Assemblée nationale, mardi 30 mars 2010
Projet de loi d'ouverture à la concurrence et à la régulation
du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Monsieur le Rapporteur, Mes chers collègues,
Je ne vous cache pas que nous entamons ce débat avec un certain sentiment de malaise.
Ce malaise provient, tout d’abord, du calendrier qui nous est imposé.
On nous a expliqué, voici plusieurs mois, l’urgence dans laquelle nous nous trouverions pour adopter un texte qu’on a laissé ensuite lanterner pendant plusieurs semaines au Sénat. Et l’on prend aujourd’hui prétexte du retard, dont vous avez la responsabilité Monsieur le Ministre, pour nous demander d’en discuter en seconde lecture quasiment sans délai et surtout sans avoir la possibilité de véritablement l’amender. J’observe, en effet, qu’afin d’obtenir un vote conforme, le Groupe UMP a renoncé à déposer tout amendement. C’est donc bien que l’urgence une fois de plus a repris le pas. Mais quelle urgence ? S’agit-il de l’urgence de mettre en place un dispositif juridique approprié ? Ou s’agit-il de l’urgence de satisfaire à certains intérêts ?
Ce qui m’amène à la seconde raison de notre malaise.
Je ne mets pas en cause, Monsieur le Ministre, Monsieur le Rapporteur, votre volonté et, en particulier celle de Monsieur Lamour, de faire en sorte que nous adoptions un texte permettant d’apporter des réponses aux principales questions qui ont été soulevées tout au long de ces débats. Je veux même saluer l’intégrité, le sérieux et la compétence de notre Rapporteur. Mais Monsieur le Rapporteur, notre débat n’est plus technique, il est devenu politique et j’ose le dire, compte tenu du contexte de l’environnement particulier dans lequel ce texte est aujourd’hui débattu, nous sommes confrontés à une loi qui n’est pas propre ! Je veux dire par là, que jamais nous n’avons eu à discuter d’un texte sous une pression aussi évidente, aussi intense de lobbies qui attendent de cette nouvelle réglementation la satisfaction d’intérêts purement financiers. Je ne fais pas seulement allusion au problème posé par la privatisation de la Régie de Publicité de France Télévision dans laquelle on retrouve certains des protagonistes de la législation des jeux. Je fais allusion plus directement à l’attitude de celles et ceux qui n’attendent une nouvelle loi que pour réaliser de nouveaux profits, ce qui n’est pas en soi condamnable, mais sur le dos des consommateurs les plus fragiles, des jeunes qui se verront confronter à des risques nouveaux d’addiction, plus globalement de la collectivité qui verra probablement ses ressources fiscales diminuer et par conséquent sur le dos de la filière équine et de la filière sportive.
Comment peut-on délibérer alors qu’il n’est pas un jour qui passe sans qu’une personnalité médiatique, en particulier du milieu du sport ou des affaires ne nous interpelle pour exiger le vote d’une loi dont ils ont d’ailleurs en toute illégalité anticipé l’application ? Est-il normal que le Président de l’Olympique Lyonnais, Monsieur Aulas, puisse ouvertement sur le site de son club, faire la publicité pour des paris en ligne sans que cela suscite de la part du Gouvernement aucune réaction ni publique, ni juridique ? Est-il normal que le même Président de l’O.L. puisse profiter de la publicité qui s’attache à la qualification de son équipe pour les quarts de finales de la Ligue des Champions pour féliciter en direct à la télévision son partenaire Betlic, c'est-à-dire une société pour laquelle toute forme de promotion est encore aujourd’hui prohibée ? Est-il normal qu’aucune action n’ait été engagée contre celles et ceux qui depuis des mois voire des années défient la République et les règles qu’elle avait fixées et dont je rappelle ici que Monsieur Coppé, lorsqu’il était Ministre du Budget jugeait qu’elles étaient opportunes et pertinentes ?
Pour ma part, je ne peux me satisfaire de cette situation d’autant plus que le Sénat a supprimé la seule disposition réellement éthique qui figurait dans votre texte, à savoir l’obligation de remettre, pour les opérateurs qui pratiquaient en toute illégalité, leur compteur à zéro. Ils s’y refusent et vous les y aidez. Peut-on trouver un seul domaine du droit dans lequel on donne finalement satisfaction aux délinquants ? Peut-on trouver un seul domaine dans lequel votre Gouvernement qui ne cesse de parler de sécurité et de tolérance zéro, se soit montrer aussi compréhensif à l’égard d’opérateurs, d’hommes et de femmes qui n’ont eu d’autres attitudes et d’autres activités que de défier le législateur depuis des années ?
Donner ainsi une prime aux tricheurs, c’est bien mal commencer une législation qui est censée réguler les jeux. Si j’osais, je dirais qu’avec ce texte, demain les « bandits ne seront plus manchots ».
Ce malaise, est ensuite accentué par les défauts qui continuent à fragiliser ce texte. J’ai rappelé tout à l’heure que votre préoccupation n’était pas de voter un bon texte mais de voter à temps un texte pour le 1er juin, c'est-à-dire pour le début de la Coupe du Monde de Football. Or, notre souci devrait être de voter d’abord un texte qui présente toutes les garanties pour que d’une part les opérateurs autorisés à intervenir sur le marché français remplissent les conditions fixées par les cahiers des charges et que les vérifications approfondies interviennent dans ces domaines. Or, vous vous apprêtez à autoriser les jeux avant même que l’Arjel ait eu le temps d’approfondir le contenu de ces cahiers des charges pour en vérifier ensuite le respect! De la même façon, comment pourrons-nous garantir le respect des dispositions sur le contrôle du blanchiment, sur l’inscription exigée des joueurs sur des comptes spécifiques, sur la non pratique par des mineurs, sur le nécessaire contrôle des répétitions de mouvements de fonds sans les logiciels adaptés pour l’Arjel, si nous ne prenons pas le temps de nous équiper juridiquement et matériellement ?
Ce malaise, enfin, trouve sa source dans l’attitude de votre Gouvernement au regard des exigences posées par l’Union européenne. Cette question a totalement disparu de votre argumentation. Et pour cause ! La Cour de Justice des Communautés européennes, concernant Santa Casa a confirmé la possibilité pour un Etat de se doter et de faire perdurer un monopole des jeux c'est-à-dire en réalité un esprit de service public. Plus récemment, et c’est là l’élément me semble t-il essentiel, le nouveau Commissaire en charge de la question des jeux a indiqué que ceux-ci n’était pas un service comme les autres, ils devaient faire l’objet d’une coopération entre les Etats européens. Il demandait par la même occasion la rédaction d’un Livre Vert reposant sur la consultation de l’ensemble des parlements européens. Est-il normal, est-il souhaitable, est-il pertinent, que nous votions un texte et que nous le mettions en œuvre alors que la réflexion collective que nous réclamions tous et qui ne pouvait pas se mettre en place jusqu’alors vient à peine de commencer ? Ce qui serait normal et que nous vous demandons, c’est de reporter l’examen de ce texte, de suspendre les débats qui sont prévus aujourd’hui et de le reporter jusqu’au moment où nous serons en situation de comparer notre point de vue avec celui de nos partenaires européens.
Pour notre part, nous avons la conviction qu’il est possible de faire respecter le monopole, pour autant naturellement que les règles de la coopération judiciaire entre les états membres soient respectées notamment à travers les échanges d’informations et d’actions, que le monopole soit envisagé d’une manière plus moderne, c'est-à-dire que ses missions soient redéfinies et que les financements soient orientés presque exclusivement vers les activités d’intérêt général que le jeu doit financer.
Ce malaise, Monsieur le Ministre, on pourrait dire au fond qu’il a un caractère moral. Oui, il s’agit bien d’une question morale. Nous ne pouvons pas accepter que soit mis à bas près de deux siècles de législation des jeux (qui n’a toujours autorisé l’exception à l’interdiction des jeux et des loteries que parce que ses financements servaient à soutenir des activités publiques). Nous passons dans un autre monde où les jeux, encouragés par des personnes privées, soutenus par la publicité (ce qui aura évidemment pour effet d’augmenter considérablement le nombre de parieurs) vont servir à enrichir des intérêts particuliers et non plus la collectivité. C’est cette dérive que nous condamnons ! C’est cette dérive que nous vous demandons de suspendre ! C’est cette dérive que nous souhaitons pouvoir corriger à la lumière des réflexions qui doivent s’engager à l’échelle de l’ensemble des États de l’Union !
Nous voulons une République décente ! Ce que nos citoyens ont condamné, voici dix jours, c’est justement cette « Présidence indécente » qui mélange pouvoir et famille, qui fait une place au détriment de la République à certains intérêts particuliers et qui veut nous faire voter une loi sous influence.
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