Proposition de loi présentée par Elisabeth Guigou, Gaëtan Gorce, Alain Vidalies, Jean Gaubert, Marylise Lebranchu, Geneviève Gaillard, Jean-Marc Ayrault, Germinal Peiro, Jean-Paul Bacquet, François Brottes, Claude Bartholone, Jean-Pierre Balligand, Philippe Tourtelier, Jean-Louis Bianco
Mesdames, Messieurs,
Depuis leur création par la loi Neiertz du 31 décembre 1989, les commissions départementales de surendettement ont étudié près de 1,8 million de dossiers, dont 1,5 million étaient recevables. Le rythme annuel de dépôt des dossiers croît fortement. Nous pouvons en compter près de 190 000 en 2004, soit une augmentation de 160 % par rapport à 1994. Entre 2004 et 2005, le nombre de dossiers recevables a augmenté. Plus de 19 000 décisions d’orientation vers la procédure de rétablissement personnel acceptées par les débiteurs ont été prises par les commissions en 2005.
Douze lois ont été adoptées depuis 1989 pour encadrer le crédit à la consommation. Mais la protection du consommateur demeure insuffisante. L’apparition de nouvelles formes de crédits et l’évolution du recours à l’endettement sont préoccupantes. En tête des nouveaux instruments de crédits, le crédit permanent, plus connu sous le nom de crédit revolving – et parfois nommé « crédit révolver » – est une forme de crédit consistant à mettre à disposition d’un emprunteur une somme d’argent sur un compte dévolu à ce titre ouvert près de l’établissement qui dispense ce crédit, de façon permanente. Il agit comme un substitut au maintien du pouvoir d’achat des ménages précarisés et fragilisés.
Surtout, le renouvellement du crédit permanent s’opère au fur et à mesure des remboursements de l’emprunteur dans la limite du montant autorisé par l’organisme, et à concurrence de la partie remboursée. Nous sommes donc en présence d’une possibilité d’endettement constant, alors que le nombre de crédits permanents n’est pas limité dans les faits.
Le médiateur de la République le posait le 14 décembre 2006 : le surendettement est la conséquence d’une transformation des rapports sociaux. La cause peut en être trouvée dans « la financiarisation des rapports sociaux ». « Le crédit s’est aussi imposé comme un moyen banal pour financer un projet ou pour faire face à un besoin ponctuel et imprévu de liquidité. Alors que s’endetter était un signe de déchéance sociale, le système encourage maintenant l’endettement : à consommation de masse, crédit de masse ! »
Une telle situation est d’autant plus délicate que ces crédits permettent au consommateur de financer les achats de son choix. Ce ne sont plus seulement les achats exceptionnels pour lesquels le recours au crédit est opéré, mais bien l’ensemble des dépenses de la vie courante.
À ce titre, l’endettement est d’abord la conséquence de la vie chère, alors que la société de consommation pousse chacun à vouloir toujours plus pour se conformer à la norme sociale. 15 % des dossiers comportaient au moins un crédit immobilier en 2001, cette proportion a été ramenée à 10 % en 2004. La part des crédits à la consommation est, elle, en augmentation. Nous devons constater que le nombre de crédits revolving dans les dossiers de surendettement augmente de 5 % par rapport à 2001. En particulier, leur nombre moyen par dossier augmente (6 en 2004, 3 en 2001).
Les chiffres marquent une réalité économique et sociale des ménages français inquiétante accompagnée d’une précarisation sans précédent de l’emploi. Au final, d’après le ministère des finances, 648 500 ménages étaient surendettés à la fin de l’année 2005.
L’enquête de la Banque de France, en septembre 2005, a confirmé l’ampleur du phénomène, qui n’a cessé de croître depuis le début des années 1990, avec une accélération de l’endettement des ménages depuis cinq ans. En Europe, l’augmentation du crédit à la consommation (14,4 % de l’endettement des ménages en 2004) s’est sensiblement accélérée en 2004 (+ 8,7 %, après + 2,5 % en 2003) tout en restant inférieure à celle du crédit à l’habitat. Le taux de progression français a été supérieur à la moyenne européenne en 2003 (+ 5,1 %), mais inférieur en 2004 (+ 4,2 %).
En décembre 2006, Emmaüs France illustrait le phénomène à l’œuvre. La peur des Français de se retrouver sans domicile fixe apparaît importante. De fait, la moitié de la population se sent désormais directement menacée par l'exclusion, soit bien plus que les 6,9 millions de personnes qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté défini par l'INSEE : 788 euros par mois. Pire, seuls 17 % des Français estiment qu'être sans-abri « ne leur arrivera jamais » ! Une société de la crainte émerge. Elle caractérise la politique menée depuis 2002 et que la majorité sortante propose de reconduire.
C’est tout le système du crédit qui apparaît devoir être désormais critiqué. En 2007, 600 000 ménages modestes mais solvables sont exclus du crédit. L’amélioration de l’accès au crédit ne va pas sans règles de régulation propres à éviter le surendettement. Le 14 décembre 2006, le Médiateur de la République interpellait le Gouvernement sur l’urgence de lutter contre le malendettement à l’œuvre. Parlant de « violence » anéantissant « socialement un individu » et qui « provoque l’isolement, la marginalisation », le Médiateur abordait l’urgence d’un traitement adéquat de cette question.
La question du fichier positif d’endettement a été posée. Pour le médiateur de la République, « le fichier négatif est insuffisant. Seules les personnes en rupture de paiement sont enregistrées. Le prêteur ne dispose donc pas de renseignements au sujet des personnes qui sont à la limite de leur capacité de remboursement, mais qui ne sont pas encore en retard de paiement. Ces emprunteurs ont souvent besoin d’un crédit complémentaire qui risque de déclencher la catastrophe. »
En 1998, un rapport sénatorial posait la question de la responsabilisation des prêteurs : « le groupe de travail a pu constater la multitude de prêts contenus dans certains dossiers déposés auprès des commissions de surendettement. Il s'est demandé à chaque fois si les derniers prêteurs n'avaient pas manifestement fait preuve d'une trop grande légèreté dans l'octroi des crédits, attitude méritant d'être sanctionnée. Or, lorsque cette question est évoquée devant ces établissements, ils se retranchent toujours derrière le caractère déclaratif des informations fournies par les demandeurs de crédit pour nier leur responsabilité. »
Certes, l'article 12 de la loi Neiertz prévoyait que les prêteurs peuvent être traités différemment au regard des précautions dont ils ont entouré l'octroi du crédit. Mais l'expérience a montré que la preuve d’une connaissance exacte de la situation de l'emprunteur par le prêteur qui aurait pris un risque inconsidéré méritant sanction est très difficile à établir.
Ce rapport sénatorial plaidait en définitive « pour une réflexion au sein de la profession bancaire sur l'adoption de règles déontologiques applicables à l'octroi du crédit ». Cette démarche n’a semble-t-il pas porté ses fruits.
Devant les difficultés vécues par le pays réel, devant les très nombreuses sollicitations dont sont l’objet nos concitoyens pour accroître leur endettement, l’action est urgente. Réguler les crédits à la consommation s’impose. Il s’agit de rééquilibrer les relations entre les consommateurs et les prêteurs.
Les deux titres de la présente proposition de loi visent ainsi à moraliser la publicité et à responsabiliser les prêteurs.
Dans le premier titre, il est proposé de limiter la publicité des crédits renouvelables tout en augmentant l’information des consommateurs sur les éléments du crédit souscrit.
Dans le second titre, un fichier national de l’endettement des consommateurs est proposé, sous la responsabilité de la banque de France. Ce fichier est interrogeable par les seuls emprunteurs qui peuvent ainsi obtenir un certificat de niveau d’endettement lors de la souscription d’un emprunt. Il permet de responsabiliser les deux parties au contrat d’emprunt.
PROPOSITION DE LOI
TITRE IER
RÉGULER LA PUBLICITÉ
Article 1er
Après l’article L. 311-9-1 du code de la consommation, il est inséré un article L. 311-9-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 311-9-2. – Le démarchage, la distribution et l’ouverture de crédits renouvelables ne peuvent s’opérer dans la même enceinte que celle de l’achat du bien.
« Le démarchage à domicile est interdit. »
Article 2
Après l’article L. 311-5 du code de la consommation, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. L. 311-5-1. – La publicité portant sur les crédits renouvelables visés à l’article L. 311-9 est interdite. »
Article 3
L’article L. 311-10 du code de la consommation est complété par un 5° ainsi rédigé :
« 5° mentionne le seuil de l’usure correspondant aux prêts ou crédits proposés. »
Article 4
L’article L. 311-4 du code de la consommation est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les mentions relatives au coût total, au taux effectif global ainsi qu'au montant des remboursements doivent être portées avec des caractéristiques techniques identiques à celles relatives au montant de l'opération proposée. »
Article 5
Après l’article L. 121-1 du code de la consommation, il est inséré un article L. 121-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 121-1-1. – Les promotions faisant état d’un taux de crédit ne peuvent comporter de caractères de police de taille supérieure à celle utilisée pour l’information relative au taux effectif global. »
TITRE II
RESPONSABILISER LE PRÊTEUR
Article 6
Après l’article L. 313-6 du code monétaire et financier, il est inséré une sous-section 3 ainsi rédigée :
« Sous-section 3
« Fichier national des crédits aux consommateurs
« Art. L. 313-6-1. – Il est institué auprès de la banque de France un fichier national recensant les crédits accordés aux personnes physiques pour des besoins non professionnels. Ce fichier est géré exclusivement par la Banque de France. Il est soumis aux dispositions de la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
« Ce fichier est indisponible aux établissements de crédits. L’emprunteur interroge la banque de France sur son état d’endettement.
« Les modalités de fonctionnement du fichier sont définies par décret en conseil d’État. »
Article 7
Après l’article L. 311-30 du code de la consommation, il est inséré un article L. 311-30-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 311-30-1. – Le prêteur qui a accordé un crédit sans s’être préalablement informé de la situation de solvabilité de l’emprunteur, et notamment de sa situation d’endettement global et de ses revenus, ne peut exercer de procédure de recouvrement à l’encontre de l’emprunteur défaillant, ou de toute personne physique ou morale s’étant portée caution.
« Si l’emprunteur a, en connaissance de cause, fait des fausses déclarations ou remis des documents inexacts en vue d’obtenir un crédit, il exonère le prêteur de la responsabilité prévue au premier alinéa. »
Article 8
Après l’article L. 311-8 du code de la consommation, il est inséré un article L. 311-8-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 311-8-1. – La créance née de l’ouverture des opérations de crédit visées à l’article L. 311-2 est inopposable à la communauté, à l’indivision et au membre de la communauté ou de l’indivision qui ne l’a pas expressément acceptée. »
Article 9
Après l’article L. 121-25 du code de la consommation, il est inséré un article L. 121-25-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 121-25-1. – La souscription des crédits renouvelables visés à l’article L. 311-9 ouvre droit au crédit sept jours francs après l’engagement. Durant ce délai, le souscripteur a droit de rétractation. »
© Assemblée nationale
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