Je suis intervenu en séance pour le groupe socialiste, radical et citoyen sur le projet de loi visant à ratifier l'accord entre la France et l'Inde pour le développement de l'utilisation pacifique du nucléaire. Même si j'indiquais que le groupe SRC allait voter pour cet accord, j'ai toutefois regretté le manque d'investissement de la France dans les énergies nouvelles. Pourquoi en effet ne montrons nous pas autant d'énergie à vendre des panneaux photovoltaïques et des éoliennes que nous en mettons à vendre nos EPR?
Ci-après, le texte de mon intervention :
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cet accord se situe dans le cadre plus large de la problématique énergétique, qui est redevenue au fil des années – mondialisation de la croissance aidant – une question stratégique centrale. C’est donc au regard aussi de cet aspect que nous devons examiner l’accord qui nous est présenté, tant il n’est pas imaginable que la France, tout comme d’ailleurs les autres nations concernées par ces sujets, puissent définir leurs actions uniquement au cas par cas. Elles doivent naturellement l’envisager en fonction du retentissement que ces initiatives peuvent avoir plus globalement sur la stratégie énergétique qui doit être menée dans un cadre européen et mondial.
Commençons par les enjeux. Ceux-ci sont considérables et ne se limitent pas aux relations franco-indiennes. Je n’insisterai pas sur les enjeux environnementaux et sur l’importance que revêt la nécessité de développer toutes les formes d’énergie propre. C’est sur ce point qu’il faudra insister à Copenhague.
Les enjeux sont également diplomatiques et, en l’occurrence, stratégiques. S’agissant de l’Inde, et plus globalement de l’ensemble des pays qui cherchent à accéder au statut de puissance nucléaire à travers le nucléaire civil, il est évident que la France et l’Europe doivent considérer cette revendication avec attention. À travers le contrôle du charbon pour la Grande-Bretagne, puis du pétrole pour les États-Unis tout au long du XXe siècle, l’énergie a été le moyen du leadership mondial. L’Europe ne devrait-elle pas se demander comment elle pourra tenir son rôle dans le nouvel ordre mondial, à travers la maîtrise non seulement de l’énergie nucléaire mais également des énergies de demain ? C’est aussi la question que pose ce débat.
On ne peut pas non plus écarter les problèmes de sécurité et les conséquences sur le nucléaire militaire tant la frontière entre ce dernier et le nucléaire civil est devenue ténue. On le voit bien à propos de l’Iran et on le sait aussi, au moins pour une part, s’agissant de l’Inde. Cette question doit donc être envisagée dans le cadre d’une réflexion plus globale sur l’avenir du traité de non-prolifération. Très récemment, Jean-Michel Boucheron et Jacques Myard ont évoqué devant la commission des affaires étrangères la nécessité de revoir la configuration de ce traité et de sortir de l’hypocrisie qui fait qu’un certain nombre de pays qui développent aujourd’hui les technologies nucléaires à usage militaire sont en dehors du dispositif qui a été négocié. Il est indispensable de pouvoir progressivement les y intégrer.
On sait que la question se pose pour l’Inde, d’autant que toutes les aides qui peuvent être apportées à ce pays, tel l’accord signé par le Président Bush en 2006 ou le présent accord, sont orientées, certes, vers le nucléaire civil, mais ont des conséquences sur le nucléaire militaire puisque cela libère du potentiel pour développer cette activité à travers les transferts de technologies et de matière.
Il est donc nécessaire de redéfinir assez rapidement une stratégie à la fois internationale et nationale pour ne pas être dans l’ambiguïté. L’accord de 2006 signé par les Américains puis ceux qui ont suivi, et qui ont donné lieu à des évolutions, notamment sur le groupe des fournisseurs nucléaires, posent la question de savoir comment doivent, être traités des pays ayant développé leur activité nucléaire en dehors du traité pour obtenir ensuite une reconnaissance sans qu’il puisse y avoir de réactions particulières de la part des grandes puissances ou des pays ayant signé les traités. Il faut sortir rapidement de cette ambiguïté.
Au-delà des enjeux, il y a l’accord lui-même, que les députés socialistes ont adopté en commission. Ils considèrent que la France a toutes les raisons de s’impliquer dans cette coopération. Compte tenu du rôle que l’Inde est amenée à jouer dans le monde dans les années à venir, la France et l’Europe doivent évidemment compter parmi ses partenaires. Il est nécessaire également d’accompagner l’Inde dans son processus de croissance, qui est considérable et qui s’accompagne d’une demande croissante d’énergie et d’électricité. Le besoin en matière d’énergie va ainsi doubler dans les vingt prochaines années et le besoin en matière d’électricité va être multiplié par cinq. Or, dans le même temps et du fait de la taille de ce pays et de la nature de ses activités, l’Inde est le cinquième ou sixième pays rejetant le plus de dioxyde de carbone. Aider l’Inde à trouver des solutions alternatives en matière de production d’énergie et d’électricité constitue donc un enjeu important.
Pour autant, et pour mettre quelques bémols, on peut regretter que nous nous concentrions essentiellement, voire presque exclusivement, sur l’utilisation d’un savoir-faire qui nous est reconnu, celui d’Areva, sur le nucléaire civil. Pourquoi ne pas développer aussi nos efforts dans d’autres secteurs, ce qui suppose des choix politiques en France et en Europe, pour ne pas laisser à d’autres pays le monopole de telles initiatives ? Pourquoi ainsi ne pas développer plus fortement nos investissements et notre capacité d’exportation sur d’autres technologies énergétiques, comme le solaire et l’éolien pour ne prendre que ces deux exemples ? Pourquoi ne mettons-nous pas autant d’énergie à vendre des panneaux photovoltaïques et des éoliennes que nous en mettons à vendre nos EPR, sachant que ceux-ci soulèvent toujours toute une série d’interrogations ? Je pense par exemple au retraitement des déchets. Comme beaucoup de mes collègues, je ne peux donc pas souscrire à l’appréciation dithyrambique portée sur l’énergie nucléaire dans le préambule de cet accord sans émettre quelques réserves.
S’il faut considérer notre politique avec l’Inde et, de manière générale, d’exportation de notre compétence en matière de nucléaire civil, en fonction des grands enjeux que j’ai évoqués, il faut aussi l’apprécier dans le cadre des limites qui doivent être appliquées à l’usage du nucléaire civil. Je rappelle que l’organisme d’études sur la sécurité en Europe a fait valoir à plusieurs reprises que le nucléaire ne pouvait pas être la solution de substitution au charbon, par exemple, compte tenu de ces limites.
Sous ces réserves, nous approuverons cet accord de coopération. Notre groupe est prêt à y souscrire. Mais nous souhaiterions que, sur les points que j’ai évoqués, le Gouvernement s’inscrive dans une stratégie globale, prenne en compte les limites du nucléaire et diversifie notre politique d’exportation. Nous aimerions qu’il nous apporte, aujourd’hui ou dans les mois à venir, des réponses claires à travers des décisions, des initiatives et des orientations qui puissent, elles aussi, recueillir notre approbation. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
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