Conseil National du Parti Socialiste – mardi 6 juillet 2004
Notre ambition pour l'Europe
Le 13 juin a sonné comme un désaveu. Pas de l'idée européenne mais pour les gouvernements dont l'absence de visions, de perspectives, d'explications a été sévèrement sanctionné. Ce qui inquiète ce n'est pas l'Europe elle-même, mais le flottement de ses dirigeants actuels. Tout à la fois l'absence de projet clair, l'incapacité à décider sans tergiverser, le détestable climat de défiance qui suinte de chaque sommet européen. Ce n'est certainement pas en alimentant les peurs, les craintes et les frilosités que l'on répondra à cette crise de confiance, comme le font malheureusement ceux qui proposent d'ajouter le doute au doute, la crise à la crise, le malaise au malaise, le blocage au blocage. La véritable question, celle qui permettra une véritable relance, c'est de savoir quel est notre projet collectif ? Par quelle voie nous le ferons progresser ? Et par quel moyen nous pouvons espérer le mettre en œuvre ?
I. Un vrai projet pour l'Europe
C'est une nouvelle étape de la construction européenne qu'il nous faut franchir. Une nouvelle ambition qu'il nous faut affirmer, un nouveau projet qu'il nous faut proposer, qui redonnera de la vitalité et du sens à l'aventure européenne. Celle-ci ne peut plus simplement reposer sur la force des habitudes et des procédures. Elle doit retrouver un supplément d'âme que seule lui apportera la volonté politique de répondre aux quatre grands enjeux auxquels est confronté notre Europe.
1) D'abord se donner les moyens de réussir l'élargissement qui vient à peine de rentrer dans les faits. Celui-ci n'a été ni réellement préparé ni même expliqué. Les mêmes qui ont proclamé l'ardente obligation refusent maintenant les moyens. Nous savons pourtant qu'une Europe élargie qui n'aurait ni les moyens financiers de la cohésion économique et sociale, ni le minimum des politiques et de régulation interdisant le dumping fiscal et social, ni la capacité de décider efficacement à 25 ou plus, deviendrait vite le théâtre d'une guerre des pauvres dans laquelle les catégories les plus fragiles dans tous nos pays seraient les victimes désignées. Il ne peut être question de remettre en cause une réunification de l'Europe qui à tous points de vue reste nécessaire : il s'agit en revanche de regarder en face le fait que plus nombreux et moins homogènes, nous avons plus que jamais besoin de politique de cohésion économique et sociale et d'une confiance dans les Institutions communes dans lesquelles ces politiques ne seraient à temps ni décidées ni mises en œuvre. C'est pourquoi nous devons aujourd'hui plaider pour la mise en œuvre d'un véritable plan Marchal en direction des dix nouveaux pays membres et qui s'adresserait aux nouveaux entrants dans les prochaines années pour faire en sorte que l'élargissement soit synonyme d'élévation concomitante des niveaux de vie et de protection sociale.
2) Nous devons mettre également l'Europe au service de la croissance et de l'emploi. Pour nos concitoyens, la mobilisation européenne doit signifier des réponses claires et mobilisatrices apportées aux principaux défis auxquels sont confrontés nos économies, à savoir, la réduction du chômage et de la précarité. Nous devons mettre l'Europe au service d'une volonté visant à accélérer le rythme de croissance et à lutter efficacement contre le décalage croissant qui s'installe entre notre niveau de richesse et celui des Etats-Unis ; nous devons nous fixer pour objectif de réduire de moitié le niveau du chômage de l'Union européenne et de la pauvreté à travers un plan d'exclusion qui mobilise l'ensemble des acteurs gouvernementaux, politiques, mais aussi sociaux et associatifs. Ce qui est en jeu n'est pas seulement notre compétitivité, notre capacité commune à produire demain de la prospérité et des emplois, mais aussi notre aptitude à inventer un modèle de développement durable et solidaire, renouant par le respect de nos diversités avec la tradition européenne d'universalisme.
3) C'est également cette Europe de la connaissance et de la culture qu'il faut bâtir qui ne saurait se réduire à des échanges entre des universitaires. Il y a dans nos vastes ensembles près d'un demi milliard d'habitants qui vient de se constituer une énorme aspiration à constituer un espace dans lequel soit effective la liberté de circuler, de résider, d'élever ses enfants etc. ; la promesse d'un grand espace de liberté, de sécurité, de justice doit être tenue. Cela suppose que au-delà de la chasse aux entraves à cette liberté et de la promotion active de programmes d'échange intéressant toute les catégories de la population, la contrepartie de la sécurité soit aussi assurer. Car il y a dans notre Europe, une attente multiforme de plus de sécurité, dans les domaines de la protection des personnes et des biens, mais aussi de la santé, de l'alimentation, du travail et de la protection de l'environnement. Et ce besoin ne peut plus être uniquement traité dans le cadre national parce que les atteintes à la sécurité ne connaissent pas les frontières mais aussi, parce qu'elles apparaissent souvent comme liées à la réalisation du marché unique, que leur contrepartie (la sécurité) relève d'un rééquilibrage attendu comme équitable.
4) Faire de l'Europe un acteur de la mondialisation. Notre projet ne peut rester introverti. L'Europe ne peut être destinée uniquement aux européens. Tout nous conduit au contraire à nous préoccuper activement du reste du monde. Les menaces que comporte l'aggravation des tensions internationales mais aussi notre proximité avec des zones de grande pauvreté, notre tradition d'universalisme, l'héritage unique de nos histoires et de nos réconciliations, tout cela doit nous conduire à relance la dynamique des relations privilégiées avec l'Est et le Sud et réaffirmer notre engagement en faveur du développement international. Au-delà, les européens se doivent de faire des propositions assurant plus d'équité dans la participation des nations pauvres et émergentes, une meilleure prise en compte des dimensions sociales et environnementales dans les équilibres internationaux, la primauté du droit et de la justice dans le règlement des conflits. Il y a pour cela à la fois urgence et opportunité dans la mesure où les européens partagent sur ces sujets les mêmes valeurs.
II. Les moyens
Nos concitoyens ne demandent pas seulement d'être rassuré sur l'avenir que leur prépare l'europe. Ils attendent également que les actes suivent les décisions et ils mesureront leur adhésion au projet à l'aune de ses réalisations fictives. C'est pourquoi il est important de passer des déclarations de principe aux initiatives concrètes et à l'affirmation des contenus. Aux déclarations flamboyantes qui lassent peu à peu tous les observateurs, préférant les perspectives raisonnables dont les moyens sont accessibles à condition d'être réaffirmés.
Tout d'abord, la promesse de construction équitable et solidaire de la grande Europe élargi ne tiendra que si le budget européen reste dans ses limites actuelles. C'est une escroquerie que de prétendre réussir l'élargissement en mettant l'accent sur la dimension sociale de l'Europe tout en demandant que les ressources communes restent inférieures à 1% du PIB. S'en était une autre de prétendre faire d'une Europe fondée sur la connaissance et l'économie la plus ??? dans le monde sans programmer les moyens correspondants. Et les actuels chefs d'Etat eux-mêmes ont du piteusement reconnaître l'échec de la stratégie de Lisbonne dont l'opportunité n'est cependant pas remise en question. Le recours à une ressource nouvelle, directement affectée à l'Union est devenu impératif si l'on veut mettre budget européen à la hauteur de ses ambitions, ce qui supposera la mobilisation de 1,5 % du PIB. Nous sommes convaincus que si l'Europe n'a pas les moyens d'un minimum de résultats dans les domaines du développement, de la recherche, de l'économie, de l'emploi, ses états membres seront contraints dans le plus grand désordre de faire face à des reports de charges plus coûteux. La subsidiarité tant invoquée à tort et à travers, c'est aussi que chacun, l'Europe, les Etats, les Régions aient les moyens de ce qui est fait le mieux.
L'incapacité actuelle à promouvoir la croissance économique d'un réseau de groupe met en danger le projet européen. Il en compromet à la fois la crédibilité immédiate et la capacité à lever des ressources suffisantes pour modeler son avenir. L'abandon sournois du pacte de stabilité, sans autre projet que l'illusion d'une soit disant autonomie budgétaire retrouvée, créé à terme un grave dommage pour ce bien collectif qu'est la monnaie unique. Ce n'est pas de cette façon que nous entendons remettre sur ses pieds l'union économique et monétaire, mais en renforçant son pôle économique et sociale par une coordination effective des politiques nationales, là où celles-ci concernent la croissance et l'emploi et leur répartition équitable et loyale sur le territoire de l'union.
Mettre les ressources de l'Union européenne en cohérence avec ses ambitions et permettre aux avantages de la coopération en matière économique et sociale de s'affirmer, ne suffira cependant pas à assurer la mise en œuvre de ce projet. La réussite de celui-ci suppose que les Institutions permettent les décisions nécessaires et leur mise en application. Ce n'est pas le cas actuellement. Le projet de traité constitutionnel comporte de ce point de vue, même malgré ses insuffisances, des avancées décisives en matière d'espace public européen : l'extension des pouvoirs du parlement en particulier dans le domaine budgétaire, l'inclusion de la charte des droits fondamentaux, la reconnaissance du dialogue sociale et du dialogue civil. Il améliore aussi la capacité de décision de l'Union avec l'extension même limitée du vote à la majorité qualifiée. En revanche, il maintient l'obligation de signature et de ratification unanime et incorporant une partie sur les politiques communes, il les consolide dans un état qui privilégie la liberté des échanges sur les autres considérations. C'est une insuffisance grave héritée du travail de la convention européenne. Nous entendons la porter devant le parlement européen et faire pression sur le conseil pour qu'il adopte une déclaration politique marquant la détermination commune de faire évoluer ses politiques même en cas de ratification non unanime, en attendant de trouver une solution permanente. En revanche, faire de cette question aussi importante qu'elle soit, un préalable à toute avancée institutionnelle reviendrait à nous priver d'instrument nécessaire à la mise en œuvre de notre projet et à nous mettre hors du jeu européen pour plusieurs années. Refuser la Constitution européenne est incompatible avec la mise en œuvre d'un projet ambitieux autour duquel nous invitons l'ensemble de la Gauche européenne à se mobiliser.
Au total, nous devons nous mettre en situation de devoir reprendre l'initiative, ce qu'un refus de la Constitution ne nous permettrait pas d'envisager. Il faut effet, et c'est ce que nous préconisons, une grande initiative de relance de la en construction européenne. Celle-ci suppose que les préconisations, qui forment le cadre du projet que nous venons de définir, soient mises en discussion au sein de l'ensemble de l'union. Nous préconisons à cet égard, de réunir une nouvelle convention associant les représentants du parlement européen et des parlements nationaux, comme des états, pour préparer la mise en œuvre d'un nouveau traité, définissant les objectifs et les projets de l'union européenne ; nous suggérons que la commission européenne se voit clairement demandé de faire des propositions sur la façon de renforcer la coordination des politiques économiques. C'est autour de ces initiatives qui devraient être relayées par le parti socialiste européen, qu'il nous sera possible de relever le défi qui nous a été a adressé par l'ensemble de nos concitoyens qui ne demandent pas moins d'Europe mais mieux d'Europe, une Europe plus déterminée, plus dynamique, plus capable de répondre à leurs attentes, à leurs préoccupations. Se faisant nous retrouvons le chemin de la proposition, de l'initiative et par conséquent celui de la confiance. C'est en étant fidèle à notre engagement européen, en y mettant plus de volonté, d'initiative, de courage et d'imagination que nous trouverons les réponses aux interrogations qui nous sont posées. C'est en nous défiant de la défiance que nous saurons convaincre !
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