Voici l'interview que j'ai accordée au journal Libération (édition du 10 août) concernant le projet de loi d'ouverture à la concurrence des jeux d'argent en ligne.
Pourquoi êtes-vous si critique avec le projet de loi relatif à la régulation du secteur des jeux de hasard en ligne ?
Ce que nous reprochons au gouvernement, c’est d’avoir cédé un peu
facilement à la pression de Bruxelles avec ce texte aventureux et mal
ficelé. La Commission européenne a certes remis en cause le monopole de
la Française des jeux et du PMU sur les jeux d’argent en France, mais
uniquement parce qu’il ne lui paraissait pas fondé sur des motifs
d’intérêt général. Plutôt que d’ouvrir les vannes du jeu en ligne en
encourageant des pratiques illégales, il y avait une autre solution que
la Commission était disposée à entendre. Elle consistait à justifier ce
monopole en modernisant ses pratiques afin qu’il serve réellement à
lutter contre la dépendance et à prévenir la fraude et le blanchiment.
Ce projet de loi n’est-il pas guidé par un principe de réalisme ? Comment interdire ce qui est déjà là ?
On nous explique qu’il vaut mieux encadrer ces nouvelles pratiques sur
l’Internet plutôt que de les laisser se développer de manière
anarchique. Mais ce projet de loi n’apporte pas la garantie qu’on
pourra lutter plus efficacement demain contre l’offre illégale et
empêcher les Français d’aller jouer sur des sites non autorisés.
Contrairement à ce que dit le gouvernement, cette libéralisation n’est,
en l’état actuel du droit européen et des technologies, pas
maîtrisable. On met le doigt dans un engrenage très dangereux !
Les jeux sont-ils déjà faits selon vous ?
Soit les parlementaires n’abaissent pas la fiscalité, peu attractive au
regard de ce qui se pratique dans d’autres pays de l’Union comme Malte
ou la Grande-Bretagne. Dans ce cas, la loi n’aura aucune utilité et les
sites de paris, plutôt que de prendre des licences françaises,
continueront à opérer depuis l’étranger sans être réellement inquiétés.
Soit, sous la pression des opérateurs, les parlementaires diminuent le
taux d’imposition et dans ce cas, la prétendue « ouverture maîtrisée »
implosera. Il y aura des pertes importantes de recettes pour la
Française des jeux et le PMU et donc pour l’Etat, les opérateurs seront
incités à faire toujours plus de publicité afin de recruter toujours
plus de joueurs et les risques d’addiction se multiplieront.
Il n’y a donc pas d’alternative à une interdiction pure et simple du jeu en ligne ?
Si nous ouvrons la boîte de Pandore du jeu d’argent, que la France
avait maintenu fermée pendant des années, la dynamique économique
intrinsèque du secteur nous obligera à aller toujours plus loin, en
abaissant de plus en plus les barrières légales. Si, pour convertir les
sites à la légalité, il faut diminuer les protections et se résoudre à
une libéralisation totale du secteur, c’est un jeu bien trop dangereux
pour l’accepter.
Certains parlent d’opportunité économique, d’un secteur en plein développement…
Nous ne sommes pas dans une problématique économique classique. On sait
que cette ouverture ne rapportera pas ou peu de nouveaux emplois sur le
sol français, qu’elle ne créera pas d’activité, ni de recettes pour
l’Etat et que les bénéfices très juteux du secteur ne serviront qu’à
enrichir des acteurs motivés par leur seul profit. De l’aveu des
opérateurs, l’agrément actuel n’a d’ailleurs qu’un seul intérêt : la
légalisation de la publicité.
A l’ère d’un Internet qui se joue des frontières et des règles, comment le politique peut-il peser ?
Il n’y a pas de solution qui aille de soi. Plutôt que de céder à la
pression des lobbies, il est important de réaffirmer que l’intervention
de l’Etat dans la politique des jeux n’est pas motivée par des seuls
intérêts économiques. Le souci de l’intérêt général, la lutte contre
l’addiction et le blanchiment doivent primer. Il faut continuer à se
battre pour obtenir une harmonisation de la position des Etats à
l’échelle européenne. Bien plus qu’économique, la politique des jeux
reste un enjeu politique. En attendant, ce domaine bien particulier
doit rester de la compétence exclusive de chaque Etat pour des motifs
évidents d’ordre public.
Paru dans Libération du 10 août 2009
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