Présentée par Gaëtan GORCE et les autres membres de la mission le 21 juillet 2004
Mesdames, Messieurs
Nos sociétés contemporaines portent sur la fin de vie et sur la mort un regard très particulier, empreint de déni et de peur.
La mort, qui n’est souvent plus perçue que comme une abstraction, est ignorée et refoulée par les bien‑portants. Lorsqu'elle survient, nos concitoyens sont tentés de ne lui accorder qu'une place marginale, en l'entourant du plus de discrétion possible, comme s'ils souhaitaient l'oublier au plus vite.
En même temps la fin de vie fait peur : elle éveille l'angoisse de la souffrance et l'appréhension de la déchéance.
Ces évolutions incontestées de notre société sont régulièrement mises en lumière dans des contextes particuliers et très médiatisés. Ces derniers, le plus souvent chargés d'émotions, sont l'occasion de sondages, où la population est amenée à s’exprimer, d’une manière générale, sur son aspiration à une mort simple, rapide et la moins douloureuse possible. A travers ces réponses, nos contemporains associent l'exercice de leur liberté à la maîtrise de leur propre mort.
Les malades refusent la douleur et la souffrance liées à la dégradation physique et mentale ; s’ils récusent l’acharnement thérapeutique, ils craignent tout autant l’arbitraire d’une décision médicale qui mettrait fin à leur vie dans une clandestinité peu compatible avec le respect dû à tout être humain.
Pour leur part, lorsqu’ils décident de ne pas poursuivre un traitement s’il n’existe aucun espoir d’obtenir une amélioration de l’état de la personne, les professionnels de santé, en raison de règles pénales inadaptées à la réalité de leur activité, redoutent de devoir faire face à des sanctions ordinales ou pénales, même s’ils se conforment à des règles de bonnes pratiques professionnelles.
Créée le 15 octobre 2003 et composée de 31 membres de toutes formations politiques confondues, la Mission d’information sur l’accompagnement de la fin de vie s'est attachée à appréhender, sans a priori, l’ensemble des problèmes posés par la fin de vie.
Les membres de la mission ont souhaité tirer les conclusions législatives de ces enseignements. Estimant que la dépénalisation de l’euthanasie remettrait en cause le principe de l’interdit de tuer, limite dont le franchissement n'a été revendiqué au demeurant par aucun professionnel de santé ni aucun juriste au cours de ses huit mois de travaux, la mission s'est attachée pour l'essentiel à codifier des bonnes pratiques. Si elle a écarté l’idée de toute dépénalisation de l’euthanasie sur le modèle des législations belge et néerlandaise, elle ne s’est pas accommodée pour autant du statu quo.
S’affranchissant des règles de partage de compétence entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire, elle a proposé des modifications des articles 37 et 38 du code de déontologie médicale. Les premières définissent respectivement les conditions de limitation ou d’arrêt de traitement après une procédure collégiale. Les secondes consacrent l’alternative des soins palliatifs aux soins curatifs et la possibilité pour le médecin de pratiquer un traitement anti‑douleur, qui peut avoir pour effet secondaire d’abréger la vie du malade.
Mais il est apparu rapidement que cette réflexion ne pouvait pas être cantonnée au seul terrain réglementaire et ne pas recevoir de traduction sur le plan législatif. Parce que la définition des obligations professionnelles des médecins sur la limitation ou l’arrêt de traitement n’est pas sans incidences sur les droits des malades, le code de la santé publique ne pouvait pas en effet ne pas être affecté par de telles propositions de réforme.
A l’issue de ses travaux, les propositions présentées par la mission poursuivent deux objectifs : renforcer les droits du malade et reconnaître des droits spécifiques au malade en fin de vie.
— Le renforcement des droits du malade passe par l’institution d’un droit au refus de l’obstination déraisonnable, par la définition des procédures d’arrêt de traitement et par l’imposition d’obligations aux établissements de santé en matière d’organisation de soins palliatifs.
• Le refus de l’obstination déraisonnable
Le premier alinéa de l’article L. 1110‑5 du code de la santé publique précise le droit de chaque patient de recevoir des soins appropriés et de bénéficier de thérapeutiques efficaces, les actes médicaux ne devant pas lui faire courir de risques disproportionnés. Le complément qui serait proposé consisterait, à la lumière de la nouvelle rédaction de l’article 37 du code de déontologie médicale, à prévoir que les actes médicaux ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable, lorsqu’il n’existe aucun espoir réel d’obtenir une amélioration de l’état de la personne et que ces actes entraînent une prolongation artificielle de la vie.
• La définition des procédures d’arrêt de traitement
- Le refus de traitement par le malade conscient
L’article L. 1111‑4 du code de la santé publique reconnaît d’ores et déjà à tout malade un droit au refus de traitement. Toutefois celui‑ci est enserré dans d’étroites limites, puisque si le refus ou l’interruption de traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en oeuvre pour le convaincre d’accepter les soins indispensables.
Or, tant la prise de conscience des problèmes soulevés par l’interprétation de cet article que les enseignements tirés de ses propositions sur le renforcement des droits du malade en fin de vie ont convaincu la mission de la nécessité de préciser les droits du malade.
Aussi la présente proposition de loi complète‑t‑elle la deuxième phrase de l’article L. 1111‑4. Dans la situation où le malade conscient, qui n’est pas en fin de vie refuserait un traitement mettant sa vie en danger, le médecin pourrait faire appel à un autre membre du corps médical. Dans tous les cas, le malade devrait réitérer sa décision après un délai raisonnable. Tant le second avis médical éventuel que le déroulement d’un délai raisonnable de réflexion et l’obligation de réitération de la décision constitueraient de nouvelles garanties procédurales non négligeables.
Au surplus, en autorisant le malade conscient à refuser tout traitement, le dispositif viserait implicitement le droit au refus à l’alimentation artificielle, celle‑ci étant considérée par le Conseil de l’Europe, des médecins et des théologiens comme un traitement.
- La décision collégiale de l’arrêt de traitement du malade inconscient
S’agissant du malade inconscient, la nouveauté consisterait, au quatrième alinéa de l’article L. 1111‑4, à préciser qu’aucune limitation ou arrêt de traitement ne pourrait être réalisé sans avoir respecté une procédure collégiale définie par voie réglementaire et sans avoir consulté la personne de confiance, la famille ou un proche.
• La concrétisation des obligations palliatives des établissements de santé
Aujourd’hui, l’article L. 1110‑9 du code de la santé publique reconnaît à chaque malade le droit d’accéder à des soins palliatifs. Afin de conférer une traduction plus concrète à ce droit, il est suggéré d’inscrire dans la loi l’obligation de créer des lits identifiés de soins palliatifs et d’imposer des référents en soins palliatifs dans chaque grand service assurant une importante activité de soins de ce type. Cette obligation serait inscrite dans les dispositions relatives aux contrats pluri‑annuels conclus par les agences régionales d’hospitalisation avec les établissements publics et privés de santé (article L. 6114‑2 du code de la santé publique) et dans celles afférentes aux projets d’établissement des établissements de santé (articles L. 6143‑et suivants).
— La reconnaissance de droits spécifiques aux malades en fin de vie
Cette reconnaissance suppose une identification de ces droits au sein du code de la santé publique. C’est la raison pour laquelle en sus d’une section intitulée « Principes généraux » regroupant les articles L. 1111‑1 à L. 1111‑9 du code de la santé publique, une seconde section intitulée « Expression de la volonté des malades en fin de vie » comprendrait tous les articles relatifs à ces malades, à partir d’un article L. 1111‑10 nouvellement créé.
La reconnaissance de ces droits est appelée à se traduire par des dispositions poursuivant trois objectifs : le refus de traitement par le malade conscient, l’affirmation du rôle de la personne de confiance et la prise en compte des directives anticipées du malade.
En faisant référence à une personne en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable quelle qu’en soit la cause, le critère de la fin de vie serait inspiré par celui qu’a retenu l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé (ANAES). Un nouvel article L. 1111‑10 serait créé pour régir cette situation. Il autoriserait le médecin à limiter ou à arrêter tout traitement, lorsque le malade en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, le décide. Dans cette hypothèse, le médecin devrait respecter sa volonté, après l’avoir informé des conséquences de son choix mais serait tenu de dispenser des soins palliatifs.
La personne de confiance dans ce contexte verrait son rôle renforcé. Aujourd’hui, en vertu de l’article L. 1111‑4, lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, aucune intervention ou investigation ne peut être réalisée, sauf urgence ou impossibilité, sans que la personne de confiance ou, à défaut, un des proches ait été consulté. La mise en place de ce dispositif ne va pas sans difficultés. Il apparaît donc souhaitable de poursuivre dans la direction engagée en 2002 avec l’adoption de la loi relative aux droits du malade et à la qualité du système de santé, en renforçant le statut de la personne de confiance. A cet effet, son avis devrait prévaloir sur tout autre avis non médical.
S’agissant des directives anticipées, elles pourraient constituer un élément de la manifestation de la volonté du malade devenu inconscient. Elles recevraient dans cet esprit une valeur indicative, sous réserve qu’elles aient été établies moins de trois ans avant l’état d’inconscience du patient. Un nouvel article L. 1111‑12 accueillerait ces dispositions.
Enfin, il apparaît souhaitable d’harmoniser la rédaction du code de la santé publique avec celle du code de déontologie médicale. Dans cette perspective, il conviendrait que le code de la santé publique renvoie à la procédure collégiale, qui devrait être introduite dans l’article 38 du code de déontologie médicale, lorsque le malade est hors d’état d’exprimer sa volonté et, lorsque le médecin décide de limiter ou d’arrêter un traitement inutile, impuissant à améliorer l’état du malade. Tel serait l’objet du nouvel article L. 1111-13 du code de la santé publique.
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L’ensemble de ces propositions devraient constituer incontestablement un progrès pour les malades et pour les professions de santé. Pour ces dernières, par le biais de ces dispositions, l’article 122‑4 du code pénal qui exonère de responsabilité pénale toute personne accomplissant un acte prescrit ou autorisé par la loi, trouverait toute sa justification ; en effet, un médecin qui satisferait aux obligations de transparence et de collégialité ne serait pas pénalement responsable contrairement à celui qui s’en affranchirait.
Ces nouveaux droits des malades et ces nouvelles obligations des médecins doivent être resitués dans le cadre plus général, évoqué précédemment, des rapports qu’entretient notre société avec la mort. Le développement des soins palliatifs depuis les années quatre‑vingts a fait, discrètement mais sûrement, évoluer les choses. Reconnaître de nouveaux droits au malade, grâce aux dispositions relatives à la limitation ou à l’arrêt de traitement, grâce aux directives anticipées et à la personne de confiance, doit permettre également à toute personne de mieux assumer sa fin de vie et de mieux préparer sa mort. La collégialité et la transparence de la décision médicale participent de cette même préoccupation ; en même temps qu’elles conforteront le corps médical dans ses bonnes pratiques, ces procédures aideront à établir un dialogue confiant avec le mourant et sa famille.
Sans prétendre toutefois appréhender la diversité de l’ensemble des situations susceptibles de se présenter, la présente proposition de loi souhaite ainsi contribuer à apporter à la société plus de sérénité à l’approche de la mort. C’est pourquoi, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir l’adopter.
Article premier
Le premier alinéa de l’article L. 1110‑5 du code de la santé publique est complété par la phrase suivante :
« Ils ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable, lorsqu’il n’existe aucun espoir d’obtenir une amélioration de l’état de la personne et qu’ils entraînent une prolongation artificielle de la vie. »
Article 2
Dans la deuxième phrase du deuxième alinéa de l’article L. 1111‑4 du même code, les mots : « tout traitement » sont substitués aux mots : « le traitement ».
Article 3
Le deuxième alinéa de l’article L. 1111‑4 précité est complété par les phrases suivantes :
« Il peut faire appel à un autre membre du corps médical. Dans tous les cas, le malade doit réitérer sa décision après un délai raisonnable. Celle‑ci est inscrite dans son dossier médical. »
Article 4
Après le quatrième alinéa de l’article L. 1111-4 précité, il est inséré le nouvel alinéa suivant :
« Lorsque la personne est hors d’état d’exprimer sa volonté, l’arrêt ou la limitation de traitement ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale définie par voie réglementaire et sans que la personne de confiance prévue à l’article L. 1111–6 ou la famille ou à défaut un de ses proches, ait été consulté. »
Article 5
Après l’article L. 1111‑9 du même code, il est inséré un article L. 1111‑10 ainsi rédigé :
Art. L. 1111‑10 : « Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, décide de limiter ou d’arrêter tout traitement, le médecin doit respecter sa volonté après l’avoir informée des conséquences de son choix. La décision du malade est inscrite dans son dossier médical.
« Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en dispensant les soins visés à l’article L. 1110‑10. »
Article 6
Après l’article L. 1111‑9 du même code, il est inséré un article L. 1111‑11 ainsi rédigé :
Art. L. 1111‑11 : « Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause et hors d’état d’exprimer sa volonté, a désigné une personne de confiance en application de l’article L. 1111‑6, l’avis de cette dernière, sauf urgence ou impossibilité, prévaut sur tout autre avis non médical, dans les décisions d’investigation, d’intervention ou de traitement prises par le médecin. »
Article 7
Après l’article L. 1111‑9 du même code, il est inséré un article L. 1111‑12 ainsi rédigé :
Art. L. 1111‑12 : « Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d’état d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation ou de l’arrêt de traitement. Elles sont révocables à tout moment.
« A condition qu’elles aient été établies moins de trois ans avant l’état d’inconscience de la personne, le médecin en tient compte pour toute décision d’investigation, d’intervention ou de traitement la concernant. »
Article 8
Après l’article L. 1111‑9 du même code, il est inséré un article L. 1111‑13 ainsi rédigé :
Art. L. 1111‑13 : « Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, est hors d’état d’exprimer sa volonté, le médecin peut décider de limiter ou d’arrêter un traitement inutile ou impuissant à améliorer l’état du malade, après avoir respecté la procédure collégiale définie par voie réglementaire et consulté la personne de confiance visée à l’article L. 1111‑6, la famille et, le cas échéant, les directives anticipées de la personne. »
Article 9
I. ‑ Après l’article L. 1111‑9 du même code, il est inséré l’intitulé suivant :
« Section II – Expression de la volonté des malades en fin de vie ».
II. – En conséquence, avant l’article L. 1111–1 du même code, il est inséré l’intitulé suivant :
« Section I – Principes généraux »
Article 10
Après le premier alinéa de l’article L. 6114‑2 du code de la santé publique, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Ils identifient les services au sein desquels sont dispensés des soins palliatifs et définissent pour chacun d’entre eux, le nombre de référents en soins palliatifs qu’il convient de former ainsi que le nombre de lits qui doivent être identifiés comme des lits de soins palliatifs ».
Article 11
Après l’article L. 6143‑2‑2 du code précité, il est inséré un article L. 6143‑2‑3 ainsi rédigé :
Art. L. 6143‑2‑3 : « Le projet médical comprend un volet « activité palliative des services ». Celui‑ci identifie les services de l’établissement au sein desquels sont dispensés des soins palliatifs. Il précise les mesures qui doivent être prises en application des dispositions du contrat pluriannuel mentionné aux articles L. 6114‑1 et L. 6114‑2.
Les modalités d’application du présent article sont définies par décret. »
Article 12
Les charges éventuelles qui résulteraient pour l’Etat de l’application de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
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