Le texte de mon intervention dans la discussion générale sur la démocratie sociale et le temps de travail, le 1er juillet 2008.
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mes Chers Collègues,
Il y eut un temps, pas si lointain d’ailleurs, où gouverner c’était choisir. Les Gouvernements saisissaient le Parlement de grandes questions qui concernant l’avenir du pays. Aujourd’hui, les médias s’interrogent sur les humeurs du Président de la République et, le Gouvernement fait du tricot, c'est-à-dire nous saisit, en urgence, dans une session extraordinaire, de textes qui se contentent de défaire ce qui a déjà été défait. Ce n’est pourtant pas que la France manque de défis à relever. La croissance s’essouffle, et cet essoufflement est d’autant plus préoccupant, que notre croissance était déjà insuffisante pour assurer notre prospérité, dans un monde où la compétition s’est encore accentuée. Le déficit de nos comptes sociaux ne cesse de se creuser dans l’indifférence générale. Il se trouve même des responsables politiques, pour dire que ces déficits ne présentent pas de véritable gravité. Le trouble s’est installé en Europe autour du projet comme que portent les 27 ; enfin, on sent dans l’opinion publique, monter une forme de désarroi qui est sans doute les prémisses d’une nouvelle crise civique. Et le Gouvernement, ne trouve rien de plus urgent, que de nous présenter un texte, qui, s’il s’en tenait à sa première partie sur la démocratie sociale, pourrait être acceptable, mais qu’il a jugé utile de doubler d’un codicille, d’une clause léonine, qui se fixe une fois de plus pour cible les 35 heures.
Celles-ci sont ainsi devenues, grâce à vous, une affaire à rebondissements. Il suffit, en effet, que le Gouvernement éprouve quelque difficulté dans l’opinion, ou simplement à ressouder sa majorité, pour que surgisse dans l’actualité le projet ferme, guerrier, martial, d’y mettre un terme. Vous aurez ainsi réussi à tuer les 35 heures plusieurs fois, en tout cas à chaque fois que cela pouvait servir vos desseins, non pas économiques, mais politiques!
On se demande, d’ailleurs, ce que vous pourriez faire pour expliquer vos difficultés, celles du pays, comme celles de votre gestion, si vous ne disposiez pas toujours , dans le stock des explications commodes et des polémiques toujours prêtes, médiatiques et exploitables à souhait, du dossier des 35 heures.
L'usage en est désormais bien établi. Il s'agit presque d'une tradition à laquelle vous sacrifiez à votre tour. Monsieur Fillon, avant vous, en avait fait sa spécialité pour nous avoir convoqué, au moins à trois reprises, sous la précédente législature, moins pour en débattre que pour en rabattre : augmentation des contingents à 180, puis 220 heures ; modulation des majorations ; monétarisation des repos compensateurs, des comptes épargne temps, élargissement du recours au forfaits, etc.
La panoplie n’a cessé, en sept ans, de s’enrichir, au point d’exiger de vous des trésors d’imagination pour entretenir la flamme. Nous sommes ici confrontés à un cas extrême de délire obsessionnel ou idéologique, dont les conséquences constituent une curiosité. Ainsi êtes vous allés jusqu’à faire voter, voici quelques semaines, une loi sur les heures supplémentaires, pour contourner les 35 heures, qui vous interdit, de facto, de les supprimer, sans quoi la base sur laquelle repose ce dispositif s’effondrerait. Pérenniser les 35 heures pour mieux les contester : avouez que l’opération ne manque pas de sel, elle a surtout pour consigne de montrer l’inanité de ce débat qui ne sert que de vagues préoccupations médiatiques ou idéologiques alors que les vrais enjeux sont ailleurs.
Et c'est là le plus grave reproche que l'on peut vous faire : vous faites perdre du temps à la France sous prétexte d'allonger celui des salariés !
J’ai lu, ici ou là, que ce texte introduirait une forme de « Thatcherisation » de la société française. Il n’est pas besoin de recourir à de telles outrances pour démontrer que votre texte est dangereux. Il repose en effet sur une sur une double contradiction qui met en jeu des questions essentielles : celle de la croissance et celle de la démocratie sociale.
Ainsi affichez vous la volonté de soutenir la croissance alors que la manière dont vous essayez d’y parvenir en manipulant la durée du travail ne peut y répondre utilement !.
Voici des années que vous nous expliquez que notre pays souffrirait d’une durée du travail insuffisante qui pénaliserait son développement. On pourrait vous suivre si cela était vrai. Mais la France souffre moins d’une durée individuelle du travail insuffisante, que d’une durée collective trop faible : son premier handicap réside, justement, dans l’insuffisance des taux d’emploi des seniors (de 20 points inférieurs à ce qu’il est dans les pays scandinaves pour les 55-64), comme des jeunes, auquel vous ne parvenez pas à vous attaquer et pour lesquels on pourrait souhaiter que vous déployiez la même énergie que celle que vous montrez pour vous attaquer à la durée légale. Dans un récent rapport, le C.A.E. rappelle que le décalage observé dans la mobilisation du travail entre la France et les pays scandinaves, tient pour l'essentiel au sous-emploi. Plus globalement, ce dont souffre notre pays, c’est d’une trop faible mobilisation de la population active et de l’insuffisance des créations d’emplois qualifiés, ce qui passe par un effort maximum, non pour faire varier la durée du travail mais pour développer la formation et l’innovation. C’est notre productivité globale qui est en péril. C’est sa progression qui dégagera des marges, c'est-à-dire de la valeur ajoutée et du pouvoir d’achat. Là se trouve la mère des batailles ! Or, vous avez choisi d’engloutir des milliards en ouvrant des fronts secondaires, en menant des combats d’arrière-garde, comme les majorations d'heures supplémentaires, dont l’impact sur la croissance est nul (je vous renvoie aux chiffres récents de l’INSEE) et sur le pouvoir d’achat, imperceptible! Ce qui ne signifie pas qu'il ne faut pas ajuster la durée du travail aux besoins de la croissance,mais que cette question n’est pas centrale. La sagesse voudrait que vous cessiez donc de faire de la durée légale à 35h un bouc émissaire ; et, qu'en contrepartie, nous cessions d’en faire un tabou : nous aurions, les-uns et les autres, progressé dans l’intérêt de nos entreprises et de notre économie. Mais ce n'est pas la voie que vous avez choisie !
Ce qui me conduit à votre seconde contradiction : vous prétendez encourager la démocratie sociale, ce dont il faut vous féliciter, tout en refusant les conclusions auxquelles celle-ci est parvenue, ce qui ne peut être accepté. On ne peut jouer en effet sur deux registres à la fois. Ainsi, voulez-vous laisser aux branches professionnelles et plus largement aux entreprises le soin de fixer plus librement leurs contingents d’heures supplémentaires. Pour ce qui me concerne, l’idée d’aller vers une telle souplesse ne me choque pas. Au nom même du principe que j’indiquais tout à l’heure : ni bouc émissaire, ni tabou ! Les entreprises doivent pouvoir travailler autant qu’il leur est nécessaire pour faire face aux demandes du marché. C’est la clef de l’emploi et celle de la compétitivité.
Mais à une condition : que les dérogations à la durée légale du travail, que constituent heures supplémentaires, soient cadrées par la négociation. Et qu’elles le soient, par conséquent, dans les conditions voulues par les partenaires sociaux eux-mêmes. On ne peut leur demander de fixer un cadre, pour ensuite s’en affranchir. De deux choses l’une, ou vous faîtes fond sur la négociation et les résultats de celle-ci doivent primer, puisque c’est le principe sur lequel vous avez décidé d'établir votre politique. Ou vous choisissez d’agir de manière unilatérale. Mais, vous ne pouvez à la fois vous féliciter du succès d’une négociation interprofessionnelle pour agir ensuite, par la loi, à votre guise. Puisque vous avez choisi l’option de la démocratie sociale, vous ne pouvez pas agir dans le sens contraire des principes qui la fondent. D'autant qu'en vous affranchissant de cet accord interprofessionnel, vous privez votre invitation à la négociation d’entreprises de ses bases mêmes. Vous vous tirez en quelque sorte une balle dans le pied. Rousseau disait qu’il valait mieux être « homme à paradoxe qu’à préjugé. » Vous parvenez à cumuler les deux : au préjugé contre les 35 heures, vous ajoutez le paradoxe de vous appuyer sur un accord inter interprofessionnel sur la démocratie sociale, ce qui est un bon début, pour finir, ce qui est une terrible chute, par le dévoyer et le dénaturer, dès lors qu’il s’agit de lui trouver un premier chapitre d’application sur la durée du travail. Ne tournez donc pas autour du pot : soit vous voulez aller au bout de votre démarche et confiez la réduction du temps de travail à la négociation mais alors vous devez le faire aux conditions fixées par les négociateurs eux-mêmes. Soit vous ne souhaitez pas responsabiliser ceux-ci, alors vous devez renoncer à vous prévaloir d’un accord qu’autrement vous dénaturez.
Le choix que vous avez fait, n’est naturellement pas innocent. Pour contenter le Président de la République ou une frange de votre majorité, vous avez pris le risque de tuer dans l’œuf une démarche prometteuse : les deux plus grandes organisations syndicales de ce pays étaient tombées d’accord avec le patronat sur une des questions les plus difficiles qui pouvait leur être posée, à savoir, la représentativité. Loin de saluer ce premier pas, pour en permettre d’autres, vous placez, au contraire, ces deux organisations dans la situation impossible de se voir contourner, instrumenter, voire même humilier. Vous sacrifiez les progrès possibles, de la démocratie sociale, que la première partie de ce texte est de nature à favoriser, sur l’autel d’une petite opération politique, médiatique ou idéologique, peu importe. Triste résultat, surtout pour un début de mandat.
Vous comprendrez, Mesdames et Messieurs, que nous ne puissions nous rendre complice d’un tel forfait. Parce que c’est l’intérêt général qui est mis en péril à travers ce déni de la démocratie sociale. Et, je ne peux m’empêcher d’opposer le courage et le sens de la responsabilité dont ont fait preuve la CGT et la CFDT à la légèreté des motivations qui sont celles de ce Gouvernement. Je ne suis pas sûr que l’urgence que vous avez demandée sur ce texte ait fait progresser la démocratie parlementaire. Mais, je suis sûr que la manière dont vous traitez l’accord des partenaires sociaux ne pourra que faire régresser la démocratie sociale. Une occasion manquée. A ce prix, en aurez-vous d’autre ?
@ pène
Vrai pour la question des discussions par branches, mais...
C'était l'intérêt des salariés d'avoir de meilleures conditions de vie, et de profiter aussi bien de loisirs que de leur famille.
Initialement la CFDT avait annoncé cette couleur, on l'oublie trop souvent.
C'est surtout à l'heure actuelle je trouve, pour acidifier la polémique, que l'on insiste sur le peu de créations d'emplois [réel]des 35h.
Oui, les cadres font des HS non rémunérées.
Et le phénomène s'amplifie (la peur de perdre son emploi, la délocalisation... étant des arguments massifs !). La rebellion de la CGC n'est pas fortuite.
Rédigé par : le concombre masqué | 17 juillet 2008 à 12:14
Bonjour,
Le pouvoir d'achat passe avant tout par le salaire, les heures supplémentaires c'est une solution de discorde, celles des cadres par exemple ne sont pas rémunérées, certaines entreprises ne peuvent non plus en proposer.
Pour les 35 heures, une loi généreuse et ambitieuse le vrai problème à mon sens c'est que les dés ont été pipés dans les accords par branche : je m'explique cette loi devait engendrer des embauches, ce que l'on a surtout vu c'est la création des RTT ce qui n'était pas à mon sens l'âme du texte mais qui correspondait à l'intéret du moment des salariés et des Chefs d'entreprises.
Des jours de congés en + mais pas de création de poste pérennes!
La solution de l'instant a dévoyé l'idée de partage...
Pierre
Rédigé par : Pène | 04 juillet 2008 à 12:27