« Il est passé par ici, il repassera par là ! » La « campagne » du Président de la République pourrait presque se faire en chanson ! Pour autant, et si on veut bien considérer que l’égalité des candidats dans une campagne présidentielle est une question importante, l’on ne saurait réduire le problème des déplacements du chef de l’État à une simple ritournelle. Le rapporteur pour avis du budget du financement de la vie politique et des campagnes électorales que je suis sait bien qu’il n’existe pas de réponse simple.
Les visites officielles effectuées par Nicolas Sarkozy dans l’année qui précède le scrutin présidentiel doivent-elles être imputées sur ses comptes de campagne ? Le Conseil d’État comme le Conseil Constitutionnel ont déjà eu à se prononcer, mais exclusivement sur des déplacements ministériels visant à soutenir un candidat à l’occasion d’un scrutin local ou législatif. Pour conclure que ces interventions ne devaient pas être prises en compte, certes sur la base de motivations discutables mais qui ont toujours, jusqu’à présent, été confirmées, malgré les tentatives en sens contraire de la Commission Nationale des Comptes de Campagne et des Financements Politiques. (CNCCFP).
S’agissant du Président, le problème est encore plus délicat tant qu’il n’est pas officiellement déclaré. Dans l’intervalle il continue, et c’est bien normal, d’exercer son mandat et, pour ce faire, de s’adresser aux Français, préparant ainsi à l’évidence une candidature que chacune de ses interventions sert, plus ou moins manifestement, à anticiper. Les socialistes sont donc fondés d’interroger la CNCCFP pour savoir si un discours comme celui de Toulon aujourd’hui doit être pris en compte ou non. Rappelons que d’après les experts, le coût de ce déplacement s’élèvera à environ 300 000 €. Il s’inscrit par ailleurs dans le contexte, que l’on ne peut éluder, d’un quasi doublement du nombre de visites dans nos régions du Président de la République, comparé à 2010.
A ce stade, plusieurs points méritent observation. La CNCCFP n’est tout d’abord nullement contrainte de répondre, puisque sa saisine n’est pas prévue par les textes. Mais en admettant qu’elle décide de se prononcer sur le fond, l’orientation qu’elle arrêtera pourra sans doute servir de référence aux candidats, mais sans pour autant présenter de garantie, puisque c’est le Conseil Constitutionnel qui restera in fine seul compétent. Enfin, quoi qu’il advienne (refus de répondre ou réponse jugée insatisfaisante par les pétionnaires), l’avis que rendra la CNCCFP ne pourra être contesté que devant le Conseil d’État. Or celui-ci ne manquera pas de se déclarer incompétent, dans la mesure où le Conseil Constitutionnel est bien le seul juge qui puisse se prononcer sur un contentieux concernant une élection présidentielle (1).
Aussi semble-t-on dans l’impasse. Que faire ? Chacun s’accordera à considérer que cette situation n’est pas satisfaisante, le Président de la République ne pouvant bénéficier d’une telle ambiguïté dont l’abus serait, qui plus est, non sanctionnable. Il convient en effet de rappeler que les Sages disposent de seulement 10 jours pour se prononcer sur le résultat de l’élection présidentielle, c’est-à-dire bien avant de connaître les conclusions du contrôle des comptes de campagne remis par la Commission remises, elles, dans un délai d’un mois. Si bien qu’une violation extravagante des règles de financement des campagnes présidentielles ne peut aujourd’hui se traduire que par une peine mineure, à savoir la diminution de la part des remboursements publics…
Pour aller plus loin, il ne reste qu’une possibilité à laquelle l’honnêteté comme le souci de la transparence devraient conduire à se rallier : la publication par le Chef de l’État du coût détaillé de chacune de ses sorties publiques dans l’année qui précède le scrutin présidentiel. Cet engagement pourrait être pris aujourd’hui de manière informelle. Ce serait déjà un progrès. Il devrait être, demain, rendu obligatoire par la loi, afin de permettre aux instances de contrôle de faire leur travail dans des délais et avec des moyens adéquats. A cet égard, ne conviendrait-il pas de permettre au Conseil Constitutionnel de retarder sa décision jusqu’à la communication par la CNCCFP de ses conclusions ? Ou, à défaut, afin de ne pas créer une période d’incertitude dangereuse pour l’État, de communiquer celles-ci au Parlement afin qu’il puisse, s’il le juge utile, mettre en œuvre la procédure de l’article 68 de la Constitution qui réprime les manquements graves du Chef de l’État aux devoirs de sa charge. Nul doute que l’utilisation des deniers publics via des déplacements officiels détournés de leur objet puisse entrer dans cette catégorie. Il en va de même d’éventuels financements via l’étranger ou de possibles détournement de fonds, comme ceux qu’a révélé M. Bourgi… Encore faudrait-il que cet article 68 puisse être mis en application, et que la loi organique qui le permettrait soit rapidement votée. Le Sénat vient d’adopter une proposition en ce sens ; l’Assemblée a été saisie d’un projet ; il serait utile que cette double démarche aboutisse sans délai.
(1). Le Conseil Constitutionnel ne peut quant à lui pas être saisi directement en-dehors de la période qui suit l’élection, pas même par une question prioritaire de constitutionalité (QPC), dans la mesure où même si l’égalité devant le suffrage est en cause, il s’agirait de contester non l’application d’une loi mais l’absence de règle applicable.