À peine a-t-on refermé un tel livre que l'on cherche aussitôt à comprendre les raisons de l'envoûtement dans lequel l'on a, quelques jours, été plongé. Le dernier livre d'Antonio Munoz Molina invite d'autant plus à un tel exercice que son "héros" effectue un retour sur soi dont nul ne peut s'exempter. Ignacio Abel promène, à travers son tout frais exil, un regard mi-désabusé, mi-résigné sur les derniers mois qu’il vient de vivre, fuyant une Espagne livrée à la guerre civile et à sa folie meurtrière. Un même chaos s'est emparé de sa vie à travers une passion amoureuse qui, comme la violence le détache de sa patrie en folie, l'éloigne de sa famille et rompt les compromis qui avaient accompagné sa promotion sociale. Abel, jusqu'alors tout entier concentré sur son travail, sa réussite, sa carrière, est rattrapé par une double folie qui l'entraîne et le rejette fougueusement loin de ce qu'était alors sa vie, ses certitudes, ses facilités.
Molina aime nous faire sentir que « rien n'est jamais acquis à l’homme » et que l'Histoire comme l'amour sont là pour lui rappeler sa fragilité, ou celle des accommodements auxquels, quittant sa jeunesse, il a pu de bonne foi se livrer. Rien n'est donné une fois pour toutes, nous dit-il, ajoutant que seul ce qui peut (va ?) nous être repris a une véritable valeur, comme la vie elle-même. Si Abel est touchant, c'est aussi par sa soudaine faiblesse, lui qui, orphelin très tôt, a bâti sa vie, en a soulevé le poids rendu toujours plus lourd par ses succès même, pour au final se sentir écrasé, presque heureux (mais fini ?) d'en être enfin libéré par la tragédie. Le voici rendu à lui-même par la perte de tout ce qu'il a voulu (plus qu'il ne l'a aimé), affolé par cette liberté nouvelle qui ne garantit rien.
Que veut nous dire Molina que nous puissions entendre ? Au-delà de la formidable reconstitution du Madrid enfiévré de l’été 36, au-delà de la lâcheté si humaine de son personnage, qui ne cesse au fond de fuir comme profitant du désordre, simplement ceci : qu'une fois débarrassé des illusions que nous entassons comme une barricade face au flux de la vie, il ne nous reste plus que la peur. Une peur inhérente à notre condition que la vérité nous aide mieux à affronter que tous les rêves que nous nous construisons, que toutes les habitudes auxquelles, paresseusement, trop souvent nous cédons.
monsieur,
j'avais tendance à penser que les hommes politiques sont le plus souvent incultes. Tel n'est pas votre cas. Ce livre est entièrement traversé par le sentiment tragique de l'histoire qui rend nécessaire à certains l'engagement mais également devrait le tempérer. Tout aussi paradoxal et riche en méditation "Anatomie d'un instant" de Javier Cercas.
Rédigé par : michele nouilhan | 09 avril 2012 à 10:18