La politique n'est pas née avec la morale. Mais plutôt contre elle, puisque c'est en se libérant de l'influence religieuse que le Prince a gagné son autonomie.
La politique n'est donc pas née avec la démocratie. Mais celle-ci lui imposa des règles, une sorte d'éthique, dont la légitimité n'a cessé de se renforcer : séparation des pouvoirs, transparence de la délibération, respect de toutes les opinions, liberté d'expression, autant de principes que nul ne songe plus à remettre en question.
D'où vient alors ce sentiment d'une corruption rampante du système ? Gauchet nous dirait sans doute, et avec raison, qu'il est dans la nature même de la démocratie de décevoir les promesses qu'elle fait naître : fondée sur le "tout est possible" de la souveraineté, elle ne cesse d'expérimenter les limites de la volonté politique, ne serait-ce qu'à l'égard de ses propres principes. Quant à l'affirmation des droits de l'individu, ceux-ci ne peuvent que finir mécaniquement par se retourner contre la société qui les a consacrés. La désillusion serait donc le prix à payer pour la liberté. A la condition, cependant, d'en maintenir l'effet corrosif dans le cadre de l'acceptable. Ce qui revient à dire que le mécanisme qui conduit le citoyen de l'espoir à la déception doit être constamment réamorcé.
C'est cette lourde tâche qui revient aux dirigeants politiques et qui exige d'eux un mélange d'idéalisme et de réalisme dans des proportions qui peuvent varier selon les circonstances mais sans jamais rompre durablement le rapport initial. Dans la violation de cet axiome se trouve à l'évidence la source du déficit moral dont souffre aujourd'hui notre démocratie.
Le problème ne vient pas que la corruption y serait plus répandue qu'autrefois (le penser constituerait une exagération manifeste), mais que le cynisme y règne en maître. De l'équation démocratique, l'un des termes a disparu et tout le système en est déséquilibré. Jaurès ne disait-il pas que les progrès de l'humanité se mesurent aux concessions que la folie des sages fait à la sagesse des fous ? Or, le réalisme s'est mué en fatalisme et en carriérisme quand la conviction cédait la place au relativisme. De là vient que le contrat moral s'est rompu. Et que la seule question politique qui vaille, pour paraphraser Camus dont le mythe de Sisyphe reste d'actualité, est de créer les conditions pour le reconstituer. La loi, qui pousse à toujours plus de transparence, n'y saurait suffire, les règles étant faites pour être contournées. C'est l'esprit civique qu'il faut revivifier, et d'abord parmi ceux qui aspirent à diriger notre République. Esprit qu'il faut reforger en faisant revivre comme s'y emploient des philosophes tournées vers la Cité (et dont Cynthia Fleury fournit l'exemple) les principes de l'engagement républicain, à l'instar des Renouvier, Buisson (Ferdinand celui-là !) de la fin du XIXème qui s'attacheront à donner aux Républicains une morale sans laquelle ils n'eussent pu survivre. Que Mendès ait été l'héritier étonnant d'un radicalisme en perte de vitesse trouve ici son explication : anticipant sur l'effondrement des idéologies, il voulait, à l'instar de ses grands ancêtres, fonder la politique sur une éthique de la vérité, définie comme une exigence de sincérité à l'égard du citoyen, obligeant à fonder le discours sur la raison et l'action sur la connaissance des faits. Il peut certes paraître curieux dans la confusion qui règne aujourd'hui et qu'entretiennent les médias, de "prêcher" pour une régénération morale et intellectuelle qui semble à cent lieux des pratiques observées. Mais pourquoi faudrait-il toujours céder à ce marxisme primaire, ou cet utilitarisme à courte vue, qui sert de prétexte à tous les débordements que justifierait, selon ceux qui s'y livrent, une sorte de mouvement des choses ? La société serait ainsi faite, à ce point libérée des entraves et soumise aux flux du marché, qu'il serait impossible d'en canaliser les marées ? Comment ne pas dénoncer dans ce "fatalisme sociologique" un prétexte à ne pas assumer sa responsabilité, d'autant plus curieux que ses promoteurs s'appuient par ailleurs sur un éloge de la liberté individuelle ? Celle-ci ne devrait-elle pas reposer au contraire sur la conscience des choses ? C'est donc à chaque élu politique, dirigeant de Parti, responsable gouvernemental, de s'obliger ! Au nom d'une éthique sans laquelle notre démocratie s'avilira au point de ne plus être qu'un désordre de mots et d'ambitions... Aussi est-ce à ce travail de reformulation que nous pourrions inviter tous les jeunes esprits que passionnent encore la politique plutôt que de se perdre trop tôt dans les fanges de la compétition intra-partisane !
Tout cela est fort bien écrit, mais pour moi qui ne suis guère savant j'ai bien du mal à comprendre:
La démocratie donnée à tous les Français est suffisante et néanmoins elle n'a nul effet sans démocratie efficace ?tous les français ont la suffisante et tous n'ont pas l'efficace -tous ont assez de démocratie et tous n'en n'ont pas assez , c'est à dire que cette démocratie suffit quoiqu'elle ne suffise pas , c'est à dire qu'elle est suffisante de nom et insuffisante d'effet.
Serions nous d'office libres et désillusionnés ne pourrions nous être libres sans être désillusionnés , la démocratie n 'est pas une illusion, la liberté non plus.
gardons espoir de voir reculer la désillusion et avancer la démocratie et la liberté c'est toute la grâce efficace et suffisante que l'on peut souhaiter.
girard
Rédigé par : girard | 22 mars 2014 à 22:19