Peut-être ne m’en voudrez-vous pas d’avoir consacré mon dimanche après-midi à la lecture du dernier ouvrage de Jean-Claude Michéa : « Le complexe d'Orphée : La Gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès » ?
Surtout si j’évoque avec vous les conclusions que m’inspire une réflexion originale, livrée par bribes mais sans complaisance ! Au-delà de ses références à Orwell, comme de son éloge des traditions contre la mobilité folle de la mondialisation, Michéa nous invite à une chose essentielle : retrouver l’identité de l’idée socialiste. Lui rendre, par rapport à la Gauche, sa « spécificité » sans laquelle elle ne pourra résister à l’appel des Sirènes. L’attacher au mât de son histoire pour mieux la libérer ensuite et la livrer à une énergie retrouvée ! A ce titre, son appel est plus qu’utile.
Il n’est en effet de tâche plus urgente pour le socialisme que de redéfinir son identité, alors qu’il s’est trop facilement laissé assimiler à la Gauche.
La tentation pourtant est là, qui affleure dans l’Europe entière : l’épuisement de la social-démocratie a fait mûrir un « centre-gauche » dont les épigones ne se recrutent pas seulement sur les marches septentrionales de l’Europe, mais tout aussi bien en Italie ou en Espagne. En France, la question, sous couvert d’une indispensable rénovation, a là aussi été posée. Identifié à la société industrielle, au vieux prolétariat comme à la lutte des classes, le socialisme ne devrait-il pas tirer sa révérence, ses vieux habits idéologiques sous le bras, abandonnant la scène à une Gauche plus moderne ? Pour les promoteurs de cette révolution sémantique, le mal ne serait pas bien grand. Et même plutôt nécessaire. Tourner la page du socialisme, ne serait-ce pas simplement dire adieu au marxisme ? Ne serait-ce pas tout bonnement prendre acte qu’à la société de classe a succédé celle des individus, rétifs aux doctrines et soucieux de solutions concrètes plus que de concepts abstraits ? A cette rhétorique qui ne manque pas d’arguments, il faut pourtant opposer une claire fin de non recevoir. Y consentir serait un renoncement idéologique doublé d’une erreur historique. Excusez du peu ! C’est que, si Gauche et socialisme appartiennent à la même génération (l’une comme l’autre s’affirmant avec la double révolution politique et industrielle de la fin du XIXème), cette concordance des temps n’est pas une concordance des genres. Le socialisme est une philosophie. La Gauche un tempérament. L’une et l’autre peuvent s’accorder sans concorder. Et c’est bien ainsi que l’histoire nous invite à les considérer.
Les rapports entre le socialisme et la Gauche doivent par conséquent être examinés avec une fine prudence. La Gauche est libérale. Le socialisme ne l’est pas. La Gauche s’est faite autour de l’idée que l’émancipation de l’homme s’identifiait aux progrès des libertés individuelles, permis et garantis par des Institutions démocratiques. Si le socialisme s’est approprié ce point de vue, il a toujours refusé de s’y réduire, liant libertés personnelles et collectives.
A cet égard, la Gauche l’a aidé à fixer à son volontarisme politique des limites indispensables au respect de la personne humaine, dont le communisme s’est dramatiquement affranchi. Le rapprochement qui s’opère à la fin du XIXème siècle permet ainsi d’intégrer dans le socialisme les valeurs libérales que sont celles de liberté, d’humanisme, contribuant à la mutation démocratique du mouvement ouvrier. Ainsi, le protégera-t-il des dérives dans lesquelles se laisseront entrainer les tenants d’un socialisme révolutionnaire et bientôt national, par vagues successives via le Boulangisme, puis la Guerre et enfin le fascisme(1).
Mais le socialisme, s’il s’est nourri de l’apport de la Gauche, l’a toujours dépassée, l’invitant à regarder la société comme un tout, traversé de conflits sociaux, influencé par des rapports de force, modelé par l’évolution des sciences et des technologies. A ce mouvement collectif, il répond par une approche collective oscillant entre le recours à l’Etat ou à la mutualisation.
Le socialisme ne peut ainsi retrouver sa pleine identité que s’il choisit non pas de s’affranchir de la gauche libérale mais d’intégrer plus encore celle-ci à une démarche globale. Mais l’influence de cette gauche libérale, si elle doit être préservée, doit être aussi bien limitée pour que le socialisme ne renonce pas à ce qui est sa vocation première, à savoir une analyse critique et globale de la société visant à proposer au final une nouvelle organisation. S’il devait s’éloigner de la Gauche, le socialisme risquerait de sombrer à nouveau dans une forme de populisme, d’anti-intellectualisme, de retour du nationalisme, dont on voit bien ici ou là les traces et les options possibles. Mais s’il devait s’en tenir à la gauche libérale, le socialisme perdrait toute capacité d’attraction sur les milieux populaires.
Aussi ne saurait-on trop conseiller de ne pas céder à une tentation vague : le libéralisme n’a retrouvé un élan que faute de concurrence. Et parce que la Gauche a cultivé le laissez-faire, laissez-passer idéologique ! Aussi, est-ce bien le socialisme qu’il convient de remettre au goût du jour. Or, de son histoire, qu’apprenons-nous, sinon qu’il n’est pas fondé sur le renversement du capitalisme mais bien plutôt sur sa critique ? Sa vocation, celle qu’ont défendu, mis à jour, actualisé, propagé, partagé ses dirigeants et ses théoriciens, n’est pas de remplacer le système capitaliste, mais bien de l’équilibrer. De Saint-Simon à Leroux, en passant par Marx, Jaurès, ou Crossland, il se veut l’expression d’une volonté : celle de la société de domestiquer, d’encadrer démocratiquement la formidable dynamique de l’économie que le capitalisme libère. Passée sa parenthèse marxiste qui se referme dès le lendemain de la première Guerre mondiale, le socialisme démocratique n’eut de cesse de distinguer la sphère de la production de celle de la vie sociale et des valeurs qui doivent la gouverner.
Il serait dramatique, pour tous ceux qui n’ont pas renoncé à obtenir de l’organisation sociale qu’elle se rapproche un peu plus des valeurs de justice et de solidarité, de renoncer à pareille approche. Non pour entretenir une lutte interminable ou pernicieuse. Mais pour ne pas s’en laisser compter par les autres forces à l’œuvre qui ne cherchent qu’à accroître leur puissance autour des critères inspirés de leur seule rationalité. Le socialisme n’est pas l’ennemi de la banque mais n’admet pas que celle-ci dicte sa loi au monde…
L’histoire, à cet égard, nous a appris que cette lutte ne peut cesser. Qu’elle est la condition de l’équilibre entre deux pôles opposés et pourtant extrémités d’une même planète, celui du développement des capacités de production et d’accumulation d’une part ; celui de la volonté de les réguler et de les encadrer au nom de l’intérêt supérieur de la collectivité humaine tout entière d’autre part !
Être socialiste, c’est « simplement » vouloir préserver cet équilibre…et s’en donner les moyens !
Une large partie de ce blog est tirée de mon ouvrage « L’Avenir d’une idée : une histoire du socialisme » ; Fayard, 2011.
(1) Marc Crapez - Naissance de la Gauche – Editions Michalon 1998.
Quand bien même ce "socialisme"s'accommodant de l'économie de marché comme régulateur et encadreur
ne serait que cela il aurait , vu l'état des lieux son utilité , mais il serait aussi un minimum au dessous duquel il n'y aurait pas de différence avec l'actuelle majorité .
Quant aux divers patrons ou ex du FMI ou de l'OMC qui ont eu ou qui ont la casquette "socialiste"de grâce : ils n'apportent rien au socialisme mais ils le déconsidèrent , je trouve leur présence funeste.Que des gens de la sorte puissent même se prétendre de gauche montre bien oû nous en sommes, aussi ne faut il pas s'étonner que l'électorat se disperse : les Français ne se reconnaissent pas dans ces gens là même avec leur casquette.
girard
Rédigé par : girard rene | 18 décembre 2011 à 14:40
Et bien l'équilibre dont tu parles est rompu, aucune personne de bonne foi ne peut nier que la finance a pris grandement le dessus et que si un coup d'arrêt n'est pas donné la démocratie ou ce qui en reste va sombrer.
Se donner les moyens de reprendre le gouvernail voilà la grande affaire, si vous avez le pouvoir politique que les Français vous auront donné il faudra prendre sans attendre la bonne direction.
On peut toujours puiser dans l'histoire des comportements courageux et efficaces de Philippe le bel, Henri IV de la convention , les exemples ne manquent pas.
Tu dit que le socialisme n'est pas l'ennemi des banques et le fermier est il l'ennemi du renard?
GIRARD
Rédigé par : girard rene | 12 décembre 2011 à 23:19