Intervention de Gaëtan Gorce sur la proposition de loi pour
Une République décente
Le 14/10/2010
Monsieur le Président, Mes Chers Collègues,
Élus par le peuple, nous ne nous ferons jamais de la République une conception assez haute !
Et si certains venaient à y manquer, alors ce doit être à la loi d'y suppléer.
La proposition de loi qui vous est présentée n’a d’autre objet que de rappeler celles et ceux qui gouvernent au simple respect des conventions républicaines dont ils peuvent parfois être tentés de s’éloigner ou de s’affranchir par calcul, négligence ou simplement l’effet des circonstances.
La proposition de loi en appelle à une République décente !
Le mot « décence » a fait discussion et par un curieux paradoxe semble avoir choqué certains d’entre vous si j’en juge en tout cas par nos débats en Commission : le Littré en donne pourtant une définition qui devrait nous accorder puisqu’il s’agit simplement, je cite, de « l’honnêteté qu’on doit garder dans les actions et les discours et dont la règle est tirée des préceptes de la morale ».
L'indécence, mes chers collègues, est ce qui choque spontanément, sans hésitation, sans retour. La décence est ce qui invite à accorder son vocabulaire à la qualité de sa fonction ; séparer ce qui relève du public et du privé ; éviter de se placer dans des situations évidemment contradictoires du point de vue de l'intérêt public traiter avec respect ses adversaires et scrupuleusement les procédures et les règles que s'est donnée la République. Parce que ces règles et ces usages ne sont pas des « obstacles » à l'action mais des garde-fous destinés à garantir la sérénité de l'engagement et du débat public.
Il ne s’agit en quelque sorte que d’un rappel à l’ordre bien nécessaire au regard des manquements aux règles et aux usages républicains auxquels nous avons assisté ces derniers temps.
La politique n’est certes pas seule en cause. S’y répandent en effet des attitudes qui trahissent dans la société tout entière un changement d’état d’esprit de la part de celles et ceux qui, à un titre ou à un autre, sont associés à des responsabilités essentielles. La crise financière en a apporté le triste témoignage. Mais c’est plus globalement à une démission des élites, une nouvelle « Trahison des Clercs » aurait dit Julien Bunda, que nous sommes en train d’assister. Aussi est-il urgent de réaffirmer publiquement ces valeurs de base sans lesquelles la déliquescence morale et civique peut s’installer : transparence, humilité, dévouement du bien commun.. Il est regrettable de devoir rappeler que les devoirs que l’on a à l’égard de la société sont proportionnels aux responsabilités que l’on détient. Et que le pouvoir quel qu’il soit, politique, économique, universitaire, scientifique, financier doit s’exercer dans un but qui va bien au-delà du goût pour la puissance, du besoin de reconnaissance ou du confort de celui ou celle qui se le sont vus confier. Il est regrettable mais nécessaire de devoir le faire ! Parce que nos concitoyens observent ces dérives avec effarement et sont soucieux que l’on y réagisse enfin.
Ce rappel à l’ordre républicain est d’autant plus urgent que notre pays traverse une profonde crise économique et sociale dont il ne pourra sortir véritablement que s'il a confiance dans ses Institutions. À cet égard, cette proposition vise à conforter le besoin de leadership que ressent aujourd'hui la nation.
L'ambition n'est pas mince. Et l'on a reproché à ce texte, en commission, d'être incomplet. Dont acte !
Nous aurions certes pu y faire le procès d’une manière de présider. Celle-ci est sans doute pour beaucoup dans le malaise qui s’est installé. Mais il s’agit d'un mouvement plus général dont nos débats en Commission ont également témoigné, traduisant un redoutable refus de la majorité de prendre conscience des dégâts causés par certaines affaires dans l’opinion publique.
Le Groupe socialiste, radical et citoyen, en présentant ce texte, se gardera bien de les exploiter parce qu'elles affaiblissent la République sur tous les bancs. Nous ne consentirons pas, comme on nous y invite pourtant parfois, à abaisser le débat public. Nous proposons, au contraire, des solutions inspirées du simple bon sens comme de l’esprit de notre République et qui visent à traiter d'une question prioritaire : garantir l'indépendance des ministres, dans le prolongement de ce qu'a prévu l'article 23 de notre Constitution.
Aussi suggérons-nous d'en revenir à la pratique constante de la Ve République jusqu'à la première cohabitation, à savoir l'impossibilité de cumuler la charge de ministre avec une responsabilité exécutive dans un parti politique. Ce qui aurait pour conséquence, entre autres, de prévenir tout conflit potentiel d'intérêts, comme celui que nous avons connu récemment jusqu'à ce que l'intéressé y mette lui-même un terme. De même suggérons-nous de prévenir tout autre conflit d'intérêt possible en invitant chaque ministre, lors de sa prise de fonction, à déclarer tous les intérêts, directs ou indirects, susceptibles de concerner une organisation dont il aura le contrôle.
La loi française ne punit que la prise illégale d'intérêts, dans l'article 432-13 du Code pénal, c'est-à-dire le passage à l'acte, l'utilisation de ses prérogatives publiques à des fins personnelles. Notre proposition vise à prévenir la survivance d'une telle infraction à travers le contrôle effectué en amont par le Conseil constitutionnel des intérêts déclarés.
Il ne s’agit là que d’une contribution qu’il conviendra de compléter si l’on veut être exhaustif, en étendant par exemple ce mécanisme aux parlementaires. Un amendement y pourvoit d'ailleurs. Il conviendrait tout aussi bien de confier à la commission pour la transparence financière de la vie politique de vraies pouvoirs d'investigation ou de permettre la publication de ses travaux. D’autres occasions, je l’espère, nous seront apportées puisque le sujet que nous abordons a été considéré comme suffisamment important par le Chef de l’État lui-même comme par le Président de l'Assemblée nationale pour faire l’objet d’une Commissions de travail. Mais plutôt que d’en attendre les conclusions, nous proposons aujourd’hui de faire jouer au Parlement tout son rôle en franchissant un premier pas que nous devrions effectuer ensemble.
Je veux croire que vous ne choisirez pas d'opposer à notre démarche une hostilité fondée sur le rappel du passé dans lequel chacun, à droite comme à gauche, trouvera malheureusement des motifs de s'alarmer ou de s'indigner. L'exigence de transparence portée par nos concitoyens s'est renforcée. Ils ne toléraient plus dans les années 80, ce qui leur paraissait supportable dans les années 60 et ne supportent plus aujourd'hui ce qui leur paraissait encore tolérable voilà 20 ans !
C'est à cette exigence renforcée que j'invite notre Assemblée à répondre en adoptant cette proposition de loi.
Je veux faire le vœu que vous n’opposerez pas à ce texte un refus qui serait une preuve de plus du malaise dans lequel est plongée notre République. Et, qu’à l’inverse, en votant les dispositions que nous vous proposons, vous ferez la démonstration que, au-delà de nos différences, nous pouvons nous retrouver, qu’un consensus peut s’établir sur la façon de faire vivre nos Institutions d’une façon qui garantisse leur crédibilité et rende pleine confiance à nos concitoyens.
Félicitations pour ce rappel républicain, synonyme d'une vision exigente de la République!
Rédigé par : Damien | 12 novembre 2010 à 20:10