Chers amis et camarades,
Au moment où nous parlons, les 20 pays les plus puissants de ce monde sont réunis pour tenter de trouver une solution à la crise financière. Or la plupart de leurs dirigeants est issu des partis conservateurs !
Voici trois ans, notre congrès du Mans se tenait au lendemain de la crise urbaine la plus grave, la plus longue à laquelle ait été confrontée notre République. Chacun de nous sait qu'à ce jour rien dans nos banlieues n'est réglé. Mais éloignés du pouvoir, qui pouvons-nous ?
Voici six ans enfin, à Dijon, notre congrès accueillait triomphalement Bernard Thibault et plébiscitait sa résistance à la réforme des retraites. Depuis lors, les lois Fillon ont été votées et continuent de s'appliquer.
La réalité est là : le monde et la société changent. Mais ils changent sans nous.
Et si le monde change, alors pourquoi pas la Gauche ?
N'est-ce pas là, la seule véritable question qui nous est posée ? Qui est
posée à chacun d’entre nous du pied de cette tribune au fond de cette
salle ? Si nous sommes venus si nombreux et parfois de si loin, ce n’est
pas seulement pour régler la question du leadership, certes importante,
ou des alliances, plus dérisoire, mais bien celle de savoir si nous aurons
la force intellectuelle et le courage de nous remettre aujourd’hui en
question pour mieux demain nous remettre en mouvement !
À l'été 2007, j'ai démissionné de la direction de notre Parti pour
protester contre son inertie et son refus de tirer les conséquences d'une
trop longue série de défaites. Depuis, rien n’a bougé et dix-huit mois ont
été perdus. Je vous le demande : perdre trois nouvelles années, ne
serait-ce pas prendre le risque de perdre, cette fois, et peut-être
définitivement, la confiance des Français ?
Cela veut dire que nous avons le devoir, le devoir absolu, de réussir ce
congrès.
Le moins que l'on puisse dire est que nos procédures obsolètes, démodées,
dépassées, ne nous aident pas ! Elles ne permettent ni de dégager une
orientation politique claire, ni de promouvoir le nouveau leadership dont
nous avons pourtant tant besoin. C'est dire qu'il nous faudra les changer
radicalement en élargissant massivement notre assise militante, en
veillant à donner le premier et le dernier mot à nos adhérents, en cessant
de nous enfouir la tête dans le sable chaque fois qu'il est question de
présidentialisation, nous qui avons voté, tous ici, le quinquennat et
l'inversion du calendrier ! D’ailleurs, je ne comprends pas très bien ce
débat sur la nature du parti. Ce que je sais, ce que nous savons tous ici,
c’est que nous avons besoin d’un parti neuf ! C'est-à-dire d’une direction
qui dirige, d’instance délibérative qui délibère, d’une démocratie
vivante.
Oui, la rénovation de nos méthodes constitue bien la priorité des priorités.
Mais dans l'attente d'un tel changement, nous ne pouvons aujourd'hui
compter que sur notre sens des responsabilités !
C'est ce sens des responsabilités qui doit nous amener à considérer les
enjeux de la crise mondiale avant toute autre préoccupation pour ne pas
donner aux Français, inquiets, le spectacle de nos déchirements.
C'est cet esprit de responsabilité qui devrait nous conduire à rejeter les
oripeaux des vieilles motions, pour saisir l'opportunité qui nous est
offerte de procéder à une véritable recomposition politique à l'intérieur
de notre parti. Figés autour des clivages datant des années 80,
prisonniers d’écuries présidentielles qui n'ont aucun succès à leur actif,
saisissons au contraire l'occasion d'effacer définitivement les frontières
des vieux courants déjà mises à mal par le rassemblement qui s'est opéré
autour de notre candidate Ségolène Royal en 2007.
C'est enfin ce sens des responsabilités qui devrait nous conduire à faire
de ce congrès le point de départ de notre régénération politique et
morale. À cette condition, le PS n'aura plus à redouter ni la concurrence
du modem, ni celle de l'extrême-gauche. S’est produit, ces dernières
années, un changement considérable, si considérable qu’il a déstabilisé
toute notre société : jeunes ou vieux, salariés ou inactifs, tous ont
désormais le sentiment d’avoir perdu la maîtrise de leur vie, de n’avoir
pour destin qu’un horizon rendu chaque jour plus incertain. Aussi,
n’avons-nous d’autre responsabilité que de nous demander et de leur dire
comment leur restituer le droit imprescriptible à l’avenir qui constitue
le socle d’une société de progrès. Voilà le beau, le vrai, le seul débat !
J'entends bien la voix vibrante de ceux qui nous reprochent de ne jamais
être suffisamment à gauche, de ceux qui n'ont de cesse de vouloir
s'enrôler dans une nouvelle croisade au nom d'une alternative abstraite,
jamais définie, solution bien commode pour dépasser les contradictions qui
les minent. Ceux que la nostalgie des combats d'hier conduit à vouloir
sans cesse les faire revivre, oubliant les défis, les combats, les enjeux
d'aujourd'hui. Nul besoin pourtant de piocher dans la rhétorique la plus
traditionnelle, pour faire revivre l'idéal socialiste. Si l'on veut bien
définir la gauche comme le projet de permettre à chacun de vivre la vie de
son choix ! Si l’on veut bien définir la Gauche comme la conviction que
cette liberté n'est possible que si elle est collectivement garantie par
l'égal accès de tous à l'éducation, à la santé, au travail et aux loisirs,
comme à la sécurité, alors le chemin des possibles est à nouveau ouvert.
L’invention d’une démocratie plus participative, la construction de
nouveaux contre-pouvoirs face aux grandes organisations économiques mais
aussi culturelles, la protection des droits de l’Humain face aux
évolutions de la science et de la technologie, la sauvegarde de notre
planète, constituent autant de nouvelles frontières vers lesquelles
avancer. Tout comme la construction indispensable d’une nouvelle étique de
la responsabilité qui récuse et l'impasse des préjugés sans vision et la
vacuité de l'action sans principes : penser en liberté, agir en sincérité,
comme le disait, le voulait, le faisait Pierre Mendès France.
Cessons d'opposer la liberté à l'égalité pour privilégier, dans ce monde
marqué par de nouvelles menaces sur le libre-arbitre de chacun, la
promotion des droits, la réhabilitation de la justice sociale et de
l'égalité des chances et le souci de l'intérêt général. Reconstruisons une
gauche qui, face à la démagogie et au conservatisme de la droite, fasse le
choix de la responsabilité, de la rigueur morale et de l'exigence
citoyenne. Reprenons espoir, non à partir d'une contestation radicale mais
d'une ambition radicale : inventer la nouvelle alliance du marché, de la
démocratie et du progrès social.
Ce congrès a certes son importance, il suffirait d'imaginer ce que
pourrait représenter son échec. Et il est normal que beaucoup parmi nous
se focalisent exclusivement sur son issue. Mais il ne constitue pourtant
qu'une étape sur le chemin qui mène à 2012, c'est à-dire vers une gauche
qui cesse de commenter les bouleversements en cours, pour en redevenir
partie prenante.
À l'extérieur de cette salle, des femmes et des hommes, qui n'ont d'autre
intérêt à nos débats, que de savoir s'ils pourront reprendre espoir ; des
femmes et des hommes soucieux du nouveau visage que prend le monde,
attendent de nous un message clair. La gauche représente pour eux plus
qu'un programme ou un parti, mais le moyen de rendre leur vie, comme celle
de leurs enfants, meilleure. Ils attendent de nous un renouvellement, des
équipes et des méthodes, qui s'impose, sauf à vouloir se recroqueviller
sur le vieux parti dans lequel ils n'ont plus confiance ; ils attendent de
nous une rigueur, un sérieux, un professionnalisme sans lesquels nous ne
pourrons pas regagner en crédibilité ; ils attendent de nous que nous leur
disions la vérité sur ce qui est possible et ce qui pourra advenir ; ils
attendent de nous plus encore une générosité, des idées comme des
comportements, sans laquelle nous ne pourrons susciter l'élan, provoquer
l'enthousiasme qui seuls peuvent permettre, demain, d'arracher la
victoire.
C’est un nouveau parti qui doit sortir de ce congrès. Avec une nouvelle
ambition, un nouvel état d’esprit, pour relever de nouveaux défis, tout
aussi exaltants que ceux que nous avons dû affronter par le passé. Chacun
de nos congrès a son importance. Mais certains peuvent changer le cours
des choses : Amsterdam voici 104 ans fut celui de l’unité enfin réalisée ;
Tours, celui de l’affirmation courageuse d’un socialisme réconcilié à tout
jamais avec la démocratie ; Epinay, celui de la renaissance et de la
reconquête. Nous n’avons cessé depuis lors, comme écrasé par le poids de
cet héritage, et parfois de ses héritiers, de différer ce rendez-vous qui,
dans le prolongement de ces grands moments, dans la continuité d’une
histoire en marche, ferait émerger la Gauche des temps nouveaux.
C’est à nous, à vous qu’il revient aujourd’hui d’en décider. Nous pouvons
faire le choix respectable de nous replier sur des solutions visant
simplement à préserver, à protéger plutôt qu’à conquérir.
Nous pouvons aussi, dans le grand livre où est consigné plus d’un siècle
de la vie de la Gauche, décider de tourner une page. Et parce que ce grand
livre est un incunable, la tourner avec précaution. Mais, parce la page
qui reste à écrire est sans doute la plus belle, puisque nous en porterons
la responsabilité, la tourner clairement, la tourner franchement !
Ecartons les petits calculs, refusons les alliances contre-nature et nous
sortirons de ce congrès réconciliés avec nous-mêmes, fiers, non d’avoir
empêché, mais d’avoir entrepris quelque chose de plus fort et de plus
grand que nous. Sans doute avons-nous trop attendu ce moment ! Alors,
n’attendons plus, ensemble, militants et élus, délégués et dirigeants,
électeurs et sympathisants, tous ensemble, du jour de ce congrès
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