Lepercq. C’est l’avenir qui le dira !
M. Gaëtan Gorce. Pas même vous.
À ce stade, il ne semble d’ailleurs pas nécessaire de distinguer le contrat « première embauche » du contrat « nouvelles embauches » : ils présentent les mêmes caractéristiques et sont inspirés par la même logique. Ils constituent le second volet très illustratif de la politique sociale que je me suis efforcé de décrire.
Si vous voulez, d’un côté, réduire le cadre et le champ des accords, affaiblir les négociations collectives, contourner les partenaires sociaux, vous cherchez, de l’autre, à réduire les protections offertes aux salariés en matière de licenciement. Vous l’avez déjà fait pour le licenciement économique, en abrogeant la loi de modernisation sociale, sans rien lui substituer qui soit véritablement satisfaisant du point de vue de la protection des travailleurs. Vous parachevez à présent votre œuvre en matière de protection des salariés face au licenciement individuel : vous avez créé d’abord le contrat « nouvelles embauches » pour les salariés des entreprises de moins de vingt salariés ; puis le contrat « première embauche » réservé, dans toutes les entreprises, aux jeunes de moins de vingt-six ans ; et bientôt le contrat unique qui s’appliquera à tous les salariés de tous âges dans toutes les entreprises, aux mêmes conditions, c’est-à-dire sans plus de protections pendant une période de deux ans.
À travers ce texte, vous encouragez la précarisation du contrat de travail, d’autant plus que ces dispositions contreviennent aux principes fondamentaux de notre droit du travail.
M. Patrick Roy. Ce n’est plus de l’embauche, c’est de la débauche ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean Leonetti. On se croirait à la buvette ! D’ailleurs, certains doivent en sortir !
M. Gaëtan Gorce. Comment nier, en effet, que, dans leur principe, les contrat « nouvelles embauches » et « première embauche » n’ont pas pour objet de sécuriser la situation du salarié, mais celle de l’employeur.
M. Francis Delattre. Difficile d’avoir des employés sans employeurs !
M. Gaëtan Gorce. Vous allez répétant que la difficulté de licencier un salarié est un frein à l’embauche et c’est à ces protections que vous vous attaquez. L’objectif affiché de ces contrats n’est autre que de réduire la complexité prétendue des modalités de licenciement, présentée d’ailleurs, sans aucun élément d’appréciation, comme une entrave au travail et à l’embauche.
Quarante-neuf articles de notre code du travail relatifs à la résiliation des contrats de travail à durée indéterminée sont ainsi suspendus pour un temps, puisqu’il y est explicitement dérogé, avant qu’ils ne soient, dans la perspective du contrat unique, purement et simplement abrogés. Ces dérogations auront en réalité pour effet moins de favoriser l’emploi que d’accentuer encore la précarisation des salariés, sans d’ailleurs apporter aux employeurs les garanties juridiques espérées.
La précarisation du contrat de travail est à la base même du contrat « nouvelles embauches » comme du contrat « première embauche », qui ne peuvent être assimilés à des CDI qu’au prix d’une méprise ou d’une provocation. Ce qui caractérise le contrat à durée indéterminée, c’est, par définition, la durée indéterminée de l’emploi et les protections qu’il assure : on ne peut le rompre sans motifs et il faut respecter une procédure contradictoire, l’entretien préalable, la notification.
Toutes ces garanties sont précisément celles que le contrat « nouvelles embauches » ou le contrat « première embauche » ont pour objet d’écarter. Ils présentent donc, intrinsèquement, les caractéristiques d’un contrat précaire, et c’est bien pour réduire ces garanties que vous les avez mis en place. On peut d’ailleurs considérer que c’est par un abus de langage juridique que vous les classez parmi les contrats à durée indéterminée. C’est au contraire une vraie dynamique de précarisation que vous mettez en place.
M. Michel Vergnier. Bien sûr !
M. Gaëtan Gorce. Pour les salariés embauchés dans les entreprises de moins de vingt salariés, comme pour les jeunes de moins de vingt-six ans, le recrutement en CPE ou en CNE va devenir la règle.
M. Michel Vergnier. Bien sûr !
M. Gaëtan Gorce. Peut-être les entreprises choisiront-elles de substituer des contrats « nouvelles embauches » ou « première embauche » à des CDD ou à des missions d’intérim.
M. Jean-Jacques Descamps. Pourquoi voulez-vous que les entreprises licencient ?
M. Gaëtan Gorce. Mais pourquoi ne saisiraient-elles pas cette occasion d’effectuer tous les recrutements avec ces contrats ?
M. Maurice Giro. Vous ne savez pas ce que c’est que l’entreprise ! Ce sont les mauvais éléments qu’on licencie !
M. Jean-Jacques Descamps. Vous n’avez jamais travaillé en entreprise !
M. Gaëtan Gorce. Elles y sont directement encouragées, puisque ces contrats n’opérent aucune distinction parmi les salariés, entre ceux qui sont en difficulté d’embauche ou d’insertion et les autres. Ainsi, le jeune recruté à sa sortie d’une école d’ingénieurs pourra se voir proposé un CPE, comme le jeune en difficulté scolaire embauché à l’issue d’une période chaotique dans un quartier difficile. Telle est la réalité de ce contrat. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean-Jacques Descamps. Ça ne se passe pas comme ça dans une entreprise !
M. Gaëtan Gorce. L’argument de M. Descamps résonne en permanence dans cet hémicycle : il y aurait, d’un côté, ceux qui connaissent l’entreprise et, de l’autre, ceux qui en parlent sans la connaître. Je me permettrai, mon cher collègue, de vous faire la même remarque chaque fois que vous aurez à aborder un sujet qui ne relève pas des compétences professionnelles que vous aurez démontrées avant d’être élu dans cette assemblée.
Une remarque comme celle que vous venez de faire nie le principe même de la représentation nationale. Nous ne sommes pas là pour défendre les intérêts particuliers auxquels nous aurions été familiarisés avant notre élection, mais pour exprimer une conviction et défendre l’intérêt général. Je vous invite donc à éviter ce genre de remarques qui paraissent tout à fait déplacées. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Par ailleurs je crois pouvoir dire qu’on connaît aussi bien l’entreprise quand on est fils de salarié que lorsqu’on est patron, fils de patron ou petit-fils de patron, comme M. Dassault. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. − Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Patrick Roy. La majorité ne connaît pas les salariés !
M. Gaëtan Gorce. Oui, c’est une dynamique de précarisation que vous mettez en place, car il est évident que les CNE ou les CPE seront préférés aux CDI de droit commun. De même que la mauvaise monnaie chasse la bonne, les mauvais contrats chasseront les bons, les CPE et les CNE chasseront les contrats à durée indéterminée avant même que le CPE ne devienne le contrat de droit commun. (Applaudissements sur divers bancs du groupe socialiste.)
Initialement limitée aux titulaire de CDD ou de missions d’intérim, la précarité sera dès lors élargie à la totalité des salariés : non seulement à ceux qui sont fragiles ou peu qualifiés, mais aussi aux jeunes diplômés ou aux salariés hyperqualifiés à la recherche d’un emploi ; tous seront soumis au lot commun.
M. Jean-Jacques Descamps. C’est dramatique !
M. Francis Delattre. C’est la nomenklatura qui parle !
M. Maurice Giro. Avec une mentalité pareille, vous allez faire fuir tous les entrepreneurs du pays !
M. Gaëtan Gorce. Mes chers collègues, je puis comprendre que les opinions différentes de la vôtre vous irritent, mais j’aimerais que vous puissiez me démontrer qu’une entreprise ne pourra pas recruter un élève sortant d’une école d’ingénieur avec un CPE. Y a-t-il, dans votre texte, quoi que ce soit qui l’en empêche ? (« Rien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
De la même manière, je voudrais que vous me démontriez qu’une entreprise de moins de vingt salariés pourra ne pas embaucher, si elle le souhaite, un salarié surdiplômé sous forme d’un CNE. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Maurice Giro. Vous êtes à côté de la plaque !
M. Patrick Roy. Répondez !
M. Gaëtan Gorce. C’est la précarité et sa généralisation que vous nous proposez à travers ce texte. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – « Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Si vous réagissez, c’est que nous parlons là du point le plus épineux, car, lorsque les Français, les jeunes et les salariés prendront conscience de ce que vous êtes en train de mettre en place, ils vous sanctionneront…
M. Francis Delattre. C’est vous qu’ils ont déjà sanctionnés !
M. Gaëtan Gorce. …sinon dans les prochains jours, du moins dans les mois prochains, parce qu’ils auront conscience que vous aurez choisi de sacrifier leur protection sociale pour des intérêts qui ne sont pas les leurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. − Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean-Jacques Descamps. Restez calme !
M. Francis Delattre. Soyez plus modeste.
M. Gaëtan Gorce. Je ne veux pas alimenter votre courroux. Naturellement, je préférerais que notre débat soit calme et serein. Je m’efforce de le rester pour ce qui me concerne. J’imagine que vous avez du mal à admettre les arguments qui placent la réalité devant vos yeux.
M. Francis Delattre. Les électeurs vous ont sanctionnés : vous n’étiez même pas présents au second tour !
Mme Catherine Génisson. Si vous êtes là, c’est grâce à nous, parce que nous avons été citoyens !
M. Alain Néri. Que la majorité ne se plaigne pas si la défense de la motion dure plus longtemps que prévu !
M. le président. Mes chers collègues, seul M. Gorce a la parole !
M. Gaëtan Gorce. Il en faudrait beaucoup plus pour m’interrompre et me troubler. Mes arguments sont suffisamment étayés pour que je doute le moins du monde de leur justesse.
Je ne retiendrai que deux exemples.
En premier lieu, le délai de carence entre la conclusion de deux CNE ou CPE d'un même salarié étant de trois mois, qu’est-ce qui empêchera l'entreprise de procéder par à coups et de recruter un même salarié sur une succession de contrats de ce type avec un intervalle d’un trimestre entre chacun d’eux ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Francis Delattre. Pour qu’il y ait des salariés, il faut des entreprises !
M. Gaëtan Gorce. C’est une bien triste chanson que vous nous chantez là ! Vous aurez l’occasion de vous exprimer, mais si déjà la majorité, pas plus que le Premier ministre, n’a pas envie d’écouter l’opposition alors que nous n’aurons pas d’incidence sur le vote final, c’est le fonctionnement même de cette institution qu’il faut remettre en cause. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Mme Martine David. Il a raison !
M. Gaëtan Gorce. Votre intolérance témoigne d’ailleurs du manque d’arguments dont vous disposez.
M. Bernard Roman. La vérité les blesse !
M. Jean-Jacques Descamps. Répondez aux nôtres !
M. Gaëtan Gorce. Répondez donc concrètement à celui-ci : qu’est-ce qui empêchera, je le répète, une entreprise d’enchaîner des CNE ou des CPE sur le même emploi avec des salariés différents ? En effet telle sera la réalité avec le texte que vous nous présentez.
M. Jean-Jacques Descamps. Pourquoi licencierait-on le premier s’il est bon ?
M. Gaëtan Gorce. Plus grave, le CNE – car une légère correction a été apportée sur ce point dans le CPE – s’il pourra profiter des avantages du CDI, n’apportera aucune de ses garanties.
M. Michel Vergnier. Eh oui !
M. Gaëtan Gorce. Dans notre droit en effet, lorsque l’on conclut un contrat de travail à durée déterminée ou d’intérim,...
M. Arnaud Lepercq. Un contrat-jeunes ?
M. Gaëtan Gorce. ...celui-ci, s’il est prolongé au-delà de son terme, devient automatiquement un contrat à durée indéterminée. Le CPE profitera du même avantage, même s’il ne constitue pas un contrat à durée indéterminée avec ses garanties, mais ce sera aussi un contrat précaire.
M. Alain Néri. Surtout un contrat précaire !
M. Gaëtan Gorce. La succession de tels contrats,...
M. Jean-Jacques Descamps. Vous prenez les chefs d’entreprise pour des fous ?
M. Gaëtan Gorce. ...et d’un CDI sans garanties, puisque le licenciement sera alors possible pendant deux ans, privera le salarié de son droit à un délai de carence et à une indemnité de précarité.
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Allons !
M. Gaëtan Gorce. Je serais ravi que vous me démontriez le contraire, monsieur le ministre.
M. Alain Néri. Démonstration dont nous n’avons pu bénéficier en commission !
M. Gaëtan Gorce. Ce sera l’occasion d’avoir enfin une explication. Cependant je reconnais à votre décharge, monsieur le ministre, que votre texte a été rédigé dans la précipitation, ainsi que je l’ai déjà dénoncé. Je ne prendrai en tout cas pas d’autre exemple, car j’ai bien compris qu’ils avaient le don de vous irriter.
M. Arnaud Lepercq. Mais non !
M. Gaëtan Gorce. Mon propos n’est pas d’arriver à ce résultat, mais simplement d’engager dans cet hémicycle le débat serein,...
M. Arnaud Lepercq. Il l’est !
M. Jean-Jacques Descamps. Commencez par être serein vous-même !
M. Gaëtan Gorce. ...que réclamait le Premier ministre avant, malheureusement, de nous quitter.
M. Patrick Roy. C’est le remords qui l’habite !
M. Gaëtan Gorce. On le voit, la porte est largement ouverte à la déconstruction de notre code du travail. Si l’on s’en tient, en effet, à l’interprétation que je donne du CNE, vous remettez en cause la logique qui fonde le rapport entre le CDD et le CDI.
M. Jean-Jacques Descamps. C’est le chômage que l’on remet en cause !
M. Gaëtan Gorce. Or remettre en cause cette logique, c’est considérer que nous avons avec le CPE et le CNE non pas un CDI normal mais un contrat précaire. Je souhaite d’ailleurs que nous puissions modifier par amendement les dispositions relatives au CNE pour éviter une succession de contrats dans les conditions scandaleuses que j’ai décrites.
Par ailleurs, si le contrat est bâti pour réduire les garanties et la sécurité du salarié, la tromperie s'étend aussi, par une sorte d'ironie du droit, aux employeurs.
Vous leur expliquez en effet qu’avec un CPE, un CNE et, demain, un contrat unique, ils n’auront pas de difficulté à licencier.
M. Arnaud Lepercq. Procès d’intention !
M. Gaëtan Gorce. Tel est pourtant l’argument, un peu cynique, employé pour le CNE et qui sera utilisé pour le CPE. La réalité risque d’être un peu différente.
Certes, les quarante-neuf articles du code du travail relatifs à la résiliation du CDI ne pourront pas s’appliquer. Néanmoins qu’est-ce qui empêchera le juge judiciaire de requalifier ces contrats et de retenir un abus de droit ? Les employeurs se verront ainsi engagés dans les contentieux que l’on pouvait connaître avant la loi de 1973 encadrant le licenciement – époque à laquelle j’étais malheureusement un peu jeune –...
M. Laurent Hénart, rapporteur. Mais déjà loquace !
M. Gaëtan Gorce. ...mais qui rappellera quelques souvenirs à d’autres.
C’est donc toute la jurisprudence qui existait voilà trente ans que l’on va revisiter au motif d’un contrat supposé modernisé et qui, en fait, précarise les relations du travail. Au-delà de toute nostalgie jurisprudentielle, le comportement des employeurs posera même d’autres problèmes, notamment en matière de respect des traités internationaux tels que les conventions de l’OIT, qui s’appliquent dans notre droit et qui pourront susciter des contestations devant les juges.
Autrement dit, la promesse que vous faites aux employeurs, est une fausse promesse, une tromperie, un abus de langage supplémentaire.
M. Jean-Jacques Descamps. Laissez les donc en juger !
M. Gaëtan Gorce. Ils n’auront pas les garanties que vous prétendez leur donner tandis que le salarié ne bénéficiera plus de celles que le code du travail lui assurait.
Telle est la réalité du contrat que vous nous présentez : un contrat de précarisation des salariés, qui ne présente pas toutes les garanties promises aux employeurs ; juste retour des choses après tout !
Vecteur de précarité, le contrat « première embauche », comme le contrat « nouvelles embauches », porte également une atteinte grave aux principes fondamentaux de notre droit du travail.
Cette exception d’irrecevabilité qui est l’occasion de balayer, si j’ose dire – les électeurs le feront au sens propre dans un an – l’ensemble de votre politique, a aussi pour objet d’examiner la constitutionnalité des dispositions que vous nous proposez.
M. Arnaud Lepercq. Ah !
M. Gaëtan Gorce. L’amendement n° 3, qui représente l’esprit même de votre politique, détermine le régime du contrat « première embauche » sur le même modèle que celui fixé pour le contrat « nouvelles embauches ». Certes, le Conseil constitutionnel puis le Conseil d'État ont provisoirement lavé de tout reproche le contrat « nouvelles embauches » des reproches juridiques qui lui étaient adressés : le Conseil constitutionnel, parce qu’il a limité son contrôle à la portée de l’habilitation ; le Conseil d’État, parce qu’il a exercé un contrôle écourté. On peut cependant penser que le Conseil constitutionnel n’acceptera pas forcément le parallélisme des formes pour le contrat « première embauche » : ce dernier méconnaît en effet à la fois – pardonnez du peu – notre Constitution et les engagements internationaux de la France.
Il méconnaît, d’abord, l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen s’agissant du principe de liberté, qui consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, les bornes de l’exercice des droits étant fixées par la loi.
Sur le fondement de ce texte, le Conseil constitutionnel a donné une valeur constitutionnelle au principe de réparation des dommages. Poursuivant l'évolution de sa jurisprudence, il a, dans sa décision du 9 novembre 1999 relative au pacs, et à laquelle je vous invite à vous reporter, affirmé : « [...] si le contrat est la loi commune des parties, la liberté qui découle de l'article 4 de la déclaration des Droits de l'homme et du citoyen de 1789 justifie qu'un contrat de droit privé à durée indéterminée puisse être rompu unilatéralement par l'un ou par l'autre des contractants, l'information du cocontractant, ainsi que la réparation du préjudice éventuel résultant des conditions de la rupture, devant être toutefois garanties ; qu'à cet égard, il appartient au législateur, en raison de la nécessité d'assurer pour certains contrats la protection de l'une des parties, de préciser les causes permettant une telle résiliation, ainsi que les modalités de celle-ci, notamment le respect d’un préavis. »
Ainsi, l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen impose au législateur de définir préalablement les hypothèses de rupture d'un contrat et lui interdit d'exclure le droit à réparation de la victime d'une rupture fautive d'un contrat de travail. Or l'amendement qui nous est soumis viole précisément ces deux principes fondamentaux. La rupture d'un contrat « première embauche » peut en effet intervenir pour n'importe quel motif : incompatibilité d'humeur,...
M. Jean-Charles Taugourdeau.L’incompatibilité est une cause de licenciement !
M. Gaëtan Gorce. ...perte de confiance, mésentente, pourront désormais justifier une rupture de contrat de travail alors même que la jurisprudence interdit tout licenciement pour des motifs notamment subjectifs.
Nous voici donc revenus trente ans en arrière, avant la loi du 13 juillet 1973, à l'époque où la rupture du contrat de travail n'était pas un droit causé, un droit motivé. Cette rupture sous le signe de l'arbitraire concernera au premier chef les jeunes. Génération précarisée, génération sacrifiée : ainsi pourrait être résumée la logique de votre projet.
Il y a bien là deux motifs d'inconstitutionnalité.
M. Arnaud Lepercq. Le premier et le second !
M. Gaëtan Gorce. J’espère, mon cher collègue, que vous serez toujours aussi clair dans vos démonstrations !
Alors que le Conseil constitutionnel – c’est le premier motif – exige de l'auteur de la rupture d'un contrat qu'il procède à l'information de son cocontractant, le CPE comme le CNE ne prévoient qu'une simple notification, laquelle paraît bien insuffisante. Mais c'est surtout dans son souci de protéger la partie la plus faible que le Conseil constitutionnel a toujours précisé que le législateur devait préciser préalablement la cause de la rupture – second motif d’inconstitutionnalité. En l’espèce, il ne fait aucun doute qu'un jeune nouvellement embauché constitue la partie la plus faible, l’élément le plus fragile du contrat de travail, celui qui est le plus exposé. Pourtant, les causes de son licenciement né lui seront jamais connues.
Plus grave encore peut-être, l'amendement ne prévoit aucune procédure contradictoire avant la décision de rupture prononcée par l'employeur. Une telle carence laisse planer un nouveau doute sur la constitutionnalité de ce texte.
M. Arnaud Lepercq. Troisième motif !
M. Gaëtan Gorce. En effet, le Conseil constitutionnel a consacré le droit de la défense au rang des principes à valeur constitutionnelle. L'application de ce principe a même été étendue aux procédures non juridictionnelles. Or le projet exclut l'application de l'article L. 122.14 du code du travail qui institue le principe de l'entretien préalable à tout licenciement individuel. Certes, s'agissant du contrat « nouvelles embauches », le Conseil d'État a résolu cette difficulté en imposant l'obligation de respecter une procédure contradictoire en cas de licenciement disciplinaire.
Puisqu’il existe, pourquoi limiter ce principe à la procédure disciplinaire, et pourquoi ne pas l'inscrire dans le texte, faisant ainsi en sorte que l’employeur soit clairement informé que, contrairement à ce qui lui est dit, il ne pourra licencier sans motif et sans conditions ? Surtout, pourquoi ce principe de la procédure contradictoire ne serait-il pas étendu au licenciement fondé sur des motifs inhérents à la personne, d'autant qu'il est consacré de manière générale par la convention n° 158 de l'OIT ?
En dépit de tous les efforts déployés par le Gouvernement pour tenter de justifier la légalité internationale de ce projet, la question du respect des dispositions de nos engagements internationaux, notamment de la charte sociale européenne comme de la convention n° 158 de l'OIT, demeure d'actualité.
Si le Conseil d'État, dans sa décision du 19 octobre 2005, a validé les dispositions de l'ordonnance relative au contrat « nouvelles embauches », on peut néanmoins s'interroger sur la solution retenue et sur la possibilité de sa transposition au contrat « première embauche » telle que pourra l'apprécier le Conseil Constitutionnel.
L'article 24 de la charte sociale européenne, approuvée par la loi du 10 mars 1999, prévoit que « en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s'engagent à reconnaître : le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur des nécessités de fonctionnement de l'entreprise. » Le projet est donc également en contradiction totale avec cette disposition. Si elle n'est pas reconnue d'applicabilité directe, c’est-à-dire si un salarié ne peut pas s’en prévaloir devant un juge, elle s'impose néanmoins au gouvernement français puisqu’elle s’applique aux États signataires qui ont ratifié la charte.
Plus problématique encore – et je vois bien que le doute commence à vous étreindre (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) – est la question de la conformité à la convention n° 158 de l'OIT. L'Organisation internationale du travail a en effet multiplié les conventions qui tendent à protéger les salariés. Celle-là concerne la cessation de la relation de travail à l'initiative de l'employeur.
Dans sa décision du 19 octobre 2005, le Conseil d'État a reconnu que cette disposition était d’application directe, ce qui signifie que des contentieux pourraient être déclenchés en contestation de la rupture des contrats de travail par les salariés eux-mêmes. Or cette convention dispose que : « un travailleur ne devra pas être licencié sans qu'il existe un motif valable de licenciement » – nous y revenons sans cesse – « lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise. » À première vue – restons aimables ! – le texte qui nous est proposé n'est pas conforme non plus à cette règle internationale.
La proximité de ce contrat avec le contrat « nouvelles embauches », validé par le Conseil d'État, ne manque pas de susciter des interrogations. La haute juridiction administrative a en effet considéré que l'ordonnance du 2 août 2005 n'a pas exclu que le licenciement puisse être contesté devant un juge puisqu’elle a retenu la notion d’abus de droit, revenant à la législation de 1973. Je le précise pour ceux qui suivent ! (Sourires.) Une telle analyse pose question au regard de la rédaction de la convention de l'OIT qui indique qu'il doit exister un motif de licenciement. Cette existence ne devrait-elle pas être appréciée au moment de la rupture plutôt qu’à celui de la contestation devant le juge ?
sCertes, le Gouvernement a fait état d’une dérogation à cette disposition. En effet, la même convention précise : « un membre pourra exclure du champ d’application de l’ensemble ou de certaines des dispositions de la convention, les travailleurs effectuant une période d’essai ou n’ayant pas la période d’ancienneté requise. » Nous sommes en plein dans le sujet. On peut penser, compte tenu de la rédaction de l’amendement, que le Gouvernement ne manquera pas d’invoquer une telle dérogation. Mais ce raisonnement est-il acceptable ?
Si les auteurs du projet s’étaient, semble t-il, au départ orientés vers un contrat avec une période d’essai de deux ans – du moins étaient-ce les termes employés ici même par le Premier ministre –, ils ont brusquement abandonné cette notion de période d’essai pour la remplacer par la notion de période dite de consolidation de l’emploi. Le changement se comprend aisément : il s’agit d’échapper à la condamnation que ne manquerait pas de provoquer la comparaison de cette période d’essai, et du peu de garanties qu’elle présente, avec la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail.
En effet, l’article 2 subordonne la dérogation au caractère raisonnable de la période d’essai. Or, si la convention n° 158 ne donne pas de définition précise de cette durée raisonnable, la jurisprudence de la Cour de cassation, elle, l’a fait. Elle a jugé déraisonnable une période d’essai de trois mois pour un coursier, une période d’essai de six mois pour un chargé de mission, une période d’essai de trois mois pour un cadre d’une société financière, une période d’essai d’un an pour un cadre supérieur. La période de deux ans que vous nous proposez, …
Mme Martine David. Elle est pour qui ? Pour un agent d’entretien ?
M. Gaëtan Gorce. …assimilable à la période d’ancienneté requise prévue par la convention n° 158, n’est certainement pas de nature à être considérée comme raisonnable. Cela est d’autant plus vrai pour le CPE que cette période de consolidation de l’emploi était, s’agissant du CNE, liée aux contingences économiques qui pèsent sur les petites entreprises.
Vous avez justifié le CNE par la difficulté des petites entreprises à recruter. Vous justifiez aujourd’hui le CPE par la difficulté des jeunes à être embauchés. On peut donc considérer que la période d’essai qui leur est donnée devrait assurer normalement leur protection et non pas celle de l’employeur. Dans ces conditions, la période de deux ans que vous proposez ne peut pas être considérée comme une période d’essai qu’on pourrait qualifier de raisonnable au regard de la législation internationale. Par conséquent, elle ne peut pas échapper au contrôle du juge.
Mme Martine David. Très intéressant !
M. Alain Vidalies. Lumineux !
M. Gaëtan Gorce. À ce titre, cette disposition mérite d’être censurée. Ce serait d’ailleurs d’autant plus utile que, comme je l’ai déjà indiqué, si vous échappez à ce contrôle, c’est l’employeur que vous aurez leurré avec le mirage du licenciement facile. Celui-ci risquera en effet de se retrouver embarrassé par des contentieux devant les cours juridictionnelles européennes portant sur la nature du licenciement opéré, sur l’absence de motif et sur l’absence de délai raisonnable.
Reste un dernier argument : la violation du principe de non-discrimination.
M. Alain Vidalies. Eh oui !
M. Gaëtan Gorce. L’ensemble de votre proposition est d’ailleurs fondée, d’une certaine manière, sur le principe de discrimination puisqu’il s’agit de mettre en place des dispositions différentes selon les catégories de population. Toutefois ce n’est pas à ce titre que je veux prolonger le raisonnement.
La Cour de justice des Communautés européennes a considéré, à de nombreuses reprises, que devaient être également appréciées en tant que discriminations les discriminations indirectes, c’est-à-dire les mesures ayant pour effet de provoquer une discrimination lors de leur application. Notamment dans le contrôle que le Conseil constitutionnel pourrait être amené à effectuer sur ce sujet, si ce n’est pas le juge qui le fait s’agissant de l’employeur, il serait possible que le juge soit conduit à demander à l’employeur si la mesure discriminatoire qui a été mise en place n’a pas pour conséquence d’entraîner une discrimination supplémentaire, autrement dit si ce ne sont pas les jeunes, les populations les plus fragiles qui sont licenciées le plus fréquemment avant l’échéance de deux ans.
En effet telle est bien la question qui nous est posée : votre contrat permettra-t-il l’insertion ? La plupart des jeunes en difficulté, des femmes, des personnes appartenant à différentes origines ethniques, seront-ils embauchés, au terme des deux ans, ou bien seront-ils en majorité licenciés avant l’échéance des deux ans ? Si c’est le cas, la démonstration aura été faite que votre texte conduit à une discrimination indirecte.
M. Arnaud Lepercq. Il ne faut pas être défaitiste comme ça. Positivez !
M. Gaëtan Gorce. De la même manière, si la démonstration ne peut pas être apportée par le Gouvernement français que ces discriminations auront permis de créer des emplois pérennes, au-delà des deux ans, on pourra considérer que les discriminations qu’il a mises en place sont contraires au principe de non-discrimination garanti par la Constitution et par nos engagements internationaux. Je vous remercie, messieurs les ministres, d’opiner du chef.
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Je vous écoute.
M. Gaëtan Gorce. Je ne voudrais pas mal interpréter votre attitude, mais vous aurez l’occasion de vous exprimer tout à l’heure.
On le voit, même le raisonnement juridique nous ramène à la question de fond qui est de savoir si la mise en place du contrat « première embauche », comme celle du contrat « nouvelles embauches », est de nature à favoriser effectivement l’embauche des jeunes et l’emploi. Peut-être réussiriez-vous à nous faire accepter l’ensemble des dysfonctionnements, des erreurs, des inégalités, des précarités que provoquera ce texte, si nous pouvions, enfin, être convaincus qu’il permettra de créer de l’emploi et de résoudre la question du chômage des jeunes.
C’est un beau sujet, un beau procès à plaider, mais remarquons que, au moment où s’engage ce débat, vous êtes mis dans une situation difficile car, sur cette question de l’emploi et du chômage, vous avez un déficit de crédibilité.
Oh ! certes, me direz-vous, nous pouvons aujourd’hui faire état d’une amélioration sensible de la situation de l’emploi depuis quelques mois, mais, au fond, pouvez-vous vraiment vous en réclamer ? En êtes-vous bien les responsables ? On a le sentiment que vous êtes restés passifs face à la montée du chômage, comme vous êtes passifs, d’une certaine manière, face à sa décrue.
M. Francis Delattre. C’est grâce à vous, c’est sûr !
M. Gaëtan Gorce. Comment expliquer les chiffres auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés ? J’ai été amené à me poser la question comme la plupart des Français car, pas plus dans nos communes que dans nos circonscriptions, nous ne voyons venir des gens qui nous expliquent que, grâce à votre gouvernement, ils ont retrouvé du travail.
M. Patrick Roy. Ça n’arrive jamais !
M. Gaëtan Gorce. Et pourtant, les chiffres du chômage diminuent. Il faut donc mettre ces chiffres en relation avec les chiffres de créations nettes d’emplois.
M. Patrick Roy. Eh oui !
M. Gaëtan Gorce. De ce point de vue, le résultat est nettement moins brillant puisque, au total, les créations d’emplois dans le secteur marchand ont été d’à peine 10 000 durant l’année 2005, le reste des embauches ayant été essentiellement constitué par les contrats aidés.
M. Francis Delattre. C’est mieux que moins 200 000 !
M. Gaëtan Gorce. Cela veut dire que vous avez utilisé des recettes assez classiques, qui consistent à jouer d’abord sur l’évolution de la population active, laquelle a diminué en 2005 ; ensuite, sur les contrats aidés, après, sur les radiations administratives, enfin, sur l’exclusion vers le RMI.
M. Jean-Jacques Descamps. Vive vingt ans de socialisme !
M. Gaëtan Gorce. Après le chômage, il y avait l’exclusion. Vous, vous avez inventé l’exclusion du chômage vers plus d’exclusion encore, le RMI.
M. Patrick Roy. Le nombre de RMistes n’a jamais été aussi élevé !
M. Gaëtan Gorce. Toutes ces ficelles mises bout à bout donnent les résultats que vous nous présentez. Toutefois puisqu’il ne se crée pas dans notre économie d’emplois de manière significative et durable, on ne peut pas conclure que la situation de l’emploi est en train de réellement s’améliorer.
La seule chose que vous faites en réalité, c’est de tirer les conséquences des erreurs que vous avez commises.
M. Jean-Jacques Descamps. On tire les conséquences des erreurs socialistes !
M. Gaëtan Gorce. Vous avez ainsi relancé, il y a quelques mois, les contrats aidés que vous n’aviez cessé de vouloir réduire et de condamner, dans vos discours comme dans vos budgets, pendant quatre ans.
M. René Dosière. Très bien !
M. Patrick Roy. Le RMI monte et les profits gonflent ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. Poursuivez, monsieur Gorce.
M. Gaëtan Gorce. Si la réalité de la situation s’explique par les emplois aidés, si les explications que j’ai données ne donnent pas finalement plus de grains à votre moulin, puisqu’on a le sentiment que vous n’êtes pas engagés dans une dynamique en matière de créations d’emplois, reste à savoir si le CNE et le CPE sont de nature à créer des emplois.
M. Jean-Jacques Descamps. Oui !
M. Gaëtan Gorce. Je veux bien pousser le raisonnement jusqu’à examiner dans le détail la question qui nous est posée.
Observons que cette mesure intervient comme une ultime solution, une ultime tentative après ce qu’il faut bien appeler l’échec de votre politique de l’emploi des jeunes. Vous portez en effet, cela a été rappelé par Henri Emmanuelli tout à l’heure, une lourde responsabilité dans la situation dans laquelle se trouvent les jeunes au regard du chômage. Le taux de chômage avait baissé spectaculairement de 1997 à 2002. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – « Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Descamps. Pas pour les jeunes !
M. Francis Delattre. Fantasme !
M. Gaëtan Gorce. Il a recommencé à augmenter en 2002.
À chaque fois que je tiens des propos qui fâchent parce qu’ils sont vrais, vous cherchez à m’interrompre.
M. Francis Delattre. Il ne faut pas dire de bêtises !
M. Gaëtan Gorce. Vous allez m’obliger à en ajouter chaque fois un peu plus.
M. le président. Veuillez continuer, monsieur Gorce. Si vous interpellez vos collègues, ils vont vous répondre.
M. Gaëtan Gorce. Il est évidemment désagréable d’observer que l’on a échoué là où ses adversaires ont réussi.
M. Francis Delattre. C’est vous qui n’êtes pas crédibles !
M. Gaëtan Gorce. Entre 1997 et 2002, plus de 1 million d’emplois ont été proposés aux jeunes : 900 000 dans le secteur marchand, dont 600 000 bénéficiant de contrats en alternance, et 200 000 dans le secteur non-marchand au travers des emplois jeunes.
M. Gabriel Biancheri. Ce n’a pas été grâce à vous : il y avait la croissance !
M. Arnaud Lepercq. Il s’agissait d’emplois précaires, sans formation !
M. Gaëtan Gorce. Aujourd’hui, ce sont à peine 250 000 contrats en alternance qui ont été signés et 120 000 contrats de professionnalisation, qui peinent à démarrer au regard des engagements que vous aviez pris.
Si je compare également les 50 000 contrats jeunes en entreprise aux 150 000 emplois jeunes, si je fais la comparaison avec les contrats aidés que vous avez supprimés, puis lentement réinstallés, c’est un déficit annuel de près de 100 000 emplois aidés en direction des jeunes qui vous est imputable. Mesurera-t-on un jour le poids de ce déficit sur la crise que nous avons connue dans les banlieues ? Ces chiffres ne sont-ils pas la conséquence de la suppression des emplois jeunes, notamment dans les écoles, de la suppression des éducateurs, de la suppression des policiers auxiliaires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean-Jacques Descamps. Vive les déficits !
M. Francis Delattre. Oui, tous ces emplois jeunes que vous aviez oublié de financer !
M. Gaëtan Gorce. On ne peut pas établir une corrélation automatique, mais le fait que vous fassiez la corrélation inverse montre bien à quel degré de mauvaise fois vous êtes contraints. Oui, 100 000 emplois de moins pour les jeunes, alors que ce sont 300 000 chômeurs de moins que nous devrions avoir aujourd’hui si vous aviez poursuivi la politique que nous avions initiée en direction des jeunes.
M. Francis Delattre. Avec des emplois non financés !
M. Gaëtan Gorce. Voilà la vérité que vous avez du mal à admettre.
Cela étant je ne veux pas prolonger avec vous une polémique qui, forcément, se retournera contre vous parce que les chiffres sont là.
M. Arnaud Lepercq. Les chiffres sont trompeurs !
M. Gaëtan Gorce. Je veux essayer de regarder plus directement et plus concrètement la situation des jeunes par rapport à l’emploi aujourd’hui et les mesures que vous proposez.
M. Francis Delattre. Ils n’étaient plus financés, vos emplois jeunes !
M. Patrick Roy. La droite les a supprimés !
M. Gaëtan Gorce. Le contrat « première embauche » que vous nous proposez présente au moins deux grands défauts.
D’abord, il cible les jeunes d’une manière spécifique alors que ce niveau de généralité peut et doit être discuté. Certes, il existe une spécificité du chômage des jeunes puisque si on élimine tous ceux qui sont en milieu scolaire, le taux de chômage des jeunes représente près de deux fois celui du reste de la population.
M. Pierre Micaux. Il y a des années que vous le répétez : Nous avons compris !
M. Francis Delattre. Des victimes du socialisme !
M. Gaëtan Gorce. Cependant il faut aller plus loin, car l’évolution du chômage des jeunes répond en réalité à un double facteur.
D’une part, il « surréagit » à la conjoncture. Lorsqu’on ne crée pas d’emplois et que le chômage s’aggrave, les jeunes sont les premières victimes parce que, souvent embauchés sur des contrats précaires, ils sont licenciés. À l’inverse, lorsque la conjoncture reprend et que le chômage baisse, que l’emploi est positif, les jeunes sont les premiers à en profiter, parce qu’ils sont les premiers et les plus nombreux à se présenter sur le marché du travail. La première réponse à apporter passe donc par le soutien à la croissance et à la création d’emploi. C’est à partir de cela que l’on peut trouver une solution au chômage des jeunes, mais vous en êtes incapables.
M. Francis Delattre. Si vous étiez si capables, vous auriez gagné l’élection présidentielle !
M. Gaëtan Gorce. Ne vous inquiétez pas, mon cher collègue, nous nous retrouverons en 2007 et l’on fera le bilan devant les électeurs de ce que vous avez fait et de ce que nous proposons. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Michel Vergnier. Êtes-vous certains de les avoir gagnées, les élections ?
M. Gaëtan Gorce. Le second facteur est lié à l’évolution à long terme du marché du travail.
On peut penser que les formes d’emploi des jeunes sont une anticipation des pratiques d’embauche des entreprises. Si les jeunes sont plus nombreux aujourd’hui dans des contrats précaires, c’est que, depuis vingt ans, les entreprises ont recruté de plus en plus pour leurs premières embauches à l’aide de contrats précaires et que les jeunes se présentant pour une première embauche ont été les premiers à en bénéficier, si j’ose dire. Cela montre d’ailleurs la limite de votre contrat « première embauche » car il n’aura pas pour effet de limiter la précarité qui est déjà la réalité des jeunes : il ne fera que l’accompagner ; il n’apportera pas de solutions concrètes.
On est en fait en droit de se demander si les jeunes sont concernés par un problème qui leur serait totalement spécifique ou s’ils ne sont pas, au contraire, les premières victimes des pratiques d’embauche précaire. Dans cette hypothèse, cela voudrait dire que la seconde action qu’il faudrait engager devrait porter non seulement sur la croissance, mais également sur le comportement de recrutement des entreprises, en combattant notamment le recours aux contrats précaires, grâce, par exemple, à la modulation des cotisations sociales en fonction des comportements d’embauche des entreprises, comme l’a proposé mon collègue Alain Vidalies à de nombreuses reprises.
M. Jean-Jacques Descamps. C’est le Soviet suprême !
M. Gaëtan Gorce. Ainsi, nous pourrions agir efficacement sur la situation de l’emploi des jeunes.
Par ailleurs si votre mesure cible trop et ne prend pas en compte cette réalité du marché du travail, elle repose sur une seconde erreur d’appréciation, celle qui consiste à globaliser la jeunesse en recherche d’emploi, à lui appliquer une mesure générale alors que les situations sont différentes, en particulier selon le niveau de qualification.
Faut-il rappeler à cet égard que 660 000 jeunes quittent chaque année l’école avec, au mieux, un brevet, et que 90 000 en sortent sans aucun diplôme.
M. Arnaud Lepercq. La faute à qui ?
M. Gaëtan Gorce. Quel argument indigent ! Si vous ne portez pas votre part de responsabilité, alors nous non plus et si vous en portez une, peut-être pourrions-nous la partager. En tout cas c’est vous qui êtes aux responsabilités depuis quatre ans et la situation n’a cessé d’empirer, ce qui fait que nous pouvons porter un jugement sur ce que vous faites autrement plus sévère que celui que vous avez tendance vous-même à proférer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Le contrat « première embauche » n’apporte pas de solution à ces jeunes directement.
M. Francis Delattre. Que proposez-vous ?
M. Maurice Giro. Rien, comme d’habitude !
M. Gaëtan Gorce. Il aura pour effet, au contraire, d’étendre la précarité.
M. Francis Delattre. C’est du Fabius ! du Hollande ! du Ségolène !
M. Gaëtan Gorce. En effet, comme je l’indiquais, le contrat « première embauche » s’appliquera à l’ensemble des jeunes, aux jeunes surdiplômés comme aux jeunes sous-diplômés.
M. Jean-Michel Fourgous. Quand allons-nous passer aux 32 heures ?
M. Gaëtan Gorce. Oh ! monsieur Fourgous, si le MEDEF vous a libéré de vos obligations, il n’est pas nécessaire de vous manifester dès maintenant. (Applaudissements sur divers bancs du groupe socialiste.)
M. Patrick Roy. Quelle force, ce Gorce !
M. Céleste Lett. Cela vole vraiment bas !
M. Gaëtan Gorce. L’effet de substitution et l’effet d’aubaine joueront à plein. À partir du moment où vous prévoyez une exonération des charges sociales pour un jeune ayant six mois de chômage, les entreprises seront forcément tentées de reporter le recrutement du jeune à l’issue de cette période plutôt que de l’embaucher dès son entrée sur le marché du travail. Par ce biais, vous aggraverez la précarité.
Oui, c’est bien une autre politique qu’il faudrait. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Gabriel Biancheri. Laquelle ?
M. Gaëtan Gorce. Avant tout, il faudrait une autre majorité pour la conduire. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Cette autre majorité, nous allons la constituer l’an prochain.
M. Jean-Michel Fourgous. Il faudrait doubler l’ISF !
M. Gaëtan Gorce. Cette autre politique devrait consister à encourager, comme nous l’avons fait lorsque nous étions aux responsabilités, l’élévation continue du niveau de formation initiale.
M. Francis Delattre. C’est du Fabius ! du Hollande ! du Ségolène !
M. Gaëtan Gorce. Vous avez fait de l’école votre adversaire (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) ; nous en ferons notre alliée dans la création d’emplois. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
D’abord, nous soutiendrons l’enseignement professionnel. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Oui, nous, nous croyons à l’effet bénéfique de l’école. Nous ne croyons pas à l’apprentissage à quatorze ans. Nous pensons que chaque jeune a le droit de pouvoir poursuivre sa scolarité dans des conditions adaptées avant de tourner sur le marché du travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Michel Vergnier. Ils ne connaissent pas l’école !
M. Gaëtan Gorce. Ensuite, nous développerons les formules qui rapprochent les études et la formation. Il faudrait, par exemple, relancer résolument l’ensemble des formations en alternance qui subissent, depuis que vous êtes au pouvoir, un curieux déficit de près de 100 000 contrats, comme je l’ai déjà souligné. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Il conviendrait aussi de réduire les inégalités d'accès à la formation, grâce à l'ouverture, pour chaque jeune, d'un compte individuel de formation alimenté à un niveau d'autant plus élevé qu'il aura quitté l'école plus tôt.
Enfin, il faudrait mettre en place un véritable encadrement de ces démarches d’insertion, tant au niveau du bassin d'emploi que d’un point de vue juridique, à travers un contrat pour lequel on peut trouver des dénominations diverses mais qui permettrait de rassembler tous les éléments de nature à garantir l’insertion des jeunes les plus en difficulté : une rémunération, une protection sociale, la capacité d’acquérir des droits, une formation et un accompagnement.
M. Gilbert Meyer. Il faut du travail !
M. Gaëtan Gorce. Il est également indispensable de réserver les allégements de cotisations à l’embauche des jeunes les plus en difficulté.
Voilà la politique qu’il faudra conduire si l’on veut être efficace en matière d’insertion professionnelle des jeunes.
M. Jean-Michel Fourgous. C’est de l’incompétence ! Ni expérience, ni compétence : que du bla-bla !
M. Gaëtan Gorce. Or tel n’est pas votre objectif. Votre objectif est, d’une manière cynique, de prendre le prétexte de la crise des banlieues pour précariser le contrat de travail et le contrat à durée indéterminée. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
C’est la raison pour laquelle le débat sur le fond ne vous intéresse pas. Vous ne cherchez que la polémique et le conflit, là où nous essayons d’apporter des propositions et d’avancer par la concertation. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean-Michel Fourgous. Vous vendez de la haine !
M. Gaëtan Gorce. Au total, si l’on peut douter de l’efficacité de ces mesures pour l’emploi, c'est qu'elles reposent sur une analyse biaisée, selon laquelle la flexibilité serait la mère des futurs emplois et qu'il conviendrait, par conséquent, de s'attaquer aux protections sociales, dénoncées comme autant d'obstacles au dynamisme économique.
Vous vous reposez, à ce sujet, sur un grand nombre d’idées fausses, sur des affirmations jamais vérifiées et qui méritent d’être contestées ici. Vous prétendez que la France se porterait mieux avec plus de contrats précaires.
M. Jean-Jacques Descamps. Plus de souplesse, c’est différent !
M. Gaëtan Gorce. Cette affirmation est erronée, parce que partielle. Il est possible que, si les entreprises pouvaient conclure des contrats de travail qui ne donnent aucune garantie au salarié, elle pourraient produire un peu plus. Tout comme il est vrai que les entreprises qui construisent des immeubles pourraient se dispenser de mesures de sécurité vis-à-vis de leurs salariés ; il y aurait sans doute alors plus de constructions. Est-ce une raison néanmoins pour remettre en cause le code de la construction ? Je n’en suis pas sûr !
M. Jean-Charles Taugourdeau. Vos propos sont scandaleux, insultants !
M. Jacques-Alain Bénisti. Il ne sait pas ce qu’est une entreprise !
M. Gaëtan Gorce. Votre raisonnement repose aussi sur l'idée fausse – et plus grave – que c'est au salarié d’assumer les risques liés à la compétition économique. On touche là à la question de fond : l’ensemble des mesures que vous préconisez vise à renforcer les garanties de l’employeur au détriment de celles du salarié, qui devrait désormais supporter les conséquence de la concurrence mondiale. C’est une inversion complète des principes de notre droit du travail et de notre protection sociale.
M. Jean-Michel Fourgous. Nationalisez tout ! Il n’y aura plus de problème !
M. Gaëtan Gorce. Je le souligne avec d’autant plus de force qu’il n’a jamais été démontré que la protection de l’emploi est l’ennemi de l’emploi. Même l’OCDE, longtemps le défenseur le plus acharné de cette conception, indique, dans ses perspectives pour l’emploi de 2004, qu’il n’existe aucun lien avéré et démontrable entre un niveau de protection de l’emploi donné et le niveau de chômage ou le niveau de création d’emplois.
M. Jean-Michel Fourgous. Il n’y a qu’à interdire les licenciements !
M. Gaëtan Gorce. Or vous ne cessez de nous expliquer – et c’est le pari que vous avez pris – que ce sont au contraire ces protections qu’il faut affaiblir. Ainsi tout votre texte est en contradiction avec les conclusions de l’OCDE.
Ce qui pose problème dans ce débat, c’est que vous voulez faire croire à nos concitoyens qu’il n’existe pas d’autre alternative que celle entre le changement – avec les régressions qu’il implique au travers de votre politique – et la résistance que vous qualifieriez d’immobilisme.
M. Jean-Michel Fourgous. Ce sont votre obscurantisme économique et votre incompétence qui posent problème !
M. Gaëtan Gorce. Nous ne pouvons accepter cette caricature. Sans doute devons-nous tirer les conséquences de l’évolution de notre société, des conditions dans lesquelles travaillent nos entreprises et dans lesquelles s’exerce la concurrence.
M. Jean-Michel Fourgous. Il n’y a qu’à interdire la concurrence ! Restaurez le communisme !
M. Gaëtan Gorce. Toutefois cette prise en compte ne saurait être un prétexte pour réduire les droits. Elle doit au contraire servir à les moderniser et à les ajuster.
Vous avez choisi la régression. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Nous ne choisirons pas l’immobilisme, mais les vraies réformes…
M. Guy Geoffroy. Lesquelles ?
M. Gaëtan Gorce. …celles qui auront le soutien des Français, celles qui seront négociées avec les partenaires sociaux et permettront d’ouvrir des perspectives.
La seule perspective que vous donnez à nos concitoyens aujourd’hui, c’est un avenir qui ne pourra être synonyme que de régression sociale. En leur laissant penser ainsi que leur mobilisation au travail et dans la société n’aura pour effet que de réduire et leur pouvoir d’achat et leurs droits, vous ne mesurez pas les conséquences de votre politique.
M. Jean-Michel Fourgous. Doublons donc la taille du code du travail ! Il n’y aura plus de problèmes !
M. Gaëtan Gorce. La responsabilité de la gauche et d’un mouvement socialiste…
M. Jean-Jacques Descamps. Archaïque !
M. Gaëtan Gorce. …mobilisé sera au contraire d’expliquer que, si le changement est nécessaire, il peut intervenir dans la cohésion sociale, en garantissant l’alliance entre le progrès économique et le progrès social. Vous opposez, vous, l’un à l’autre sans avoir ni la croissance, ni le progrès économique, ni la solidarité. Vous avez, au contraire, une société en crise et en régression.
Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter avec le maximum d’énergie, l’exception d’irrecevabilité que je viens de vous présenter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. Henri Emmanuelli. C’est quand même autre chose que Jean-Michel Dubernard !
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