Toute vie se termine sur un échec. Mais la forme que prend la mort donne à cet échec une dimension particulière.
Jean Germain ne méritait pas cette fin. Elle ne rend pas compte de son parcours, celui que permet la méritocratie républicaine ; de ses convictions, celles d'un homme de gauche sincère engagé très jeune aux côtés de François Mitterrand ; de son dévouement, celui dont il a témoigné à la tête de la mairie de Tours conquise à force de ténacité et conservée par l'intelligence et le doigté.
La fin qu'il a choisi est pourtant la seule qui, selon lui à l'évidence, lui permettait d'échapper au déshonneur, lui dont l'intégrité était totale, constitutive de son être.
La mort, pour ce qu'il a appelé dans sa dernière lettre "un manque de discernement", quel prix insupportable à payer ! Gérard Larcher, le Président du Sénat, s'est ému hier à la tribune que le "système" n'ait tiré aucune leçon de l'affaire Bérégovoy. J'étais à l'époque à l'Elysée. Je revois François Mitterrand dans le train le conduisant à Nevers relisant et raturant sans cesse le texte de l'allocution qu'il devait prononcer, et dans laquelle il allait dénoncer la hargne stupide et folle de ceux qui "livrèrent aux chiens" l'honneur d'un homme...
L'orgie de transparence à laquelle notre société, peut-être trop longtemps frustrée, se livre aujourd'hui au mépris des précautions élémentaires, est pour une part responsable de tout cela. On oublie qu'à l'exception peut-être de quelques voyous qui déshonorent la vie publique, l'homme, tout homme, élu ou non, est un être sensible, fragile, exposé. Qui pas mieux que le noyau de l'atome ne peut résister indéfiniment au bombardement des particules médiatiques, exposant tout de sa vie, sans pudeur, le condamnant avant même d'avoir été jugé... J'imagine mieux aujourd'hui ce que Jean, mon ami, à dû subir, à dû souffrir, sans s'en ouvrir aux autres mais comme une douleur incessante. Face à cet étalage, permis aussi par la collusion de la justice et de la presse, nulle issue, nul moyen de préserver ses droits élémentaires. Le bureau du Sénat, seul, avait refusé de céder à la curée en refusant de lever son immunité parlementaire. Il eut été alors un ancien ministre ou une personnalité nationale, on imagine le hourvari médiatique qu'une telle décision, pourtant sage et fondée, eut provoqué.
À ce système judiciero-médiatique qui oublie l'homme, expose sans pudeur son intimité, accuse et condamne sans jugement, nous devons répondre par la réaffirmation intransigeante des valeurs humanistes qui sont les nôtres : la décence, la modération semblent des principes éculés mais leur disparition nous livrerait à une sorte de totalitarisme.
La notion de vie privée, sous la pression des réseaux sociaux, s'évapore. Elle est pourtant notre seule véritable protection : il y a une part de l'homme qui n'a pas à être exposée. Et si l'on a besoin d'en connaître pour le juger, ce doit être dans le secret du bureau des juges…
Mais il nous faut aussi en conclure à la nécessité absolue de ne plus céder à la démagogie ambiante qui fait de tout élu un suspect. Pour utiles qu'elles aient été les lois récentes n'ont fait qu'accentuer cette caricature parce que toutes cédaient à cette tentation. À trop vouloir prouver que l'on est soi-même irréprochable, on met en place des absurdités juridiques.
La meilleure garantie pour nos concitoyens d'avoir des élus dignes de les représenter, c'est la morale personnelle dont chacun est capable de faire preuve. De ce point de vue, Jean Germain était irréprochable. Et c'est de cette honnêteté qu'il est mort ! Si les victimes de ce système sont les hommes honnêtes, c'est bien la preuve que celui-ci est pervers et doit changer. Mais là encore, ce n'est que par l'éthique de ses acteurs, juges et journalistes, que l'on y réussira....
Il y avait, cher Jean, d'autres moyens de te faire entendre. Nous aurions été à tes côtés.
Ton geste est là pour dire cependant l'essentiel : derrière la courtoisie et l'humour, il y avait en toi une intransigeance, un refus de s'accommoder de l'indigne dont tu as apporté la preuve à ceux qui refusent de croire en la vérité... Pour nous, ta vie suffisait à en témoigner...
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