La France s'est faite, pourtant, "par" la politique. Elle ne s'est construite ni sur le sol ou des frontières "naturelles", ni sur le sang, ni même sur une langue commune (qui ne l'est vraiment que depuis un petit siècle). Mais par l'effet d'une volonté, celle de monarques qui préférèrent l'indépendance de l'Etat à l'allégeance à une communauté de valeurs dominée par l'Eglise ; celle de Républicains qui, génération après génération, créèrent l'idée de Nation autour de trois principes : la souveraineté populaire, l'égalité, la laïcité, auxquels nos concitoyens restent viscéralement attachés.
Du coup, le Pays ne se remettra en mouvement qu'une fois convaincu de retrouver, au bout du chemin, la maitrise de son destin. Non dans un esprit de domination mais pour y maintenir vivantes ses valeurs fondatrices.....Ce qu'attendent les Français c'est donc qu'on leur montre comment cette " reprise en main" peut et va s'opérer. Et c'est à cette aune seulement qu'ils jugeront des reformes qui leur seront proposées.
Que la France puisse retrouver sa capacité de décision, trop de dirigeants politiques semblent cependant incapables de le dire, et sans doute, de l'envisager.
Décider pour soi, de son destin, ne veut pourtant pas dire décider seul. Il serait absurde d'y voir un abandon de l'ambition européenne qui nous occupe maintenant depuis plus d'un demi-siècle. Partager la décision avec d'autres nations voisines, ce n'est pas renoncer à sa souveraineté... sauf si ce pouvoir partagé est exercé en vue d'objectifs obscurs et hors de tout véritable contrôle démocratique. L'Europe n'a donc de sens que si elle a pour effet de renforcer par leur union l'influence de chacun des États qui la composent autour d'une vision et d'un projet communs. Mais si l'Europe n'est qu'une autre façon de se soumettre aux diktats des marchés ou à l'hégémonie à laquelle tendent les États-Unis, on peut comprendre alors que s'expriment ici et là de plus en plus de réticences, voire de résistances.
L'Euro, qui est en soi une bonne chose, n'est utile que s'il sert au bout du compte les intérêts de tous, c'est à dire s'il contribue à la vitalité exportatrice et à la stabilité financière de l'ensemble de la zone. On ne peut donc regarder les écarts de compétitivité, d'emploi, d'endettement qui se sont creusés comme "un écart par rapport à la règle" qui supposerait de ramener les récalcitrants, de gré ou de force, dans le droit chemin. Il faut y voir au contraire un déséquilibre structurel qui doit être corrigé par un effort commun visant à rapprocher les taux de croissance et les niveaux de développement industriel dont les différentiels expliquent justement les problèmes de dettes et de déficits rencontrés par les plus fragiles. Que l'Euro ait renforcé les forts et affaibli les faibles devrait conduire les gouvernements européens et d'abord le notre à en tirer les conclusions en termes de coopération et de politiques communes. Reprendre son destin en main, c'est pour l'Europe comme pour la France, définir une stratégie commune visant à rééquilibrer la situation dans les pays ou les régions les plus éprouvés par la désindustrialisation observable désormais à l'œil nu.
J'ai déjà évoqué ici l'idée d'un plan de convergences qui, étalé sur 10 ans, redonnerait à la zone Euro un projet partagé que devrait couronner un renforcement du rôle des Parlements nationaux dans le fonctionnement de l'ensemble. Dommage qu'une telle ambition n'ait pas figuré dans les vœux ni du Chef de l'Etat, ni d'aucun de ses opposants.
Mais rien, naturellement, ne saurait remplacer, l'affirmation préalable, devant l'opinion, de l'ambition d'assurer à l'Europe sa place dans le monde, et à la France sa place dans l'Europe. C'est à dire de préserver, en le modernisant, le système social le plus protecteur au monde; la conception de la culture et de la science la plus ouverte et la plus pluraliste; une volonté de sécurité excluant toute forme d'hégémonie et un attachement au droit international garantissant une médiation équitable dans les conflits extérieurs; une prise en compte de l'exigence absolue que représente désormais la lutte contre le réchauffement climatique qui se traduise en interne par une stratégie ambitieuse et dans les négociations mondiales par un volontarisme justifié par les intérêts mêmes de l'humanité tout entière.
Le problème c'est qu'en politique, la volonté doit se traduire aussi symboliquement. C'est donc par des mots et des gestes, par des propositions et des initiatives, qu'elle devrait d'abord se manifester. Là encore l'Europe est en souffrance et la France en manque !
Décider pour soi, c'est ensuite considérer que le chemin que nous avons choisi pour maintenir vivante l'idée d'égalité reste le bon. Ce n'est pas vouloir en finir avec l'exception française mais au contraire la conforter... et la moderniser. C'est donc affirmer notre détermination à maintenir un niveau élevé de protection correspondant à des décennies de luttes, d'attentes et de réformes. C'est comprendre que l'adaptation de notre système social ne sera acceptée que pour autant qu'il soit démontré aux Français qu'elle servira au fond à le sauver ou le consolider. A défaut s'insinue le poison de la crainte, quand ce n'est pas celui de la jalousie ou de l'envie. Que notre sécurité sociale, malgré ses déficits massifs, n'ait suscité aucune véritable remise en cause témoigne de l'attachement qui lui est porté, du consensus qui l'entoure. Pourtant, chacun sent bien confusément que cela ne pourra durer et qu'il faudra bien un jour solder les comptes. D'où la nécessité d'enclencher la réforme de son financement, de redéfinir publiquement, dans la transparence, ses priorités, de responsabiliser vraiment ses acteurs. C'est une remise en ordre qui est ici indispensable et dont la pédagogie, essentielle, ne pourra être faite que si le Gouvernement qui s'y décidera sait exactement où il veut aller ! A savoir : donner un contenu actuel à la notion d'égalité sur laquelle s'est bâti notre pays !
Décider pour soi, c'est ainsi et enfin agir à partir des valeurs qui nous unissent ! Et donc s'en faire une idée claire ! Si, comme l'écrit Louis Dumont (L'idéologie allemande) : "l'idéologie de base du Français... consiste en somme en un seul principe, l'universalité du sujet humain", alors il n'est guère surprenant que la crise de ces valeurs se traduise par un malaise national de plus en plus perceptible. Aussi, serait-on par conséquence tenté de voir dans l'actualisation de ses valeurs la solution aux maux qui nous assaillent. Nous avons déjà évoqué l'enjeu de la souveraineté qu'il faut sortir de l'impasse dans laquelle l'impuissance européenne le tient enfermé. Nous avons brièvement fait allusion à l'idée d'égalité qu'il est urgent de rafraîchir, comme il vient d'être suggéré. Reste le concept de laïcité qui en dit plus long sur la façon dont les Français pensent le monde qu'aucune autre préoccupation nationale. Loin de rejeter toute conscience religieuse, tout spiritualisme, la laïcité vise à garantir deux choses : qu'aucune philosophie ne l'emporte sur une autre et dicte ses règles à la collectivité des citoyens d'une part ; et, d'autre part, que la foi (ou son absence) soit bien la conséquence d'un choix libre et éclairé et non l'effet d'une tradition. Rien ne fait obstacle dans cet esprit au respect dû à l'Islam comme à ses pratiquants. Tout est ici question d'équilibre, c'est à dire de hiérarchie entre des principes d'importance différente. Ce qui revient à dire que tout est possible dans les limites qui viennent d'être rappelées. Ne serait-il pas urgent d'en décliner la portée au cas par cas pour éclairer la nation sur des sujets qui faute d'être abordés de front nourrissent toutes les craintes et les ressentiments ? Et de travailler à une charte de la laïcité dont le projet présenté par le précédent ministre de l'Education n'a été qu'un ersatz ?
Oui, la France est malade de ce que ceux qui aspirent à la diriger ne savent plus lui parler. Il n'y a contre cela aucun remède à trouver dans je ne sais qu'elle stratégie de communication. C'est affaire de culture : aimer la France, c'est croire en sa singularité ! C'est cette foi qui s'est perdue et qu'il nous appartient de réactiver. Des vœux n'y suffiront sans doute pas : mais cédons-y tout de même en ce début d'année !
Je partage cette analyse et je me réjouis de cette vision par rapport à l'Europe oui "aimer la France c'est croire à sa singularité"mais tant de mal a été fait , ce ne sera pas facile de "réactiver la foi"nous avons été tant de fois tromper .
Je ne suis pas sur que beaucoup partage tes idées , il faudrait que ceux qui nous ont fourvoyé se repentent , reconnaissent leurs erreurs- vaste programme -La laïcité est plus que jamais un pilier de la république ,il faut être intraitable sur ce sujet : question de survie et prendre les décisions qui seront nécessaire , ne pas céder d'un pouce et en finir avec les abonnés à la délinquance et au crime.
girard
Rédigé par : rene girard | 08 janvier 2015 à 20:33