Intervention de Gaëtan Gorce au nom du Groupe socialiste
sur la Tunisie, Commission des Affaires étrangères, mardi 18 janvier 2011
Tunisie : questions à Mme Alliot-Marie
Madame la Ministre,
Je voudrais tout d'abord rendre hommage, au nom de mon Groupe, aux victimes des évènements qui se sont déroulés en Tunisie. Je voudrais également apporter mon appui, et je pense celui de l’ensemble de mon groupe et de la Représentation nationale, au peuple tunisien dans la lutte qu’il a engagé pour la mise en place d’une véritable démocratie. Je crois que c’est le rôle de la France de dire combien nous sommes vigilants et attachés à l’idée que défend aujourd’hui le peuple tunisien, de construire un véritable système démocratique.
Mais, disant cela maintenant, j’ai le sentiment non pas de faire « des commentaires après coup », Madame la Ministre, mais d’être dans la continuité des observations que nous avons faites ces dernières semaines et en particulier la semaine dernière, lorsque les évènements ce sont produits. Le sentiment que nous avons, et il est particulièrement préoccupant, c’est que l’attitude qui était la vôtre - et quand je dis la vôtre, je veux dire celle du Gouvernement français et du Président de la République, puisqu’il est le responsable de notre diplomatie - cette attitude a affaibli la position de la France. Elle l’a affaibli évidemment dans le monde ; elle l’a affaibli en Afrique ; elle l’a affaibli par rapport au peuple tunisien et à la Tunisie.
On est passé dans une succession totalement surprenante et condamnable de bévues, de la complaisance que j’ai trouvée dans les propos qui ont été tenus il y a une dizaine de jours par le Ministre de l’agriculture (qui n’était sans doute pas le mieux qualifié pour s’exprimer sur le sujet, sauf à faire référence à des fonctions antérieures qu’il avait tenues), que j’ai trouvée aussi dans les propos du Président de la République lors de son voyage en Tunisie en 2008 (à lire sur le site de l'Élysée), où il présentait le Président Ben Ali comme un homme auquel on pouvait faire confiance et qu'il félicitait, je cite, « pour avoir supprimé la peine capitale dans son pays ». Tout cela prend évidemment un relief particulier aujourd’hui. Complaisance qui a conduit ensuite, parce que tout cela est une logique d'ensemble et c’est pourquoi je ne vous jetterai pas la pierre Madame la Ministre, à l’erreur d’appréciation que vous avez commise, en proposant à l’Assemblée nationale de privilégier la coopération policière comme réponse à la crise dans laquelle la Tunisie était plongée.
Par rapport à ces propos, vous avez deux attitudes possibles : soit vous les regrettez et à la limite vous vous en excusez, soit vous les assumez. Mais si vous les assumez, vous les assumez en totalité. Nulle part ne figure dans vos déclarations, je les ai ici dans le compte rendu de l’Assemblée nationale, une condamnation des violences ; à aucun moment vous n’avez employé le terme d’usage disproportionné de la violence (voir le compte-rendu des débats). Vous avez dit que vous déploriez les violences. Vous n’avez pas cité le Gouvernement tunisien une seule fois pour regretter les méthodes qu’il employait et vous avez fait état très concrètement d’une proposition, à plusieurs reprises, en réponse aussi bien à Monsieur Poniatowski qu’à Monsieur Lecoq, de coopération policière. Ces propos étaient totalement déplacés, choquants et ont normalement choqué. Si vous souhaitez les assumer, ce que vous dîtes aujourd’hui et qui finalement de votre part fait preuve de cohérence, alors assumez-les en totalité.
Nous sommes passés ensuite de la complaisance à l’erreur d’appréciation, puis au désarroi et j’allais dire à la négligence : il s’est passé un phénomène tout à fait particulier dans le fonctionnement de notre République, c’est que le Président de la République lui-même a été dans l’incapacité de tenir vendredi soir, soir où le Président Ben Ali a quitté le pouvoir, à 17 heures, un comité interministériel, dans la mesure où ni le Ministre des Affaires Etrangères, ni le Ministre de la Défense, ni le Ministre de l’Intérieur et accessoirement le porte-parole du Gouvernement, n’étaient à Paris pour répondre à sa convocation au moment même où la crise en Tunisie atteignait son apogée.
De cette succession de défaillances, il faut que vous vous expliquiez.
J’ajouterai un dernier mot. Sur quels éléments la France s’est-elle fondée pour adopter une telle attitude ? Qu’est-ce qui vous a conduit à une telle erreur d’appréciation ? Quelles informations avez-vous obtenues qui vous permettaient de penser que la réponse était dans la coopération policière ? Et pourquoi le Gouvernement a-t-il tant tardé pour réagir à la situation ? Pourquoi enfin est-ce le Gouvernement américain, qui a exprimé le plus directement sa condamnation du régime. Pourquoi la France n'a-t-elle pas été associée par les États-Unis à cette réaction ? N'est-ce pas la démonstration de notre perte de crédibilité sur la scène mondiale ?
Bonjour Monsieur Gorce
Si vous vous présentiez à la Présidence de la République Française, je voterais pour vous...
Votre clairvoyance est vraiment exceptionnelle et votre façon de l'exprimer est magnifique. BRAVO.
Croyez à mes sentiments les plus courtois
D. Seletti
Rédigé par : Denise SELETTI | 18 janvier 2011 à 19:55