Proposition de loi relative à la protection des travailleurs et du public contre le tabagisme passif
par MM. Claude EVIN, Jean-Marc AYRAULT, Gaëtan GORCE, François Hollande, Jean-Marie LE GUEN, Gérard BAPT, Pascal TERRASSE, Christian PAUL, Mme Paulette GUINCHARD, MM. Jean GAUBERT, Armand JUNG, Jean-Paul BACQUET, Pierre BOURGUIGNON, Mmes Patricia Adam, Sylvie ANDRIEUX, MM. Jean-Marie AUBRON, Claude BARTOLONE, Jacques BASCOU, Christian BATAILLE, Jean-Claude BATEUX, Jean-Claude BEAUCHAUD, Jean-Pierre BLAZY, Serge BLISKO, Patrick BLOCHE, Jean-Claude BOIS, Maxime BONO, Augustin BONREPAUX, Mme Danielle BOUSQUET
Mesdames, Messieurs,
Plus de 60 000 décès prématurés par an chez les fumeurs, 3 000 décès de non fumeurs liés au tabagisme passif : tel est le bilan du tabagisme en France. Il n'est pas besoin de revenir sur les innombrables études toxicologiques qui démontrent les effets pathogènes du tabac pour dire qu'au-delà du drame que constituent les maladies douloureuses pour les malades et leur entourage, la consommation de tabac est un fléau pour la santé publique.
Dès 1976, la France a su prendre conscience de cet enjeu de santé publique. La première loi française contre le tabagisme a été adoptée le 9 juillet 1976 (loi Veil). Elle a réglementé notamment la publicité et le parrainage des manifestations sportives. En outre, elle a interdit de fumer dans les lieux publics où cette pratique pouvait avoir des conséquences dangereuses pour la santé. Enfin, elle a prévu des mesures visant à informer le consommateur des risques liés au tabac. Cette législation n'étant pas suffisante le législateur français a voulu montrer la voie des politiques de prévention européennes en adoptant la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 qui, dans son article 16, pose l'interdiction de fumer dans tous les locaux à usage collectif sauf dans les emplacements réservés à cet effet.
Conscient des difficultés de rompre brutalement avec une ancienne politique libérale en la matière, le pouvoir exécutif a aménagé la mesure ainsi adoptée par l'intermédiaire du décret n° 92-478 du 29 mai 1992 déterminant les conditions d'application de la loi. Aux termes de ce décret, l'interdiction s'applique notamment dans les restaurants et cafés, à l'exception des emplacements expressément réservés aux fumeurs. Un récent document de travail du Sénat montre que la pratique a inversé les termes de la règle : l'interdiction de fumer ne s'applique que dans les emplacements expressément réservés aux non fumeurs (3).
Il apparaît que cette législation est mal appliquée, et finalement trop incomplète pour atteindre l'objectif de protection contre le tabagisme. Cette disjonction entre la loi et la pratique apparaît de plus en plus difficile à justifier. Alors que la France faisait office de modèle après l'adoption de la loi de 1991, elle apparaît désormais en retard sur les législations de nombre de ses voisins et partenaires européens. La légitime prudence des premiers pas au regard de l'acceptabilité sociale de l'interdiction résonne en 2006 comme un facteur du retard de la France dans la lutte contre le tabagisme.
Depuis le 29 mars 2004 en Irlande, il est interdit de fumer sur tous les lieux de travail, et notamment dans tous les restaurants et les pubs. La Norvège a suivi le même processus. Il est désormais habituel pour les clients de ces lieux de sortir fumer. En Belgique, en Italie, en Espagne la récente législation a mis progressivement en place des législations contraignantes qui affaiblissent la légitimité de la tolérance française. Le dernier exemple en date a été donné par les députés britanniques : ils ont voté le 14 février 2006, par 384 voix contre 184, en faveur de l'interdiction totale du tabac dans les lieux publics en Angleterre, y compris les pubs, restaurants et clubs privés.
Si, en premier lieu, ces législations visent fréquemment la consommation active de tabac, il apparaît désormais essentiel de protéger les travailleurs des effets du tabagisme passif et subi au travail. L'interdiction de fumer sur tous les lieux qui accueillent des salariés doit s'imposer du fait de l'obligation de protection du salarié qui pèse sur l'employeur, et de la condamnation pour faute inexcusable que ce dernier encoure. Un arrêt de la Cour de Cassation du 29 juin 2005 (n° 03-44412) pose en outre que l'employeur est tenu à une obligation de résultat en matière de protection contre le tabagisme dans l'entreprise.
Le 24 mai 2005, une communication du professeur Gérard Dubois à l'Académie nationale de médecine a montré que « Ce sont trois quarts des non-fumeurs et la moitié des fumeurs qui se plaignent d'être gênés par la fumée des autres. Ce sont 85 à 90 % des Français qui demandent à être efficacement protégés. » (4)
Cette protection contre le tabagisme croît de manière générale en Europe. Certes, dans certains pays, le secteur de la restauration est exonéré de l'interdiction de fumer sur les lieux de travail. Cette disposition expose gravement la santé de l'ensemble des travailleurs aux méfaits du tabagisme subi. En France, cette solution placerait les salariés des secteurs exonérés dans une situation d'inégalité inacceptable au regard de leur santé et de leurs conditions de travail.
Prenant en compte l'évolution des mentalités, la présente proposition de loi invite à une évolution majeure de la législation française, préconisant une interdiction effective générale qui protège non seulement le public mais aussi tous les travailleurs, quels qu'ils soient. Prenant en compte notamment l'impératif de la santé au travail, c'est un nouveau pas en avant dans la prévention et la lutte contre le tabagisme qui apparaît nécessaire.
L'article 1 pose le principe général d'interdiction que l'article 2 propose de mettre en œuvre six mois après la publication de la loi afin d'autoriser une large information de l'opinion publique avant son entrée en vigueur.
PROPOSITION DE LOI
Article 1er
Dans le premier alinéa de l'article L. 3511-7 du code de la santé publique, les mots : « , sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs » sont supprimés.
Article 2
La présente loi est applicable six mois après sa publication.
Commentaires