Paris, le 9 février 2009
Monsieur le Président de la République,
Par notre lettre du 5 septembre 2008, nous vous avons fait part du profond attachement qui est le nôtre à ce que la vérité soit faite sur les conditions dans lesquelles M. IBNI OUMAR MAHAMAT SALEH, leader de l’opposition tchadienne, a disparu en février 2008.
La « commission d’enquête sur les événements survenus en République du Tchad du 28 janvier au 8 février 2008 » a rendu son rapport le 3 septembre 2008.
Ce rapport indique : « IBNI OUMAR MAHAMAT SALEH étant la seule victime à ne pas être réapparue, il est en effet permis de penser qu’il serait désormais décédé :
- soit en succombant aux mauvais traitements qu’il aurait subis (coups, tortures, manque de soins et de médicaments, etc.)
- soit en ayant été assassiné, s’agissant en l’occurrence d’un « assassinat politique ».
Ce rapport établit la responsabilité de l’Etat tchadien dans les termes suivants : « Ces disparitions sont intervenues au moment où l’armée gouvernementale avait repris le contrôle de la situation dans la ville de N’Djamena. Par conséquent, d’une part ces actes sont imputables à l’Etat tchadien et (…) il en est de même d’autre part des arrestations et détentions arbitraires et d’enlèvements des personnalités politiques dont il est question dans le rapport ».
Ce rapport indique clairement les limites des investigations auxquelles il a été procédé dans les termes suivants : « La « preuve parfaite » du sort d’IBNI OUMAR MAHAMAT SALEH sera vraisemblablement impossible à trouver sans une volonté des plus hautes autorités de l’Etat. L’implication d’un service étatique, en l’occurrence l’Armée Nationale Tchadienne, étant parfaitement démontrée, seule cette volonté de l’Etat Tchadien serait susceptible de permettre la manifestation de la vérité, l’identification des auteurs et leur traduction devant la justice ».
Les observateurs de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) et de l’Union européenne (UE) ont considéré, quant à eux, que « la manifestation de la vérité n’a pu être faite sur certaines affaires, en particulier sur le cas emblématique de la disparition de l’opposant politique IBNI OUMAR MAHAMAT SALEH ». Ils « le regrettent et réaffirment leur attachement profond à ce que toute la lumière soit faite sur ces faits graves, estimant que les travaux de la commission d’enquête ne doivent constituer qu’une première étape de cette recherche de la vérité et de la justice ».
Par un arrêté du 25 septembre 2008, le Premier Ministre, chef du gouvernement du Tchad, a mis en place un « comité de suivi du rapport d’enquête » précité.
Celui-ci comprend onze membres : dix sont des membres du gouvernement du Tchad, le onzième étant le Secrétaire Général de la Présidence de la République.
Il est évident que ce « comité de suivi » ne présente aucune des garanties d’indépendance qui s’imposent s’agissant de la suite à donner au rapport de la commission d’enquête.
Enfin, par courrier du 28 novembre, neuf associations attachées à la défense des Droits de l’Homme vous ont écrit pour vous faire part de leur demande de voir les responsabilités établies dans les événements survenus au Tchad et tout particulièrement en ce qui concerne « le complot visant à enlever cinq importants leaders de l’opposition politique, dont M. IBNI OUMAR MAHAMAT SALEH, très probablement mort en détention ». Ces associations s’interrogent sur le « rôle de la France dans ces événements » et sollicitent votre position « sur les conclusions du rapport de la commission d’enquête ainsi que votre point de vue sur la manière dont la France envisage de soutenir les victimes des crimes de guerre au Tchad et d’user de son influence pour que les responsabilités soient recherchées et que l’Etat de droit soit respecté ».
A notre connaissance, cette lettre n’a pas reçu de réponse – pas plus que notre lettre du 5 septembre.
C’est pourquoi, très attachés à ce que toute la lumière soit faite sur la disparition de M. IBNI OUMAR MAHAMAT SALEH, universitaire qui a fait ses études et soutenu sa thèse en France, ancien recteur, ancien ministre, défenseur des libertés politiques et des droits de l’Homme, nous avons l’honneur de vous demander solennellement, Monsieur le Président de la République, quelles initiatives concrètes la France compte prendre – et aussi les instances européennes – afin que les responsabilités soient établies et que les coupables soient sanctionnés par la Justice.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Président de la République, à l’expression de notre haute considération.
Gaëtan GORCE Jean-Pierre SUEUR
Député de la Nièvre Sénateur du Loiret
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