le samedi 19 juin 2010
Monsieur le Maire,
Cher Lionel,
Mesdames et Messieurs,
Comment définir la Nation ? C’est la question qui nous est posée ce soir en dévoilant cette plaque !
On peut lui donner naturellement une définition exclusive ; on peut chercher à se l’approprier, solution bien pratique pour exclure « l’étranger », certes, mais aussi, à l’intérieur, celles et ceux qui ne partagent pas vos convictions.
On peut au contraire voir dans la Nation une histoire collective en train de se faire, une matière en fusion, faite de coalition de forces et d’idées qui souvent s’opposent mais trouvent leur point d’équilibre autour de valeurs fondamentales, à commencer par celle d’indépendance nationale ou d’amour de la patrie.
La France est ainsi faite ; la France s’est ainsi faite de la contribution de mille talents, d’engagements, de convictions ! Comment ne pas y penser aujourd’hui en rendant sa dénomination à la rue Léon Blum ? Comment ne pas y voir un symbole à la date anniversaire certes d’une des grandes lois du Front Populaire, mais aussi au lendemain du 18 juin et de la commémoration de l’Appel du Général de Gaulle ?
Anatole France disait de Zola qu’il avait été un moment de la conscience humaine. Comment ne pas dire de Léon Blum qu’il fut un grand moment de notre histoire contemporaine ?
Je ne parle pas du jeune dandy, auteur de chroniques sportives nombreuses publiées par la Revue Blanche.
Je ne parle pas de l’étudiant dilettante exclu de la Rue d’Ulm pour avoir oublié d’y préparer sa licence.
Je ne parle pas du brillant juriste, reçu au plus difficile des concours de l’époque, le conseil d’Etat, et posant les bases d’une théorie du service public.
Je ne parle pas de l’amoureux des livres, défendant la fragilité des héros stendhaliens face à ceux qui voulaient en faire l’archétype des héros de l’énergie nationale !
Je ne parle pas de l’ami de Jaurès, qui fut à ses côtés dès les premiers moments de l’Affaire Dreyfus.
Je ne parle pas du haut fonctionnaire, attentif aux rouges de l’Etat au point d’être le premier à proposer la création d’un Secrétariat général du Gouvernement pour étoffer la fonction de Président du Conseil.
Je ne parle pas même du Chef de parti qui à Tours sauva « la vieille Maison ».
Non, je veux parler du premier socialiste à devenir Président du Conseil. Je veux parler de celui qui en entrant à Matignon fit vraiment entrer dans la République, les plus modestes, les plus humbles en faisant voter la première loi des congés-payés, les 40 heures, les délégués ouvriers, les conventions collectives qui appartiennent désormais à notre patrimoine social.
Je veux parler de l’homme d’Etat, accablé, s’efforçant de convaincre de sa voix si faible des dizaines de milliers d’auditeurs que le Front Populaire ne pouvait aider la République espagnole sans se briser.
Je veux parler de l’homme d’Etat, accusé de trahison par les traitres eux-mêmes et retournant, à Riom, l’accusation contre ses propres auteurs.
Je veux parler plus encore de Léon Blum, déporté à Buchenwald, otage des Nazis, échappant par miracle à la mort alors que son co-prisonnier G. Mandel sera lui assassiné après avoir été livré par Vichy à la milice.
Je veux parler de l’homme qui fut capable d’écrire depuis l’enfer des camps un hymne à la paix et un acte de foi dans la capacité de l’humanité à s’organiser, (A l’échelle humaine).
Je veux parler du vieil homme revenant de captivité, invitant la Gauche à changer et servant la République jusqu’à son dernier souffle.
Voilà qui était Léon Blum. Comment comprendre que l’on ai pu lui faire injure ici dans notre Nièvre, si tranquille et si républicaine, injure réparée aujourd’hui mais injure qui interroge.
Je ne crois pas que la décision qui avait été prise par le Maire d’alors l’ait été pour des raisons idéologiques. Il s’agissait plutôt, et c’est peut-être plus grave, d’une forme d’ignorance du rôle de Léon Blum sans doute, mais plus encore du poids de l’Histoire sur nos consciences de citoyen. Est-ce un hasard si la même équipe municipale devait, quelques années plus tard, renoncer à commémorer la journée de la déportation. Plus que l’intolérance, facile à combattre parce qu’agressive et repérable, c’est l’indifférence qui est dangereuse, qui conduit à ne pas mesurer l’importance des symboles. Imaginerait-on de débaptiser aujourd’hui une place du Général de Gaulle, une rue Edouard Herriot, une avenue Jean Moulin ou du Maréchal Leclerc ?
Ce n’est pas par vénération superstitieuse du passé que nous commémorons ces moments. C’est pour faire de notre Histoire, un socle sur lequel bâtir l’avenir ! Nous travaillons ainsi à une continuité dont témoigne la présence de Lionel Jospin.
Si Léon Blum et Lionel Jospin furent chefs de Gouvernement à des périodes bien différentes, l’un et l’autre marquèrent leur temps par un tempérament, une conception de la politique mettant au premier rang l’éthique, la morale de l’action et en même temps la volonté de privilégier la pédagogie. Ce qui frappe chez Blum, c’est la volonté d’expliquer et de convaincre sans jamais s’abandonner aux arguments fallacieux, aux passions les plus basses, à la démagogie, mais au contraire, en s’efforçant toujours de solliciter l’attention et l’intelligence de ses concitoyens.
Cher Lionel, tu as gouverné de la même manière. En prenant au sérieux les Français et en donnant de la République une image dont on peut dire aujourd’hui, et plus encore par comparaison, qu’elle était assez haute à la fois dans ton esprit et dans la manière dont tu as su la promouvoir.
Les temps changent, les programmes peuvent changer. Les principes, eux, restent constants. Quand on est Républicain et quand on est de gauche, ces valeurs de la liberté et de dignité, d’égalité et de paix sont inaltérables. Ces valeurs sont incarnées par des hommes : Léon Blum en fait partie, qui mérite bien de figurer ici, parmi celles et ceux que Cosne a choisi d’honorer. C’est d’ailleurs notre ville qui s’honore en le faisant !
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