Coordonnées

  • Permanence parlementaire de Gaëtan Gorce :
    32 rue du commerce Appt. 9 - 58200 COSNE SUR LOIRE _____________________________ Tél : 03 86 26 91 99 _____________________________ Fax : 03 86 26 89 97 _____________________________ Mail : [email protected]

Me suivre sur Twitter

« Interview dans Le Monde | Accueil | Le vaisseau fantôme… »

03 décembre 2008

Commentaires

Ricot Jacques

Cher Gaëtan Gorce,
Nous nous sommes rencontrés sur une estrade lors du congrès de la société des soins palliatifs à Besançon en 2004 et nous avions prolongé nos propos cordiaux par un petit échange épistolaire. Pour l'homme de gauche que je suis, c'est une grosse déception de voir que vous vous alignez sur le politiquement correct des médias concernantla question de la fin de vie. Heureusememt, il y a encore Badinter et puis aussi Evin pour que ceux qui comme moi sont engagés dans un combat pour éviter les dérives de certains de nos voisins ne désespèrent encore plus de la gauche. Vous étiez absent quand j'ai pu m'exprimer lors d'une audition, où j'accompagnais une amie atteinte d'un locked-in-syndrom. Je vous aurais remis le texte que j'ai rédigé avec une médecin de gauche spécialisés dans les soins palliatifs. En lisant votre blog, je constate que vous cédez à l'idéologie au détriment d'une perception objective de la situation. j'ai été rès peiné de vous voir affirmer avec une assurance étonnante la contrevérité suivante s'agissant de Chantal Sébire qui était tout sauf une de ces personnes "qui ne se voient proposer aucune issue, ni juridique ni médicale" ? Vous avez mieux à faire que d'emboîter le pas à Nadine Morano...
Prendrez-vous le temps de lire la réflexion que j'ai rédigée avec Isabelle Marin? Toutes nos citations sont empruntés à des gens de gauche ? La voici :


L’euthanasie est-elle de gauche ?

Souvent, en France, le débat sur l’euthanasie est présenté comme l’affrontement entre le respect religieux archaïque de la sacralité de l’existence humaine et la liberté individuelle de maîtriser sa vie et donc sa mort. Il y aurait d’un côté les tenants inhumains d’une vie à conserver à n’importe quel prix, brandissant l’interdit du meurtre comme un absolu ne souffrant aucune exception. Et d’un autre côté, on trouverait l’immense cortège des gens civilisés, humains et modernes, revendiquant le droit à se soustraire à l’emprise du pouvoir médical et religieux pour décider du moment opportun de la mort de chacun. Selon cette dernière perspective, deux ennemis du progrès, alliés objectifs, sont identifiés : les médecins et les Églises, les mandarins et les cardinaux, soutenus par les forces politiques réactionnaires, c’est-à-dire la droite toujours en retard d’une évolution des mœurs et sourde aux demandes sociales du peuple toujours en avance, lui, sur les élites conservatrices, forcément conservatrices. Nous voudrions dire ici, qu’une certaine gauche, trahit ses propres fondamentaux en caricaturant de la sorte le débat et en en demandant la légalisation de l’euthanasie au détriment du combat pour plus de justice, de liberté authentique, d’égalité et de solidarité, principes qui ont fait sa noblesse et son histoire, principes que la question de la fin de vie a un besoin urgent de réactualiser.

Fustiger la religion des clergés permet de faire l’impasse sur le type de foi et de croyance qui nous gouverne désormais : la religion du progrès et la religion du bonheur unies dans le songe d’une maîtrise du monde et de soi. Si nous avons commencé à en rabattre sur la possession de l’univers selon le rêve scientiste de nos devanciers depuis que nous avons appris la vulnérabilité de la nature, nous n’admettons pas encore que l’humanité de l’humain soit un trésor fragile à protéger contre l’illimité des désirs, surtout quand ils sont mortifères. Pour mieux discerner le point aveugle du « bien mourir » que proposerait une « euthanasie » propre, aseptisée, indolore, consentie, rien n’est plus instructif qu’un bref détour par la question du soi-disant « bien naître » telle qu’elle fut envisagée par les eugénistes dans la première moitié du XXème siècle : il a fallu le nazisme pour nous dégriser et briser les enthousiasmes de nos savants éclairés, tous pays occidentaux confondus, qui ne se différenciaient alors nullement de leurs collègues allemands en ces matières. D’où vient le refus obstiné de voir qu’un Alexis Carrel n’a aucunement élaboré ses honteuses thèses eugénistes sous Vichy, mais dans la quiétude des sociétés savantes américaines des années trente, en pleine harmonie avec ses collègues scientifiques progressistes, forcément progressistes, unis pour vaincre l’obscurantisme ? Une certaine gauche en panne de projet et toujours envoûtée par la religion du progrès et de la maîtrise, s’interdit de penser objectivement la question de la fin de vie et d’être aux avant-postes d’une lutte pourtant urgente sur le terrain de la solidarité et des soins dus aux plus démunis.

Regardons les choses en face : la demande d’euthanasie n’est en aucune façon une exigence de « mourir dans la dignité ». À ceux qui brandissaient l’étendard de la dignité pour célébrer non sans indécence le suicide annoncé de Mireille Jospin, Delfeil de Ton avait répliqué simplement et sainement : « Pourquoi semblent-ils, avec cette formulation, dénier la dignité de la mort des autres ? Qui meurt indigne ? La souffrance rend indigne ? Une fin de vie misérable, c’est une fin de vie indigne ? Chacun meurt comme il peut, il n’y a pas plus de dignité chez l’un que chez l’autre » (Nouvel Observateur du 18 décembre 2002). Les militants les plus déterminés à obtenir la légalisation de l’euthanasie reconnaissent désormais publiquement que le mot « dignité » fut particulièrement malencontreux (Gilles Antonowicz dans Fin de vie, p. 160) ; il est jeté avec trop de violence à la face de ceux qui continuent à vivre avec un handicap souvent plus lourd que ceux qui ont décidé d’en finir pour cause de vie « indigne » d’être vécue ! Ce qui ressort d’un examen attentif de la demande d’euthanasie ou de suicide assisté est qu’elle est aujourd’hui précisément une demande de mourir dans la liberté, c’est-à-dire en fonction de l’idée que chacun se fait de l’intérêt ou de l’utilité de continuer à vivre. Sans doute, cette liberté est-elle toujours étrange, puisqu’elle consiste contradictoirement à se nier au moment où elle pense se réaliser. Elle manifeste le renoncement d’une personne qui ne trouve plus les ressources qui donneraient un sens à une vie devenue difficile et procède de l’illusion d’une maîtrise de la mort alors qu’elle n’est qu’une capitulation anticipée devant l’inéluctable. Elle est l’acte tragique, profondément intime et fréquemment respectable, d’un être le plus souvent déchiré et son abandon de la vie devrait commander le silence déférent et compatissant au lieu de l’approbation tonitruante et inconvenante dont l’effet contagieux et massif sur les personnes vulnérables n’est plus à démontrer. Le suicide est, si l’on prétend y voir un acte de la volonté, une « liberté » individuelle que la loi juridique ne condamne pas depuis qu’il a été décriminalisé en 1791, mais qu’elle n’approuve pas, ni, encore moins, n’encourage.
L’acte de mettre fin à ses jours soi-même est d’une tout autre nature que celui de donner la mort à autrui (euthanasie) ou de lui fournir les moyens du suicide (suicide assisté) : en ces deux situations, un tiers – individu, médecin ou État – donne sa caution à la plainte de celui qui veut en finir et lui murmure ce message : « Oui, ta vie doit d’arrêter, il n’y a pas d’autre solution dans la situation où tu te trouves que la mort délibérément donnée ». Imagine-t-on les dommages collatéraux et particulièrement ravageurs que cela provoque chez les êtres dont la vie n’est point encore parvenue à son terme, les handicapés lourds, les victimes de longue maladie sans espoir de guérison, les personnes âgées ? Comment ne pas voir l’effet délétère de ces « affaires » compulsivement répétitives et jetées en pâture à l’opinion sans aucun examen critique (sinon trop tardif) à laquelle on affirme avec une gourmandise suspecte et une paresse intellectuelle consternante, qu’elles « relancent le débat sur l’euthanasie » ? Les services hospitaliers peuvent témoigner que la simple médiatisation des « affaires », conduite sans précaution, détruit avec une efficacité diabolique la sérénité de beaucoup de personnes en fin de vie ou invalides, brutalement désavouées dans le sens qu’elles trouvaient encore à vivre leur existence jusqu'à son terme. Qui prend le temps d’examiner minutieusement ces « affaires », une par une, en découvre à chaque fois les montages et les non-dits, les exploitations calculées, militantes et parfois financières. Et la déontologie des journalistes, obligés à la surenchère dans l’univers impitoyable de la concurrence, est souvent mise à mal parce qu’il leur faut bien alimenter la ferveur du public pour les morts spectaculaires, surtout quand elles sont annoncées. L’affaire Sébire présentée de façon largement tronquée, après l’affaire Humbert dont les zones d’ombre ne sont pas aujourd’hui dissipées, est emblématique de toutes ces dérives.
La mort donnée, de façon douce au malade qui la réclame ou parfois brutale à l’invalide qui ne la demande pas, provoque une fascination qui abolit tout esprit critique. Le drame de celui qui donne la mort parce qu’il est impuissant à soulager la personne aimée, est promptement transformé en « geste d’amour » ce nouveau bouclier sémantique, plus émotionnel qu’éthique. En récusant l’usage du « geste d’amour » pour masquer la réalité du meurtre compassionnel, il ne s’agit aucunement de juger en moralisateur la détresse de la personne qui ne peut plus résister à la demande (quand celle-ci se manifeste) de mort d’un proche, ni de nier le fort rapport affectif qui relie le meurtrier et sa victime, mais il convient de refuser énergiquement un dévoiement lexical aux effets dévastateurs. En 1962, une mère, avec la complicité de membres de sa famille et de son médecin, avait tué son bébé atteint d’une malformation grave et l’opinion avait bruyamment applaudi le verdict d’acquittement prononcé à Liège. Un homme, qui n’avait rien d’un moraliste sirupeux, Morvan Lebesque, fut l’une des rares personnalités à ne pas se laisser submerger par la seule émotion. Voici ce qu’il écrivait dans Le Canard enchaîné du 14 novembre 1962 et qui devrait fournir un repère éthique précieux pour se méfier de la tyrannie de la foule lorsqu’elle laisse l’émotion paralyser toute réflexion, hier comme aujourd’hui : « Il fallait leur pardonner, je le répète. Il fallait les acquitter. Mais on ne les a pas acquittés. On les a appelés des « saints », des « héros », des « martyrs ». On a célébré leur « courage surhumain », leur « pitié sublime ». Une foule en délire les a réclamés au balcon, « comme le roi et la reine » ; on hurlait de joie dans les rues, on a couvert ces « héros » d’une montagne de fleurs, on les a portés en triomphe et conduits en cortège jusqu’à la brasserie où ils ont joyeusement fêté le verdict ».

Le philosophe Alain Badiou, en 1993, observait que le mot « euthanasie » pose en clair la question : « Quand et comment, au nom de notre idée du bonheur, peut-on tuer quelqu’un ? ». […]. Et certes, la souffrance, la déchéance, ne sont pas « dignes », ne sont pas conformes à l’image lisse, jeune, bien nourrie, que nous nous faisons de l’Homme et de ses droits. Qui ne voit que le « débat » sur l’euthanasie désigne surtout le défaut radical de symbolisation où se trouvent aujourd’hui la vieillesse et la mort ? Le caractère insupportable de leur vision pour les vivants ? ». Notre société, selon les termes de la loi du 22 avril 2005 (loi Leonetti),
demande que soit soulagée la douleur même si elle devait provoquer l’abrègement de la vie ; elle refuse clairement l’obstination déraisonnable et l’imposition d’un traitement à un patient qui le refuse. En résumé, elle consent à la mort qui vient, elle ne condamne pas le suicide mais n’y incite pas, elle refuse que l’on provoque délibérément la mort d’autrui, fût-ce à sa demande selon une conception plus libertaire et individualiste que solidaire et fraternelle. Ces principes éthiques sont en accord avec l’humanisme dont la gauche se réclame ; ils permettent aux personnes vulnérables d’éviter d’intérioriser le regard social selon lequel leur vie ne vaudrait pas d’être vécue, intériorisation qu’on peut constater dans des pays voisins ; ces principes sont, au demeurant, la meilleure protection contre le développement des euthanasies clandestines dont on sait qu’elles sont presque aussi nombreuses que les milliers d’euthanasies officielles annuelles, aux Pays-Bas, et cela dans l’indifférence générale.

Il arrive qu’une loi soit transgressée et parfois il n’est guère possible de faire autrement : cela ne signifie nullement qu’elle doive être modifiée, fût-ce en définissant des exceptions. La transgression de la loi n’est pas sa négation. Paul Ricœur, s’exprimant sur la question de la fin de vie l'avait dit très nettement en 2000, en réaction contre un avis mal rédigé du Comité consultatif national d’éthique : « Qu’est-ce qu’une exception pour laquelle il n’y aurait pas de règle ? A-t-on oublié la réflexion d’Aristote sur l’équité confiée au sage lorsque la loi, trop abstraite et trop générale, ne peut plus prononcer une parole de justice dans une situation concrète marquée par l’urgence et la détresse ? ».

Que la gauche laisse donc à d’autres, tentés par l’ultralibéralisme individualiste et la politique du « tout compassionnel », le souci de se battre pour la légalisation de l’euthanasie et qu’elle se concentre sur les véritables enjeux de la fin de vie : choisissant le courage, elle retrouvera estime et crédibilité. Voici quelques pistes pour aller dans ce sens.
Les soins palliatifs tentent au jour le jour de rendre la vie désirable ou simplement vivable. Ils cherchent à soulager les symptômes, la douleur et la souffrance en utilisant les données de la médecine « dure » moderne et en intégrant d’autres savoirs et d’autres types de prise en charge. Ils remettent à l’honneur ce qu’est le soin. En cela, ils sont le paradigme de toute médecine qui ne rend personne immortel et se contente de guérir, très rarement, de prolonger la vie parfois, de soulager toujours. Cette remise en cause des dérives techniques actuelles : l’acharnement thérapeutique, la médicalisation outrancière dont l’euthanasie est le dernier avatar (car c’est encore une manière insidieuse de restaurer le pouvoir médical) s’oppose à la religion du progrès qui ne peut admettre les limites de notre maîtrise et à la religion du bonheur euphorisant qui condamne toute vie n’embrassant pas la totalité des plaisirs disponibles.
Il n’est certes pas facile de penser la mort ; mais la réduire à une pure décision fait écho à une pensée de la vie comme pure consommation. Pour les malades et leurs familles, la richesse du temps qui reste quand il est compté en est annihilé et toute la vie avec lui. Or devant la maladie, le handicap, la souffrance, nous changeons de point de vue : la famille, l’entourage, les autres deviennent essentiels. Et il faut le dire même si cela nous choque, ce sont toujours les autres qui, prenant soin du malade, décident pour lui.
Il nous apparaît alors que la société se doit de penser la place qu’elle fait aux démunis et aux malades en termes politiques et économiques : quels moyens nous donnons-nous pour faire place aux fragiles, aux souffrants et aux précaires, quel hôpital construisons-nous, plateau technique ou lieu de soin et d’accueil, enfin préférons-nous financer les firmes pharmaceutiques au détriment du personnel ? Comment ne pas désirer la mort quand vous n’avez plus de place dans le monde et aux yeux de tous ?
Le débat sur la fin de la vie reflète l’inconciliable des valeurs de l’individualisme et du collectif, et le choix politique entre le capitalisme ultra-libéral et une société solidaire.

Isabelle Marin est médecin, responsable de l’équipe mobile de soins palliatifs de Hôpital Delafontaine, coordinatrice d'Onconord, Saint-Denis, auteur de Allez donc mourir ailleurs ! (Buchet/Chastel).
Jacques Ricot est philosophe, chargé de cours de bioéthique à l’université de Nantes, auteur de Philosophie et fin de vie (ENSP).


L'utilisation des commentaires est désactivée pour cette note.