Si la Gauche a gagné la présidentielle, elle est loin d'avoir gagné la bataille des idées ! Il suffit pour s'en convaincre de noter que Nicolas Sarkozy a réuni plus de 48% sur un programme axé autour de la menace que représenteraient pour notre pays tant l'Islam que l'immigration. Il a, ce faisant, jeté les bases d'un inévitable rapprochement politique avec le F.N. que le Centre, affaibli au-delà du raisonnable, sera bien en peine de contenir. Ce mouvement, amorcé depuis des années, et déjà lisible dans les résultats de 2007, s'opère sur fond de glissement du vote populaire. Bousculés par la crise, nombre de nos concitoyens sont tentés d'exprimer leur nostalgie d'un état national et protecteur rejetant aux frontières (mot clé de Sarkozy au 2ème tour) les éléments perturbateurs. Tout comme sont aujourd'hui tentés de le faire beaucoup d'Européens, aux Pays Bas, en Italie, en Hongrie...
Des lors, le problème qui se pose à la Gauche est paradoxal : européen, puisqu'il concerne l'Union dans son ensemble, le défi à relever reste spécifique dans la mesure où il en appelle d'abord au national. Le seul moyen de surmonter cette contradiction est d'en traiter les deux termes à la fois, à la différence des stratégies politiques conduites jusqu'alors. Le national ne peut être négligé et encore moins abandonné à l'extrême-droite : aussi la Gauche ne doit-elle pas hésiter à en reprendre les symboles, en particulier à travers l'histoire et les occasions multiples qu'elle offre de valoriser notre unité. Et ceci d'autant plus que ce qui fait l'originalité de notre conscience patriotique est l'attachement de la France à des valeurs universelles auxquelles elle a voulu dès l'origine s'identifier. Notre sentiment national, sous la menace des monarchies, s'est éveillé en même temps qu'étaient proclamées l'abolition des privilèges et la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ! Nous avons cette chance qu'être français, c'est revendiquer une part d'universel !
Aussi est-ce cette même idée que nous devons appliquer à notre ambition européenne pour lui redonner toute sa force et susciter l'adhésion. Et démontrer que l'Europe n'est pas une contrainte mais un choix ! Ce qui suppose à la fois de réinjecter de la démocratie dans le fonctionnement de l'Union et de présenter celle-ci comme le moyen que nous nous sommes donnés pour peser sur les orientations du monde. Ce qui revient du coup à admettre que plane sur notre continent la menace d'un affaiblissement de son modèle de société qu'il nous appartient au contraire de défendre coûte que coûte.
La Gauche devrait ainsi se faire porteuse de l'idée d'une Nation ouverte et d'un patriotisme européen que l'euro peut aujourd'hui symboliser à l’instar de ce qu’avaient suggéré voici près de dix ans J. Habermas et J. Derrida. Ce qui devrait nous conduire à adopter sur ce dossier, à l'égard des Etats-Unis comme de la Chine, qui sont les grands perturbateurs du système monétaire international, un discours offensif, presqu'à l'égal de celui qui fut, en son temps, tenu sur l'Irak. Pourquoi l'Union, et en particulier les pays de la zone euro, devraient-ils supporter seuls le poids des ajustements nés de la crise ? Alors que la Chine accumule les excédents commerciaux sans toucher à sa monnaie et que les Etats-Unis accumulent les dettes sans en payer le prix du fait du privilège du dollar. N'est-ce pas sur cet axe que nous devrions tenter de rallier l'Allemagne ?
Certes, nous pourrons d'autant mieux y parvenir que nous aurons remis de l'ordre dans nos comptes. Et si François Hollande a raison de faire de la croissance notre cheval de bataille, cette revendication ne nous exonérera pas d'un nécessaire effort de redressement financier. Celui-ci ne pourra se résumer à un ajustement budgétaire. Résorber le déficit de notre sécurité sociale supposera un audit social du système de prélèvements et de prestations : corriger les abus, passer chaque avantage consenti au crible de l'intérêt général, se demander comment atteindre au mieux et à moindre coût les objectifs de solidarité qu'il importe de redéfinir clairement et collectivement lors d'une prochaine loi de financement de la protection sociale. Réformer l'Etat, aussi, pour le rendre plus efficace, c'est à dire mieux à même de remplir ses missions. Ce débat devra être mené au grand jour pour associer l'opinion aux changements à venir et lier l'objectif d'assainissement financier à celui de changement social.
Enfin, la Gauche ne pourra gagner la bataille des idées que si elle pousse jusqu'au bout sa critique du système financier en lui substituant un autre modèle de développement, fondé sur l'exigence écologique, dans lequel les valeurs de gratuité, de solidarité, de coopération, de qualité, de temps libre reprennent le dessus. Ce projet est à peine esquissé : à l'instar des fondateurs du modèle social de l'après-guerre, aujourd'hui obsolète, il nous appartient de « l’inventer ». Par la réflexion collective (mettons ces questions en débat au sein de nos partis et du PSE), la volonté politique (inscrivons-les à l’agenda du quinquennat) et par notre comportement. Le gouvernement se veut désormais exemplaire : faisons nôtre à tous les niveaux cette éthique de la responsabilité, qui crée la confiance et nous réconciliera avec les Français.
Sur ces bases, nous serons armés pour faire reculer la pensée dominante, mélange de résignation amère face aux marchés, d'individualisme agressif et de rejet hargneux de l'autre à travers la nostalgie d'une identité perdue. Pour y parvenir, la stabilisation du chômage ou la relance du pouvoir d'achat ne suffiront pas. Ce sont des références partagées qui y aideront, fondées sur une vision nouvelle de la Nation, de l'Europe et du monde à venir.
Tu fais bien de rappeler que la nation est à son origine une idée de gauche, puisque son apparition coïncide avec la Révolution Française et la fin de la monarchie. C'est d'ailleurs sans doute parce qu'elle refuse de la penser que la gauche ne parvient plus à imposer ses idées (l'élection de François Hollande est, à cet égard, clairement plus la défaite de Sarkozy). Alors que notre société se fonde encore sur un contrat social qui, comme tu l'as dit, est assez largement dépassé, il est nécessaire et urgent de le repenser (ce qui revient à repenser la nation, puisqu'elle est en France un projet collectif, donc un contrat social). Je reste à cet égard convaincu que la non-pensée de ce que doit devenir notre pays et de ce que doit être l'État et son rôle dans notre société sont à l'origine de bien des problèmes d'apparence purement budgétaires ou économiques.
Rédigé par : Fabien Moreau | 28 mai 2012 à 16:02