M le Président, M le ministre, mes cher(e)s collègues,
Plane sur notre débat l’image lancinante et douloureuse des 130 morts et des centaines de blessés des attentats du 13 novembre funèbre cortège auquel s'ajoutent les victimes de janvier.
Au dessus de ce débat planent la souffrance des familles et la colère légitime d'un pays touché dans sa chair.
Permettez-moi d’avoir aussi une pensée pour ces milliers de réfugiés qui fuient la guerre pour trouver en Europe indifférence et suspicion.
 la différence de mon groupe, j'étais réticent à l'égard de la décision prise voici un an d'intervenir en Irak puis en septembre dernier en Syrie.
Mais comme l'ensemble de mon groupe, je considère aujourd'hui que l'agression dont notre pays a été l'objet, par son ampleur et sa violence, nous crée le devoir d'aller porter le fer là où précisément les inspirateurs de ces actes se sont retranchés, là où, comme l'a dit le Président de la République devant le Congrès:" ils ne sont pas hors d'atteinte !"
Non par esprit de vengeance !
Ce sentiment qui n'appartient pas au registre des États démocratiques. Il n'appartient pas à celui de la France.
Mais par souci de justice, justice qui impose de refuser toute impunité aux coupables d'un pareil et monstrueux forfait.
Mais par amour du droit qui doit parfois s'armer pour se faire respecter.
Non par haine de ceux qui nous haïssent !
Mais par amour de notre vieille nation qui tout au long de son histoire a toujours refusé de se laisser dicter son destin par la menace ou par la force.
Non par goût de la violence !
Mais par patriotisme, ce sentiment qui nous relie tous à une histoire dont nous sommes comptables et à un peuple que nous, ses représentants, ne pouvons laisser meurtrir sans réagir.
Et c'est d'ailleurs au nom de ce même patriotisme que nous veillons à ne mettre dans cette intervention ni passion ni aventurisme.
Ce que démontre le gouvernement en résistant à la tentation folle de l'intervention au sol.
Et c'est ce même patriotisme qui nous fait considérer lucidement et avec sang-froid la difficulté de la situation.
Certes, celle-ci est aujourd'hui un peu plus favorable que voici quelques mois.
* Nous étions, en septembre, avec les Etats-Unis, plutôt isolés et voici que nous rejoint aujourd'hui une Russie officiellement déterminée, semble-t-il, à frapper en priorité Daech qui s'est rendu responsable de l'épouvantable attentat de Charm El Cheikh, aux victimes duquel je tiens ici d'ailleurs â rendre hommage, comme à celles de Beyrouth, d'Istanbul, de Bamako ou de Tunis.
D'autres États, sous l'impulsion du chef de l'Etat, envisagent maintenant de nous rejoindre et ont déjà exprimé leur solidarité.
* Nous étions, en septembre, intervenus sur le fondement juridique de la légitime défense et de l'article 51 de la Charte.
Sans pouvoir encore nous référer à son chapitre 7, nous pouvons aujourd'hui nous appuyer sur une résolution 2249 du Conseil de sécurité invitant tous les membres de la communauté internationale à prendre "toutes les mesures nécessaires pour lutter contre l'organisation état islamique…"
* Nous étions en septembre enfin sans grande perspective politique.
Deux conférences à Vienne ont depuis remis en marche, non sans grincements, un processus de dialogue entre toutes les parties interrompu depuis longtemps et que nous devons maintenant veiller à entretenir.
Mais si la situation est un peu plus favorable, elle n'en reste pas moins particulièrement délicate et exige de la France, comme des autres puissances engagées dans ce conflit, de regarder les réalités en face.
* Nous savons tous ici que nous ne pourrons par ces bombardements détruire la menace qui depuis Mossoul et Rakka s'est dressée contre nous, mais seulement la réduire ou la contenir.
* Nous savons tous ici que, si le défi qui nous est lancé est militaire, son règlement définitif ne pourra être que politique, ce que rendront particulièrement difficiles les arrières pensées, les contradictions ou les ambiguïtés qui affectent la stratégie de plusieurs des pays que le Président de la République s'efforce cette semaine de coaliser, comme en témoigne ce qui vient de se passer à la frontière turque.
* Nous savons tous ici que, si la haine qui s'exprime contre nos démocraties prétend se nourrir de la religion, les motifs qui la sous-tendent tiennent aussi à la confusion qui s’est accrue dans la région depuis plus d'une décennie.
Les EU en frottant la lampe moyen-orientale ont libéré le mauvais génie des haines confessionnelles et de la guerre.
Et si les forces qui se déchaînent ne sont pas nées avec l'intervention américaine en Irak, celle-ci y a contribué en les libérant du carcan dans lequel les maintenaient des systèmes politiques usés, issus de la dégénérescence du nationalisme arabe.
Le fanatisme que nous devons affronter a en effet une histoire qui doit nous conduire à éviter tout simplisme quant à la définition que nous cherchons à lui donner.
C'est bien la dégénérescence des régimes baasistes ou nés du Nasserisme qui a engendré la revendication d'une prétendue unité sunnite dictée par le salafisme, avatar monstrueux d'un anti-impérialisme privé de ses vecteurs politiques.
Et qu'est venue renforcer la folie meurtrière de jeunes européens non pas communautarisés, comme le prétendent ceux qui se fient à leurs préjugés plus qu'aux réalités, mais au contraire désaffiliés, livrés à eux-mêmes, passant du coup sans transition du petit banditisme au terrorisme, sorte de nouveaux " Lacombe Lucien " d'un monde sans idéal !
Ce à quoi nous sommes confrontés est ainsi d'abord le résultat d'une décomposition des sociétés arabes à laquelle l'Europe comme les Etats-Unis ont aussi contribué en apportant leur soutien à des régimes corrompus et violents dont les Printemps n'ont pas aidé à les libérer.
Nous savons tous en conséquence ici que c'est armé, non seulement de bombes et d'avions, mais surtout d'une vision renouvelée et globale des avenirs possibles de la région, qu'il nous faudra imaginer les pistes de solution.
Celles-ci nous obligent tout d'abord à reconsidérer les rapports de force qui sont â l'œuvre.
Nous avons eu en effet trop tendance, pour paraphraser le Général, à voler vers l'Orient d'aujourd'hui, toujours compliqué, avec des idées d'hier.
- Voilà en effet longtemps que l'axe de la guerre dans la région n'est plus constitué, ne nous en déplaise, par le conflit israélo-palestinien dont l'enlisement témoigne de l'indifférence scandaleuse qu'il suscite désormais, à l’exception notable de la France.
- Cet axe n'est pas non plus construit, quoi que nous en ayons, autour de la lutte entre l'islamisme et des régimes laïcs, comme le démontre l'issue du mouvement dit des Printemps arabes qui se traduit partout, de manière certes différente en Tunisie ou en Égypte, par l'élimination ou le recul des Frères musulmans. Cet argument sert au contraire aujourd'hui au Caire de prétexte à un processus qu'il faut bien qualifier de réactionnaire et auquel nous devons avoir la prudence de limiter notre concours.
- Cet axe n'est pas non plus structuré autour de la guerre contre Daech tant les motivations des uns et des autres illustrent des préoccupations différentes, qu'il s'agisse de la Turquie, de l'Iran, de la Russie ou encore des États du Golfe.
- Nous devons avoir aujourd'hui conscience que c'est en réalité l'affrontement entre l'Iran et l'Arabie saoudite qui constitue désormais le problème axial, affrontement qui s'opère d'ailleurs par clients interposés au Yémen comme en Syrie.
Affrontement dans lequel nous devons nous garder de prendre ouvertement partie, afin de préserver notre vocation et notre rôle de médiation sans lequel rien ne sera possible.
* Les pistes de solution passent donc nécessairement par la reconstruction des États dont l'affaissement en Libye, en Irak ou en Syrie, a permis cette anarchie meurtrière.
C'est cette préoccupation qui doit nous guider sachant que l'effort ne devra pas porter vers la seule Syrie mais aussi vers l'Irak via un projet fédéral incluant les sunnites seul à même de bloquer le processus d'éclatement à l'œuvre.
Il suffit certes d'évoquer ces priorités pour saisir l'ampleur de la tâche auquel, Monsieur le ministre, vous vous êtes courageusement attelé.
Mais nous savons bien que c'est en regardant au delà du moment, et de l'émotion qu'il impose, que nous devons chercher les raisons d'espérer.
La France a, par son histoire, la connaissance que celle-ci lui donne de la région, peut-être plus que d'autre, les moyens d'influencer l’avenir de celle-ci.
 l'indifférence parfois, au cynisme souvent, â la résignation devant la dégradation continue de la situation qui a prévalu au cours des dernières décennies, il est sans doute temps de substituer une approche plus large, plus consciente et peut-être plus généreuse visant à aider les peuples arabes à se construire un avenir débarrassé de la dictature militaire ou religieuse. La richesse culturelle, économique, politique du monde arabe plaide en ce sens.
Je forme le vœu que notre engagement militaire, que nous approuvons tous aujourd'hui, puisse ainsi servir cette ambition !
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