Cela pourra surprendre, mais je me réjouis de la polémique qu'ont fait naître, entre autres éléments de la réforme des collèges, les nouveaux programmes d'histoire. Tant que celle-ci suscitera les passions, rien ne sera tout à fait perdu : ces vieux débats, avec leurs outrances et leur mauvaise foi, montrent qu'en dépit de tout, notre France n'oublie pas ce qu'elle est, c'est à dire une très vieille nation !
Encore faudrait-il cependant que la discussion, après les quelques pétarades de départ, suive son cours et nous aide "in fine" à définir l'histoire que nous voulons (cf. mon précédent Blog sur le livre de Dominique Borne à ce sujet consacré). Celle-ci ne peut en effet résulter que d'un choix qu'il faut qualifier de politique au meilleur sens du terme. Les responsables de l'Education nationale et ses ministres se sont trop souvent retranchés derrière une forme de neutralité intenable tant l´Histoire exprime ce que nous pensons de nous-mêmes en tant que peuple organisé !
Qu'est-ce que l'Histoire ? D'abord, l'ambition de donner à tous des outils de compréhension du monde. Mais aussi le moyen de forger en chacun pour la partager une conscience nationale. Un enseignement de la raison : dire à chaque homme ce qu'il est en tant qu'homme, ce qu'il peut, ce qu'il doit. Mais aussi un enseignement de la Nation : dire aux Français ce qu'ils sont !
Mais comment s'y prendre ? Cette Histoire là doit tout dire, "le bon comme le mauvais", ne rien occulter. Elle doit parler de la France d'avant la France, de quoi celle-ci s'est faite, non comme un bloc inaltérable, base d'une identité, mais comme un assemblage, croissance d'un être vivant ; et montrer les conditions comme les étapes de son émergence, y intégrer l'Outre-mer, ne rien oublier de la colonisation et aussi de ceux qui l'ont combattu et vaincu ; suivre l'esprit des Lumières puis de la République; situer le siècle où celle-ci s'est forgée dans son contexte de luttes idéologiques, mais aussi sociales. Parler de la Grande guerre dans sa double dimension patriotique et meurtrière, introduire l'Europe etc.
Et croiser cette histoire, faite d'un continuum, de celle des autres, dans leur différence et leur ressemblance, celle des Civilisations...
C'est sur ces fondements qu'il faudrait revoir les programmes.
On s'émeut du changement proposé. Pourquoi pas ! Non alors, comme le propose Bruno Le Maire, pour revenir au statu quo. Mais pour introduire une autre réforme.
Loin d'introduire la rupture qu'on lui reproche le projet en discussion conforte en effet une situation déjà très critiquable. Le problème n'est pas celui de la chronologie (elle a été rétablie et la réforme ne la remet pas en question) mais l'esprit dans lequel les programmes actuels ont été conçus.
Pour ne plus avoir à fournir la matière d'un récit linéaire, l'ancien étant à juste titre jugé trop idéologique ou nationaliste, on a préféré à celui-ci une vision moralisante substituant aux dates et aux personnages les droits de l'homme et les camps d'extermination, les victimes et les bourreaux. Les deux guerres mondiales n'ont plus ni causes ni conséquences. Le paysan a disparu comme Clemenceau ou Jeanne d'Arc. Bref, on a conservé le squelette de l'enseignement de l'histoire arrêté sous la 3ème République, pour en faire un "écorché" en lui retirant " sa chair palpitante", pour reprendre l'expression de Dominique Borne.
S'il ne saurait être question, nous en sommes d'accord, de chercher à retrouver le contenu figé d'un enseignement conçu pour la France du 19ème, nous devons nous persuader, dans la foulée du 11 janvier, qu'il nous sera impossible d'imaginer un projet rassembleur, un projet français sans une Histoire de France. Et si celle-ci doit s'éloigner du "mythe" (des Gaulois à la République) pour se rapprocher de la réalité (d'une histoire tissée avec d'autres : la diversité des territoires et des langues, une précoce immigration, l'affirmation politique d'une volonté d'unité, l'Europe etc., en somme une histoire accueillante dans laquelle la France d'aujourd'hui pourra se reconnaître), elle doit retrouver à défaut d'un sens une continuité. Comment parler d'une histoire "nationale" si les étapes de la construction de cette conscience "nationale" sont effacées ou ignorées ? Certes le mythe "finaliste" (pour Dieu, le Roi ou la République !) on l'a dit, ne tient plus mais cela n'efface pas ce qui caractérise le parcours de notre vieux pays : une insubmersible volonté d'exister, prenant différentes formes ou justifications, mais indiscutable peut-être depuis Bouvines.
Former des citoyens français, c'est donc bien toujours leur raconter un récit national : celui qui montre comment la France s'est formée, défendue, étendue etc. en rapportant chacune de ses étapes au contexte particulier que forment ses rapports à l'évêque de Rome, dont nos Rois préfèrent se distancier plutôt que de se fondre dans un Empire chrétien, à ses voisins espagnols, allemands ou autrichiens etc.
L'enjeu est immense ! Qu'on le veuille ou non, l'Histoire enseigne plus qu'une matière. Elle enseigne le monde, et c'est justement ce qui doit lui permette d'enseigner la Nation. Il est d'autant plus important de le comprendre que celle-ci ne s'est pas faite autour d'une langue ou du sang mais d'un projet politique. Perdre celui-ci de vue, c'est condamner notre communauté nationale à l'angoisse et à la division. Peut-être en sommes-nous déjà là ? Peut-être les événements multiples qui nous affectent, de la sécession électorale des plus modestes, au foyer de dispute qu'est devenu la laïcité, en passant par le besoin irrépressible de se rassembler, dont à témoigné le 11 janvier non sans ambiguïtés, en sont-ils les signaux récurrents. Il serait certes absurde alors de penser qu'il suffira pour y répondre de changer nos programmes d'histoire. Mais les changer ne devrait être possible qu'une fois décidé ce dont ensemble nous voulons parler, ce que nous avons encore à dire au monde, et ce qui du passé nous l'inspire. Réformer nos programmes d'histoire, c'est du coup beaucoup plus que "réformer nos programmes d'histoire". C'est affirmer ce que nous voulons être, donc en somme retrouver ce fil conducteur de notre histoire : la volonté d'exister !
Eh bien monsieur Gorce je suis de ton avis.
Oui tu as raison l'enjeu est immense et pour cette raison il faudrait que le programme d'histoire soit forger par ceux qui composent la nation , mais savoir le passé pour mieux comprendre le présent je ne crois pas que ce soit le but de tous les dirigeants.
L'ignorance de l'histoire rend les hommes malléables et ça c'est le désir de beaucoup de politiques.
Un peuple vraiment composer de citoyens et non de sujets doit savoir l'histoire.
Pouvons nous espérer un débat , puis une construction sur ce sujet : ce serait grand.
Y aura-t-il une volonté politique d'entreprendre cela ?
Rédigé par : rene girard | 16 mai 2015 à 21:27
« L’ambition de donner à tous des outils de compréhension du monde ». Effectivement, c’est un des objectifs de l’histoire, comme d’ailleurs des autres matières scolaires… Encore faut-il pour cela, que les programmes s’ouvrent au monde, ce qui n’a pas été le cas pendant longtemps et ce qui n’est toujours pas le cas en primaire, avec des programmes encore beaucoup trop centrés sur le pré carré national. On ne voit pas trop en quoi l’histoire de Jeanne d’Arc, de Clovis ou de Vercingétorix seraient en mesure de faire comprendre aux élèves le monde dans lequel ils vivent et encore moins d’où ils viennent car personne ne descend de Jeanne d’Arc, de Clovis ou de Vercingétorix. Quant à cette « conscience nationale » qu’il faudrait paraît-il faire acquérir aux élèves, j’avoue n’avoir toujours pas compris en quoi elle consistait. S’il s’agit de faire émerger un sentiment de solidarité entre les hommes, on ne voit pas très bien pourquoi il devrait s’arrêter à un pointillé sur une carte ; la nation est un phénomène récent dans l’histoire des hommes, qui s’en sont passés pendant longtemps et qui n’est sûrement pas éternelle. Il est d’ailleurs curieux de voir comment l’appel à se fondre dans une hypothétique collectivité nationale a tendance à se renforcer au fur et à mesure que se délite le lien social. Apprendre aux élèves à vivre ensemble, à se respecter, à collaborer reste encore le moyen le plus sûr pour construire une société harmonieuse.
Le débat sur la chronologie, sans cesse ressassé dans les médias et chez certains politiques n’a pas sa place ici, puisque l’enseignement de l’histoire s’est toujours fait dans l’ordre chronologique : par exemple en collège, l’Antiquité en 6e, le Moyen Age en 5e etc. On a malheureusement l’impression que pour beaucoup, la chronologie se ramène à une liste de rois ou de batailles sans laquelle le passé serait incompréhensible. C’est même tout le contraire : pour un citoyen du 21e siècle, savoir par exemple que la Chine fut bien avant l’émergence de l’Europe une puissance économique ou encore que, pendant plusieurs siècles, l’or de l’Afrique subsaharienne a afflué en Europe, sont autrement plus signifiants que la succession des rois de France.
Dernière précision : la polémique déplacée et mensongère qui a accompagné la parution des nouveaux programmes d’histoire en cycle 3 et cycle 4 n’est pas venue des historiens ni des enseignants mais, comme d’habitude, des médias ou de politiques de droite comme de gauche dont les arrière-pensées sont manifestes et qui ignorent à peu près tout de ce qu’est un collégien du 21e siècle. S’il suffisait de chanter la Marseillaise pour former des citoyens, depuis le temps, ça se saurait.
Un prof d’histoire-géo en collège
Rédigé par : B. Girard | 14 mai 2015 à 19:51