Rapport enregistré le 7 décembre 2004
Le 21 octobre 2004 a été mise en distribution une proposition de résolution (n° 1835) présentée par M. Gaëtan Gorce et l'ensemble des membres du groupe socialiste et apparentés tendant à la création d'une commission d'enquête sur la responsabilité des gouvernements Raffarin dans la dégradation de la situation de l'emploi en France depuis juin 2002.
Aux termes de l'exposé des motifs de la proposition, cette commission serait chargée, au vu des « piètres résultats » de la politique de l'emploi menée depuis deux ans, d'analyser « les causes d'un pareil échec » et notamment « les effets de la politique menée depuis deux ans et (...) les responsabilités des gouvernements conduits par Jean-Pierre Raffarin ».
Selon l'usage, le rapporteur examinera la recevabilité de la proposition de résolution, avant de s'interroger sur l'opportunité de créer une telle commission d'enquête, au regard des prérogatives qui lui sont attachées et de l'organisation qu'elle exige.
I.- SUR LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION
La recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête doit s'apprécier au regard des dispositions conjointes de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et des articles 140 et 141 du Règlement de l'Assemblée nationale.
- La première exigence posée par ces textes est de déterminer avec précision dans la proposition de résolution les faits pouvant donner lieu à enquête.
En l'occurrence, l'objet de l'éventuelle commission d'enquête consiste à déterminer « la responsabilité des gouvernements Raffarin dans la dégradation de la situation de l'emploi en France depuis juin 2002 ».
Cet objet est circonscrit à la fois par les actions auxquelles il renvoie - la politique de l'emploi des gouvernements Raffarin - et par la période qu'il vise - les deux dernières années, de l'été 2002 à l'été 2004.
On peut donc considérer que les faits visés sont formulés de façon suffisamment précise pour justifier, a priori, la création d'une commission d'enquête.
- La seconde condition de recevabilité concerne la mise en œuvre du principe de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire qui interdit à l'Assemblée nationale d'enquêter sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours.
Par lettre du 2 novembre 2004, M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice, a fait savoir à M. Jean-Louis Debré, président de l'Assemblée nationale, qu'aucune procédure n'est en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution.
La proposition de résolution peut donc être considérée comme recevable.
II.- SUR L'OPPORTUNITÉ DE LA CRÉATION
D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE
Il reste à déterminer s'il convient, en opportunité, de créer ou non une commission d'enquête « sur la responsabilité des gouvernements Raffarin dans la dégradation de la situation de l'emploi en France depuis juin 2002 ».
Si l'objectif qui inspire les auteurs de la proposition de résolution semble partagé, l'instrument qu'ils proposent pour l'atteindre est plus discutable : celui-ci écarte en effet toute analyse de la situation de l'emploi et, surtout, semble vain et contre-productif.
1. Une préoccupation partagée : la situation du marché du travail
Le point de départ de l'analyse des auteurs de la proposition de résolution est un constat, que pourrait faire le rapporteur : « depuis deux ans, le gouvernement a présenté l'emploi comme la première de ses priorités ».
Dans un premier temps, les auteurs de la proposition procèdent à un état des lieux de la situation du marché de l'emploi. Celui-ci est avant tout général : une augmentation de près de 200 000 chômeurs de juin 2002 à juin 2004.
Il se décline aussi suivant les catégories de chômeurs : jeunes chômeurs, chômeurs depuis plus d'un an, chômeurs dans l'industrie.
Face à cet état des lieux, le rapporteur ne souhaite pas entrer dans une querelle de chiffres, nécessairement un peu vaine : les indicateurs rappelés dans l'exposé des motifs de la proposition, qui résultent des bilans officiels du ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale au mois d'octobre 2004 - date du dépôt de la proposition - ne sont pas contestables. Ils n'en sont pas moins relatifs, puisque issus, pour certains d'entre eux, de données concernant le marché du travail au mois d'août 2004.
Est-il besoin d'opposer d'autres chiffres, issus par exemple d'enquêtes statistiques similaires, mais plus récentes ?
On pourrait alors noter que le nombre total de chômeurs de la catégorie 1 (1) n'est plus de 2 453 100, mais de 2 444 300, après une diminution de 0,3 % en septembre, puis de 0,1 % en octobre ; ou encore, que le taux de chômage des jeunes a diminué au mois d'octobre de 1 % pour les hommes, 0,6 % pour les femmes.
Les tout derniers bilans de la situation du marché du travail montrent aussi que le nombre d'inscriptions à l'ANPE consécutives à la fin d'un contrat à durée déterminée ou d'une mission d'intérim recule respectivement de 4,4 % et de 4,6 % en un mois. Les inscriptions à la suite d'un licenciement économique diminuent de manière marquée (-9,3 %), comme les « premières entrées » (-16,1 %), même s'il est vrai aussi que le nombre de chômeurs de longue durée, inscrits depuis plus d'un an à l'ANPE, continue à progresser (+ 1,1 % en octobre).
Au total, depuis octobre 2003, le taux de chômage, au sens du bureau international du travail, reste stable à 9,9 %, conformément au tableau présenté ci-après.
Le marché du travail en octobre 2004
(statistiques au 1er décembre 2004)
2003 |
2004 |
Variation en % | |||
octobre |
septembre |
octobre |
un mois |
un an | |
Demandes d'emploi (en fin de mois, en milliers) | |||||
Catégorie 1 (données brutes) |
2512,3 |
2499,0 |
2518,9 |
+ 0,8 |
+ 0,3 |
Catégorie 1 (données CVS) |
2439,2 |
2446,2 |
2444,3 |
- 0,1 |
+ 0,2 |
Catégorie 1 + 6 (données brutes) |
2933,0 |
2967,2 |
2982,8 |
+ 0,5 |
+ 1,7 |
Catégorie 1 + 6 (données CVS) |
2856,1 |
2915,1 |
2904,5 |
- 0,4 |
+ 1,7 |
Chômeurs au sens du bureau international du travail (BIT) | |||||
(milliers) (CVS) |
2691,0 |
2690,0 |
2685,0 |
- 0,2 |
- 0,2 |
Taux de chômage (en % de la population active) | |||||
Ensemble |
9,9 |
9,9 |
9,9 |
0,0 |
0,0 |
Source : Demandeurs d'emploi en fin de mois : ANPE, direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques du ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Chômage au sens du bureau international du travail : INSEE.
Toutefois, le rapporteur aimerait aller au-delà de ces chiffres et du bilan quantitatif. Certains sujets méritent mieux que la polémique, à l'heure où le constat d'un taux de chômage important, beaucoup trop important, en particulier il est vrai chez les jeunes - comme l'a mis en évidence une récente étude du bureau international du travail : près de la moitié des chômeurs dans le monde ont moins de 25 ans -, constitue une préoccupation majeure.
2. La question de la détermination des responsabilités : un « réquisitoire » peut-il tenir lieu d'évaluation ?
Dans le second temps de la démonstration, les auteurs de la proposition déterminent les responsables de cette situation. La démarche est inductive, puisque « les responsabilités des gouvernements conduits par Jean-Pierre Raffarin » apparaissent d'emblée comme l'élément d'explication central, qui est ensuite décliné en fonction de certaines politiques de l'emploi menées par ces mêmes gouvernements.
On peut toutefois d'ores et déjà commencer à s'interroger sur l'opportunité de l'intervention d'une commission d'enquête dont l'objet d'investigation, voire le résultat, est donné par avance - à moins que la commission d'enquête ne tende pas à déterminer les raisons de la montée du chômage, mais porte sur l'étude du processus selon lequel les gouvernements Raffarin auraient, par divers moyens, causé la dégradation de l'emploi...
On pourrait noter tout d'abord qu'il est un peu vain de vouloir lier des résultats quantitatifs centrés sur la période allant de juin 2002 à août 2004 à l'action politique menée sur cette même période, tant il paraît évident que les effets des politiques de l'emploi ne sauraient être immédiats : il est en particulier difficile d'imputer à un gouvernement mis en place en juin 2002 les résultats de l'emploi de ce même mois.
Cette seule remarque de bon sens pourrait suffire à s'interroger sur l'analyse proposée. Il importe néanmoins d'aller plus loin en examinant les différents points avancés par les auteurs de la proposition :
- L'assouplissement des 35 heures n'aurait pas été évalué précisément jusqu'ici.
Cela n'est pas inexact - et s'explique assez aisément, puisque la loi dite « Fillon » d'assouplissement date du 17 janvier 2003 et n'a donc même pas deux ans. En revanche, les effets de la mise en place des 35 heures ont été évalués, tant sur l'emploi (décevants au regard des perspectives avancées en 1998) que sur la croissance à long terme (négatifs selon certains) - constat rappelé encore il y a quelques semaines dans le rapport établi par le groupe de travail présidé par M. Michel Camdessus(2).
- La diminution du budget de la politique de l'emploi doit elle aussi être, au moins, relativisée.
A titre d'exemple, à périmètre constant, les crédits du travail dans le projet de loi de finances pour 2005 sont en augmentation de 1,8 % par rapport à ceux de l'année précédente. Cette augmentation est même de 2,4 % si l'on tient compte du transfert financier constitué par l'opération de création d'une contribution au développement de l'apprentissage au profit des régions et d'une diminution à due concurrence du niveau de leur dotation de décentralisation. Quant aux crédits du travail du projet de loi de finances pour 2004, ils étaient déjà, à structure constante, en augmentation de 0,6 %.
- La réduction du nombre des emplois aidés dans le secteur non marchand est également mise en avant (suppression des emplois jeunes et réduction des contrats emploi solidarité et contrats emploi consolidé).
Cette tendance est incontestable. Mais elle correspond à un choix politique assumé, que confirme le plan de cohésion sociale : à savoir la priorité donnée au retour à l'emploi marchand au regard du constat simple, établi tant par le gouvernement que par le rapporteur, que les emplois sont dans les entreprises. Ce sont en effet les formes de contrats aidés orientées vers l'entreprise, tel le contrat initiative emploi (CIE), qui donnent les meilleurs résultats en termes d'accès à l'emploi. Il faut d'ailleurs noter que le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale ne remet pas pour autant en cause les contrats dans le secteur non marchand, qu'il s'adresse aux personnes qui ne sont pas bénéficiaires de minima sociaux (c'est le cas du contrat d'accompagnement dans l'emploi, ou CAE) ou aux bénéficiaires du revenu minimum d'insertion ou de l'allocation de solidarité spécifique (comme l'atteste le contrat d'avenir), le gouvernement étant conscient des possibilités d'intégration existant dans les collectivités ou les associations, qui sont mieux adaptées à certains publics.
- Les auteurs de la proposition concluent ce qui ressemble bien à un réquisitoire par une sentence qui se veut définitive : « Les attendus du plan de cohésion sociale dressent d'ailleurs un constat similaire qui ne peut être compris que comme un aveu d'échec ».
Une fois encore, le rapporteur veut faire appel au bon sens. Depuis les années quatre-vingt - voire un peu avant - la situation du marché de l'emploi inquiète. En dépit des variations d'ordre conjoncturel, elle reste la préoccupation majeure des gouvernements. Pourquoi ne pas reconnaître que la situation aujourd'hui résulte d'une évolution de long terme et que dès lors les responsabilités peuvent difficilement ne pas être entremêlées ? C'est précisément le sens de l'exposé des motifs du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale qui prend en compte les évolutions sur les quinze dernières années pour dresser, par exemple, le constat d'une augmentation du chômage des jeunes de seize à vingt-quatre ans dans les quartiers en zones urbaines sensibles de 28 % à 50 %.
C'est ainsi un certain pragmatisme qui commande l'action actuelle du gouvernement dans la lutte contre le chômage.
3. La création d'une commission d'enquête, moyen inadapté voire contre-productif, n'est pas opportune et doit plutôt laisser place aux instruments d'évaluation traditionnels
Force est de constater qu'une certaine ambiguïté fonde la présente demande de constitution de commission d'enquête. L'exposé des motifs précise qu'il s'agit d'enquêter « sur les causes de la montée du chômage observé depuis deux ans ». Mais l'objet de la commission d'enquête serait « la responsabilité des gouvernements Raffarin dans la dégradation de la situation de l'emploi en France depuis juin 2002 » et non pas « la recherche » d'une éventuelle responsabilité.
Tout se passe donc comme si l'interrogation présente dans l'exposé des motifs était en même temps levée par la réponse apportée, tant d'ailleurs dans l'intitulé de la commission d'enquête proposée que dans l'exposé des motifs lui-même. D'une certaine façon, la proposition se reconnaît elle-même sans objet. C'est d'ailleurs, comme on le pressentait plus haut, le sens de l'exposé des motifs que d'affirmer les différentes raisons pour lesquelles les gouvernements Raffarin seraient responsables de la situation de l'emploi - et non de s'interroger véritablement sur le lien entre l'action politique et les résultats obtenus. Dès lors, la création d'une commission d'enquête semble inutile.
Plus encore, si même l'on voulait - ce qui, encore une fois, ne semble pas véritablement correspondre au souhait des auteurs de la proposition - s'interroger sur le lien entre les politiques de l'emploi menées et le résultat obtenu, démarche qui serait en termes d'évaluation des politiques publiques tout à fait justifiable et légitime, la création d'une commission d'enquête ne semblerait pas être l'outil le plus adapté à cet effet. L'évaluation des politiques de l'emploi passe par des dispositifs connus et efficaces, qui existent et qui continuent à jouer : à titre d'exemple, le ministère du travail procède régulièrement à des études pour évaluer l'impact des différentes politiques sur les publics concernés, études qui prennent la forme d'enquêtes longitudinales, avec dans certains cas la constitution d'échantillons témoins. Il existe également de nombreux organismes d'évaluation externe de chercheurs et l'on pourrait citer aussi les travaux de certains consultants.
Sans doute pourrait-on objecter que l'abondance d'instruments ne nuit pas et qu'il est toujours bon d'ajouter de nouveaux outils, en quelque sorte de multiplier les contrôles.
A cet égard, le rapporteur doit reconnaître sa perplexité - voire son inquiétude.
A une heure effectivement préoccupante, où le chômage continue à sévir, les auteurs de la proposition, se tournant vers le passé, proposent la création d'une commission d'enquête, instrument peu adapté à une telle évaluation. Le risque n'est-il pas grand, en entreprenant un tel travail, de perdre de vue ce qui pourtant apparaissait bien comme un objectif commun : la lutte contre le chômage ?
C'est précisément dans cet objectif que le rapporteur souhaite brièvement rappeler les grandes lignes des propositions actuelles du gouvernement pour promouvoir l'emploi (3), regrettant que l'exposé des motifs de la proposition reste silencieux sur ce point.
Naturellement, le plan de cohésion sociale est aujourd'hui, comme le montrent les débats parlementaires qui s'achèvent, au cœur de la relance de l'emploi. On peut rappeler certains de ses principaux enjeux : la redéfinition du service public de l'emploi et de ses intervenants principaux (Etat, ANPE, UNEDIC et Association nationale pour la formation professionnelle des adultes), ainsi que la création des maisons de l'emploi ; la réforme des dispositifs destinés aux « publics prioritaires » avec la substitution aux sept dispositifs existants de quatre contrats ; l'institution d'un régime nouveau d'accompagnement des jeunes en difficulté et un aménagement des règles du contrat d'insertion dans la vie sociale (CIVIS) ; la réforme du dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise (SEJE).
Il est à noter que, le plus souvent, à l'occasion de la discussion des projets de loi, le Parlement prévoit la remise de rapports spécifiques du gouvernement au Parlement sur l'exécution des dispositions adoptées. Ce sera le cas pour le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale et cet outil d'évaluation doit encore être ajouté aux instruments d'évaluation plus généraux précédemment évoqués.
Mais ce n'est pas tout. Les crédits du projet de loi de finances pour 2005 consacrés au travail comportent d'autres mesures qui se placent dans la continuité de la politique engagée il y a deux ans maintenant : à titre d'exemple, il faut citer la politique de refonte et de généralisation des allègements de cotisations sociales, engagée dès l'automne 2002, qui s'est traduite par l'adoption des dispositions de la loi « Fillon » du 17 janvier 2003 et s'est accompagnée d'un relèvement exceptionnel du niveau du SMIC, contribuant ainsi à revaloriser le travail et à soutenir le pouvoir d'achat ; la loi du 9 août 2004 relative au soutien à la consommation et à l'investissement, établissant une aide à l'emploi dans les hôtels, cafés et restaurants ; le renforcement des dispositifs favorisant l'accès à l'emploi des travailleurs handicapés grâce au financement de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie et dans le cadre du projet de loi pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, en cours de navette.
Il faut évoquer, outre cette description des crédits du travail entendus au sens strict, les mesures engagées en faveur de la formation professionnelle qu'elle soit continue (par l'adoption de la loi du 4 mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social) ou initiale (avec le vaste plan de relance de l'apprentissage prévu par le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale), autant de moyens de favoriser l'adéquation entre offre et demande de travail.
Ce ne sont là que quelques exemples. En tout état de cause, il paraît plus judicieux et urgent de poursuivre aujourd'hui, en un effort commun, la mise en œuvre de ces mesures plutôt que de procéder à la création d'une commission d'enquête en une démarche vaine, inadéquate et donc contre-productive.
Au bénéfice des observations qui viennent d'être formulées, le rapporteur conclut donc au rejet de la proposition de résolution n°1835.
La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné, sur le rapport de M. Maurice Giro, la présente proposition de résolution au cours de sa séance du mardi 7 décembre 2004.
Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.
M. Christian Kert, président, a remercié le rapporteur pour la qualité de son intervention.
M. Gaëtan Gorce a expliqué que la motivation de cette proposition de résolution est claire, dans la mesure où l'on assiste, depuis 2002, à la mise en œuvre d'une nouvelle politique de l'emploi produisant d'ores et déjà des résultats qui doivent dès lors être évalués. Or il apparaît que ce bilan est décevant puisque le chômage a enregistré sur cette période une progression générale de l'ordre de 10 % et l'augmentation est plus importante encore pour les jeunes et les chômeurs de longue durée.
Or ce n'est pas seulement cette augmentation inquiétante du chômage qui pose problème mais également le fait que les choix budgétaires et politiques y ont largement contribué. Outre le fait que la politique économique de ce gouvernement vise davantage à utiliser les marges budgétaires pour offrir des « cadeaux fiscaux » aux plus favorisés plutôt qu'à apporter un réel soutien à l'activité, il faut en effet souligner que le budget du travail, qui représente pourtant plusieurs milliards d'euros, a de fait contribué à détruire de l'emploi plutôt qu'à en créer. Ainsi, selon les études de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), la mise en œuvre du budget du travail aurait conduit à supprimer environ 53 000 emplois en 2003, 25 000 en 2004 et parviendrait à peine à équilibrer la situation en 2005 - pour l'essentiel grâce à l'anticipation de départs en retraite. Parallèlement à la progression du chômage, le budget de l'emploi, à périmètre constant et si l'on excepte les mesures d'allègement de cotisations sociales motivées non pas par le souci de l'emploi mais par la nécessité de compenser la hausse du SMIC, a diminué de près de 6 % en 2003 et 2004 et stagne à peine en 2005, notamment grâce aux aides temporaires dans le secteur de l'hôtellerie-restauration. Il semble donc pour le moins paradoxal de prétendre faire de l'emploi une priorité, puisque la politique engagée par le gouvernement ne conduit en réalité qu'à augmenter le chômage ou détruire des emplois. Il est donc nécessaire d'en dresser le bilan en constituant une commission d'enquête.
Les responsabilités de ce gouvernement dans cette évolution sont importantes, car l'orientation annoncée en 2002 et pleinement assumée consistait à favoriser l'emploi marchand au détriment des contrats emploi solidarité (CES), des contrats emploi consolidé (CEC) et des emplois jeunes, qui ont massivement été supprimés et d'ailleurs souvent présentés de façon caricaturale. Or dans le même temps, et pour la première fois depuis dix ans, le nombre total d'emplois a diminué en 2003.
En réalité, en refusant la création d'une commission d'enquête, c'est-à-dire en refusant de procéder à l'évaluation nécessaire de l'action engagée par le gouvernement, le rapporteur donne en définitive l'impression que la majorité n'assume pas son bilan et élude ses responsabilités, car sinon elle accepterait l'évaluation de cette politique par le Parlement, comme cela a par exemple été le cas pour la réduction légale du temps de travail. Cette majorité préfère plutôt regarder quinze ans en arrière ou quinze ans en avant. On ne peut pourtant pas laisser la situation actuelle se dégrader davantage et ce ne sont pas les mesures prévues par le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale qui sont de nature à rassurer nos concitoyens sur la capacité du gouvernement à faire reculer le chômage.
Enfin, l'action du gouvernement se caractérise par de nombreuses contradictions, à travers par exemple une « politique du yo-yo » en matière de contrats aidés, puisque leur nombre a finalement été augmenté en cours d'exercice, en raison sans doute de leur impact sur les statistiques de l'emploi, ce qui n'a pas été sans conséquences sur la mobilisation des employeurs ou encore des collectivités locales. On ne peut également que déplorer le fait que les moyens budgétaires en faveur des associations actives dans le domaine de l'insertion aient été significativement réduits au cours des deux dernières années ainsi que la confusion des responsabilités engendrée par la mise en œuvre du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale.
En tout état de cause, il manque aujourd'hui réellement une structure d'évaluation parlementaire des politiques de l'emploi afin que l'on puisse disposer de données objectives en la matière, car si les chiffres avancés dans la proposition de résolution peuvent être nuancés à la marge, ils n'en sont pas moins malheureusement révélateurs de la dégradation de la situation de l'emploi, dont le gouvernement porte l'entière responsabilité. Une commission d'enquête aurait été, en l'absence d'une telle structure, un lieu pour le débat afin d'éviter que les mêmes erreurs ne soient reproduites à l'avenir.
Après l'exposé du rapporteur, plusieurs commissaires sont intervenus.
Mme Cécile Gallez a tout d'abord jugé prématuré d'évaluer l'impact du plan de cohésion sociale, même s'il s'agit d'une avancée très importante. En outre, sous la précédente législature, le gouvernement socialiste a bénéficié d'une conjoncture très favorable qu'il n'a pourtant pas mis à profit pour diminuer significativement le chômage dans notre pays, tandis que l'action de l'actuelle majorité s'inscrit dans un contexte de dépression économique, due notamment à l'explosion du coût des matières premières, par exemple l'acier - et que les entreprises connaissent des difficultés spécifiques, liées, par exemple, aux délocalisations. Enfin, une politique de l'emploi ne peut être uniquement fondée sur le développement des contrats aidés, de type emplois jeunes, et il est au contraire bien plus efficace d'aider les entreprises à recruter davantage dans le secteur marchand en diminuant leurs charges : c'est par exemple le cas du secteur de la pharmacie, dont le taux de chômage, d'environ 22 % pendant une vingtaine d'années, a pu être réduit à 15 %.
M. Dominique Richard a considéré que la proposition de résolution est partisane et pleine d'arrière-pensées. Elle nie, par ailleurs, le principe de continuité de l'Etat et, à ce seul titre, est inopportune.
En réponse aux intervenants, le rapporteur a confirmé qu'il existe bien deux politiques différentes en matière d'emploi - l'actuelle et celle de la précédente majorité - mais qu'il est prématuré de porter un jugement sur celle qui est en cours d'application avant la fin de la législature. S'agissant des emplois aidés, ils arrivaient à leur terme et n'étaient pas renouvelables au moment de l'entrée en fonction de l'actuel gouvernement : leur disparition n'est donc pas imputable à ce dernier. Les associations ont pu utiliser une main d'oeuvre peu coûteuse mais sans avoir les moyens de renouveler ces embauches. De plus, l'actuel gouvernement doit faire face aux conséquences désastreuses des 35 heures dont les effets néfastes sont constatés tous les jours sur le terrain.
M. Gaëtan Gorce a confirmé qu'il existe bien deux politiques : celle qui échoue et celle qui réussit. Malheureusement, le gouvernement a choisi la première. Il faut s'interroger sur les raisons pour lesquelles le gouvernement a mené des politiques qui ont contribué à supprimer 53 000 emplois en 2003 et 25 000 en 2004, selon l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). L'objectif du « plan Borloo » et des mesures adoptées depuis deux ans, notamment en matière d'emplois aidés, n'est autre que de faire baisser les statistiques sur le chômage, sans qu'aucune logique soit respectée dans leur mise en œuvre et souvent avec un coût important à la charge des collectivités locales. Il est très regrettable pour toutes ces raisons qu'un bilan à mi-parcours de la politique de l'emploi du gouvernement ne puisse avoir lieu : c'était l'objet de la proposition de résolution tendant créer une commission d'enquête. Mais peut-être les craintes du résultat ont-elles eu un effet dissuasif.
Mme Cécile Gallez a également rappelé l'hypothèque que font peser les 35 heures sur la situation économique et sociale du pays, alors qu'existe une main d'œuvre souvent de grande qualité.
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Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a rejeté la proposition de résolution n° 1835.
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N° 1973 - Rapport sur la proposition de résolution sur la création d'une commission d'enquête sur la responsabilité des gouvernements Raffarin (M. Maurice Giro)
1 () Les demandeurs d'emploi de catégorie 1 sont les personnes inscrites à l'ANPE déclarant être à la recherche d'un emploi à temps plein et à durée indéterminée, ayant éventuellement exercé une activité occasionnelle ou réduite d'au plus 78 heures dans le mois.
2 () « Le sursaut, vers une nouvelle croissance pour la France », La documentation française, octobre 2004.
Voir, pour une synthèse récente de ces dispositifs, le rapport (n°1544) établi par la mission d'information commune sur l'évaluation des conséquences économiques et sociales de la législation sur le temps de travail à l'Assemblée nationale, déposé en avril 2004.
3 () Pour une analyse plus détaillée, voir l'avis de M. Maurice Giro, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales sur le budget du travail (n° 1864, tome 4), sur le projet de loi de finances pour 2005.
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