Cher Gérard Courtois,
Dans l'édition du Monde datée du 2 juin, vous vous interrogez sur l'état du Parti socialiste pour conclure qu'il serait tout simplement épuisé. On comprend que vous voulez dire par là qu'il se srait « vidé de sa substance » pour avoir accompli sa mission historique.
Le paradoxe est que cette situation d'extrême fatigue est la conséquence d'une absence totale de tout véritable travail. Il s'agirait donc plutôt d'une sorte de maladie de langueur sur les raisons de laquelle je ne reviendrai pas. En tout cas pour ce qui concerne la part de responsabilité qui incombe aux hommes et à leurs méthodes. J'ai déjà eu l'occasion de dire maintes fois que la proportionnelle avait introduit dans ce parti une sorte de « socialisme de la rente » où chacun, assuré de conserver la place qu'il occupe de toute éternité, est peu sollicité à se remettre en cause. Tout cela ressemble au fond à ce que l'on a pu observer ici ou là dans certaines églises, chacun balbutiant le même crédo, par la seule force de l'habitude, pour mettre bien longtemps à s'apercevoir que celui-ci s'était vidé de toute force de conviction.
C'est en réalité faute d'avoir été capable de maintenir vivant un véritable débat doctrinal que le Parti socialiste s'est ainsi peu à peu alangui. Aussi est-il urgent de redonner la parole aux philosophes et aux historiens. Si l'on prenait la peine de retrouver le fil des grandes discussions qui ont fait vivre le mouvement socialiste pendant des décennies, on ferait ressurgir un véritable trésor, oublié par des générations ingrates, mais qui ne demande qu'à être exhumé et réactualisé.
Jusqu'à une période récente, les grands leaders socialistes étaient à la fois des hommes ou des femmes de pensée et des hommes ou des femmes d'action. Le long cheminement qui devait conduire le socialisme à la démocratie, à travers une vision exigeante de celle-ci, puis au marché, à travers une conception innovante du rôle social de l'État, s'est interrompu dans la deuxième partie du siècle dernier. Cette rupture du fil de la pensée s'est effectuée au fur et à mesure que les socialistes dans l'Europe entière parvenaient au gouvernement. C'est ainsi au moment même où les idées les plus neuves (qu'on les qualifia de révisionnistes avant la guerre, ou de réformistes après celle-ci) s'imposaient dans les faits, que les socialistes cessèrent de les revendiquer ouvertement.
Dès lors, être rénovateur aujourd'hui, c'est accepter de se reporter aux textes anciens, de Bernstein à Jaurès, d'Henri De Man à Antony Crossland, pour reprendre la réflexion là où ceux-ci ils l'avaient arrêtée... Non pour la placer sur un piédestal et la vénérer, mais pour s'en faire un point d'appui, une sorte de levier pour dépasser les tristes et misérables querelles de personnes comme d'appareil dont chacun sort, vous avez raison cher Gérard Courtois, épuisé...
Mais si le Parti socialiste est épuisé, l'idée socialiste, elle, ne l'est pas. On peut naturellement faire l'analyse qu'un mouvement né avec la première Révolution industrielle et qui s'est épanoui avec la seconde aurait au fond aujourd'hui épuisé sa mission à l'heure où les rapports entre l'économique, le social et l'écologique sont totalement bouleversés. Je n'en suis pour autant pas pleinement convaincu. Je suis pour ma part persuadé qu'il y a place pour une philosophie qui s'est construite sur une volonté d'organiser le monde en associant au principe d'efficacité, ceux de justice sociale et de souveraineté politique. La crise financière comme la crise écologique montrent d'ailleurs combien est nécessaire, cette exigence d'équilibre, sans laquelle la société bascule dans le tout marché ou le tout État. Mais pour y apporter réponse encore faut-il en reconnaître l'héritage et souhaiter que le Parti socialiste ou la grande force progressiste qui lui succèdera sache de nouveau jouer son rôle d'« intellectuel collectif ». Tâche passionnante qui devrait être, si elle était mise à l'ordre du jour, de nature à faire oublier leur fatigue aux plus « épuisés » d'entre nous.
Bien cordialement à vous
Gaëtan Gorce
Excellent .............. pour changer, Gaëtan.
Rédigé par : la fourmi rouge | 07 juin 2009 à 15:24