Il a fallu que je me replonge dans l'œuvre d'Imre Kertesz pour mieux comprendre la colère qui assaille nos frères juifs en Europe, partout perceptible et qu'illustre la tentation de l'exil que certains disent aujourd'hui ressentir.
Je dois avouer le malaise qu'a d'abord suscité en moi la virulence, et même la violence, du ton de son dernier livre (L'ultime auberge) : y sont férocement stigmatisés tous ceux, juifs ou non, qui s'autoriseraient, dans une Europe agitée, à critiquer Israël. J'y voyais, et j'y vois encore un peu, la trace d'un ressentiment politique, une forme de règlements de compte idéologique. Et puis j'ai lu "Liquidation". Et puis, j'ai relu "Être sans destin".
Que chacun de nous, ici, sur ce vieux continent, porte le poids d'Auschwitz, je le savais déjà intuitivement. Nous, nos pères, nous avions laissé faire. Nous avions laissé s'accomplir l'irréparable, s'installer la barbarie, l'inhumanité, en voisines. Nous aurons tous à jamais des comptes à rendre pour cela. Pour ne pas avoir vu ou voulu voir ce qui se préparait. Et du coup, pour l'avoir rendu possible. Au-delà des générations. C'est ce qui sépare la Shoah de tous les autres crimes dont notre humanité s'est rendue coupable. Nous l'avions laissé naître de nos cerveaux civilisés, dans notre société européenne travaillée par des siècles de poésie et de philosophie, honorée des progrès de ses arts et de ses lettres, fière de ses découvertes. Et l'héroïsme de quelques uns, magnifiques ou humbles, justes parmi les justes, n'avaient pas suffi à nous sauver. Oui, je sentais que, non pas cette culpabilité, mais cette "responsabilité", jamais nous ne pourrions nous en libérer.
Mais ce que je n'avais pas compris, c'est le gouffre que creuse l'expérience entre nous et celui qui "sait". Tous, certes, sommes-nous bien "conscients" que la bête immonde ne mourra jamais, qu'elle sommeille ici et là. Mais tous nous (nous?) sommes convaincus qu'elle ne pouvait ressurgir. Qu'instruits par le passé, nous saurions cette fois lui tenir tête. Alors que nos frères juifs "savent" qu'elle le fera... La peur légitime que leur inspire aujourd'hui l'antisémitisme renaissant n'est-elle pas fondée sur la connaissance intime du monstre et de ses complices : l'indifférence, la lâcheté, toutes ces sortes d'alibi que l'homme sait se fabriquer pour ne plus assumer sa responsabilité d'homme ? Le plus glaçant dans "Être sans destin" est peut-être ce moment où Kertesz fait surgir l'horreur comme la pointe d'un édifice patiemment construit de tous les petits mensonges, les petites trahisons, les petits arrangements avec la vie : lorsque cet adolescent juif du Budapest de 1944 réalise pourquoi il n'était pas possible à ce boucher au regard haineux d'aimer les juifs "parce que alors" (en réduisant la portion de viande qui leur était due) "il pourrait avoir la désagréable impression de les rouler. Alors que là, il agit conformément à ses convictions, et une sorte de principe guide ses actes..."
C'est donc la vie dans son quotidien le plus banal qui nous invite à pactiser avec le mal. Ce que l'on ne peut pas ne pas ressentir dans ces rues de Paris dont Modiano a réveillé la mémoire lorsqu'une jeune fille, Dora Bruder, dans l'apnée de son innocence, marche vers la mort dans la plus complète indifférence des passants.
Oui, désormais, sans la partager, je comprends la colère de nos frères juifs. Non que je me résigne à un quelconque fatalisme : je crois toujours (comme tout homme de gauche, je pense) que rien, jamais, n'est écrit, que l'homme apprend de l'histoire, que les progrès des institutions aident à l'amender. Je crois toujours que dans l'éternel combat qui met aux prises la haine et la générosité, l'envie et la justice, la victoire du pire n'est jamais assurée. Je veux le "croire". Mais nombreux, dans leur chair et dans leur cœur, "savent" que c'est arrivé...
Merci Monsieur Gorce, merci Cher Camarade pour ce très beau texte et cette magnifique réflexion que vous (tu) nous donnez à lire.
Contrairement à ce que vous dites, je crois sincèrement que vous avez, là, au moment où vous écrivez et sans doute avant, compris ou du moins ressenti ce gouffre entre celui qui sait et les autres.
Mais les affreux crimes du mois dernier et les attentas d'hier à Copenhague nous laissent-ils la possibilité de l'espoir ? Peut-on encore croire en l'Homme et dans sa tolérance et sa solidarité ?
Mon père, déporté à Auschwitz, depuis Paris, a eu bien du mal à nous faire passer un quelconque sentiment de confiance dans les hommes, lorsque nous étions jeunes ma soeur et moi. Mais je résiste et je milite ici et ailleurs en me disant que, peut-être un jour, nous, les hommes et les femmes de bonne volonté seront de plus en plus nombreux et que notre parole franchira les murs.
Merci.
Joelle Lewi
Rédigé par : Joelle Lewi | 16 février 2015 à 20:18
Nous devrions être responsable de la tentative d'extermination des Juifs par les Allemands et Autrichiens je ne te comprends pas bien Gaëtan d'abord tu n'étais pas né , moi non plus , mon père à donné 8 ans 3 mois et 18 jours pour combattre les pays auteurs de ces crimes , je pense qu'il a largement contribué au travail , tu me permettras de ne pas me sentir "responsable".
Il faut arrêter le "mea culpa"ce n'est pas sain.
Comme il n'est pas sain non plus de ne pas pouvoir dire un mot sans être taxé
"d'antisémitisme" ne pas dire ce que l'on pense d'Israël c'est la même chose que d'avoir dit un mot sur Moscou à un communiste Français de l'après guerre, comme d'avoir dit un mot de trop à un catholique ultramontain sur Rome en 1900, par pitié ça suffit.La coupe est pleine, prenons un peu de hauteur pour pouvoir mieux comprendre .
girard
Rédigé par : girard | 16 février 2015 à 20:06