L’actualité de l’édition en dit plus aujourd’hui sur la réalité de notre vie politique qu’aucune autre source d’information.
La publication des Mémoires de Jacques Chirac ne peut pas ne pas être mise en relation avec le contexte de sa parution et qui dénote d'une incroyable dégradation de la vie publique : renvoi de l’ancien Président en correctionnelle ; procès Clearstream ; menaces proférées par un ancien Ministre de l’Intérieur, etc. Les mœurs politiques y sont mises à nu avec une crudité inattendue. Là est sans doute la nouveauté : non pas tant la violence de l’affrontement pour le pouvoir que l’abandon de toute forme de décence. Chacun se livre, si j’ose dire, à « cœur ouvert » : les rancœurs y sont exprimées sans réserve, la nature des moyens employés dévoilés sans pudeur.
La « Jungle de Calais » paraît, si on veut bien les comparer, bien paisible au regard de celle-ci… Le Président de la République y voit un recul de l’hypocrisie. Il faut y voir, au contraire, et, y compris à travers ce jugement, un recul du civisme parmi ceux et celles qui sont sensés l’incarner. La politique n’est-elle pas supposée représenter une certaine idée de l’intérêt général et du bien commun ? A en faire un vulgaire champ de bataille, on lui retire son exemplarité et du même coup son efficacité. Son impact n’est plus que négatif sur une société qui aurait pourtant bien besoin d’être réconfortée… Et comment ne pas relever le décalage entre l'énergie, la combativité dont font preuve les entreprises, les salariés, les chercheurs pour maintenir le place de la France dans la compétition mondiale et l'attitude et le discours si peu mobilisateurs, si peu en phase avec ces défis, de nombreux dirigeants politiques. C'est aussi politiquement que notre pays a besoin d'être ragaillardi.
La veine éditoriale qui agite la Gauche n’est pas pour atténuer ma mélancolie démocratique. Qui en appelle à un « nouveau Mendès-France » doit aujourd’hui se contenter d’un écho minimal…
François Hollande avec ses Droits d’inventaire s’efforce pourtant de renouer le fil. Le voilà tout à trac adepte d’une parole de vérité, justifiée par l’état de nos comptes publics et d’une politique de « rigueur juste » pour aborder l’avenir. On ne lui fera pas le reproche de se rallier à pareil discours une fois quittées les responsabilités éminentes que les socialistes lui avaient confiées. On regrettera, en revanche, l’hésitation qui sourd dans ses pages face à la tentation et donc, au risque de l’impopularité. Ainsi consent-il à en appeler à l’effort, mais se refuse-t-il, au-delà des plus favorisés, à nous dire qui devra le supporter. Encore un pas, Cher François, pour être Mendésiste. Et si quelques animaux échappés de la « jungle socialiste » devaient y trouver à redire, le combat mériterait alors d’être mené, et d’être mené jusqu’au bout.
Au total, à regarder les devantures, pas un ministre, pas un candidat virtuel à la présidentielle qui parvienne à à résister à la tentation d’exposer qui ses ambitions, qui ses états d’âme. NKM, DDV VGE, mais toujours RAS!*
La politique mérite pourtant mieux que ce bal des sortants ou des impétrants qui cherchent simplement à établir un (modeste) rapport de forces pour d’hypothétiques (ou rétroactives) récompenses. A parcourir la librairie politique de cet automne, on ne peut s’empêcher de penser à la phrase de Gide stigmatisant ces auteurs qui se croyaient obligés de publier un mauvais livre simplement parce qu’ils avaient trouvé un bon titre.
Bref, tout comme il vaut mieux réfléchir avant de parler, il semble préférable de penser avant d’écrire et de publier. Que l’on ne m’en veuille pas d’enfoncer ces portes ouvertes, mais le simple bon sens exige parfois de rappeler ce qui devrait être pure banalité.
Au total, on pourrait poser quelques règles simples qui devraient s’imposer à tout ouvrage politique :
Qu’il soit écrit par son auteur lui-même et que celui-ci, s’il y est prêt, s’épargne la facilité de l’entretien qui transforme ce qui devrait être le déroulement d’une pensée personnelle en interview allongée.
Que l'auteur veuille bien aller à la conclusion qu’après en avoir discuté les prémices et fait partager au lecteur les fondements et le déroulement de son raisonnement.
Qu’il renonce à se mettre en scène, à évoquer sa vie privée aussi passionnante soit-elle et fasse l’économie des anecdotes et des jugements de valeur, qu’il se prive du plaisir de répercuter ses petites haines, ses petites mesquineries, ses petites ironies par lequel il se met en scène. Y a-t-il en effet rien de plus déprimant que ces faux livres de mémoires écrits par ceux qui n’ont encore rien vécu ni rien montré ?
Qu’il le consacre enfin à exposer une réflexion politique qui réponde clairement aux défis intellectuels auxquels la Droite comme la Gauche sont confrontés. Ce que les Français attendent de leurs dirigeants (ou aspirants à diriger), c'est qu'il leur ouvrent une perspective, non qu'il se dessinent complaisamment un profil!
Je m’en tiendrai à ces quatre règles simples, qu'aurait pu nous suggérer le rigoureux Malherbe. Mais celui-ci n’avait sans doute pas imaginé que le Livre de la Jungle puisse devenir la forme la plus courante de littérature, en tout cas, de la littérature politique…
Gaëtan Gorce
* Exception faite, peut-être d'Édouard Balladur qui se donne tout de même le beau rôle - sans avoir jamais été élu Président de la République, il semble convaincu, d'avoir « de facto » exercé la fonction de 1993 à 1995!
bravo M. Gorce,
encore une fois, vous vous placez au-dessus des polémiques de bas étage et vous livrez une analyse lucide face à la démagogie ambiante.
YLM
Rédigé par : YLM | 16 novembre 2009 à 18:09
Bravo.
C'est pourquoi, bien qu'au PS, j'apprécie beaucoup les livres politiques de Jacques Généreux (je ne parle pas des livres essentiellement d'économie) : "la dissociété" et le "socialisme néomoderne". On peut être en désaccord sur certains aspects de fond, mais c'est un plaisir de lire des livres où les idées sont ordonnées, précises, hiérarchisées, vues sous différents angles. Bref, le sujet est couvert, le champ du sujet traité est explicitement délimité, ce qui est dedans est traité avec précision et qui est hors sujet bénéficie de renvois vers la bibliographie. J'aimerais bien lire plus souvent de tels livres, de responsables du PS.
Ces caractéristiques me paraissent nécessaires pour qu'un livre politique puisse être non lu comme un roman, mais consulté comme un "livre d'étude", assimilé et que le lecteur puisse en sortir plus instruit et non seulement distrait de manière passagère. Accessoirement, on peut mettre côte à côte les ouvrages de tel et tel, et faire de la littérature comparée précise. Voilà qui devient intéressant ! Faire de la littérature comparée sur les ribambelles d'anecdotes ne rime à rien.
On trouve volontiers de tels livres (cité par ex. dans nonfiction.fr), mais plutôt écrits par des universitaires que des responsables politiques. A ce titre, ils sont souvent à mi-chemin entre des résultats de recherche, "neutres" par nature, et des convictions politiques. Je reconnais bien volontiers que les élus sont pris par le quotidien, et qu'ils travaillent généralement bien et beaucoup. Mais il faudrait qu'au moins, les élus en charge de l'élaboration de perspectives référencent précisément les travaux dont ils s'inspirent, indiquent leurs modulations autour de ces travaux, et ça leur permettra d'exprimer des idées assez précises, avec moins de travail qu'une rédaction complète.
Rédigé par : Marc - PS44 | 05 novembre 2009 à 17:17
M. Gorce,
en ces temps si rudes, qu'il est juste de se référer à Pierre Mendès France, l'homme de l'honnêteté et l'exemple incontournable de morale en politique, même si la figure de Léon Blum est également un astre qui peut guider nos engagements au côté de la première secrétaire, la ministre d'état, numéro 2 du gouvernement de la gauche plurielle qui mit en oeuvre les emplois-jeunes, les 35h et équilibra les comptes sociaux.
Salutations militantes.
André Guidi
Rédigé par : André Guidi | 05 novembre 2009 à 15:31