Colloque de la Fondation Friedrich Ebert
sur le modèle économique et social européen
Paris, 6 février 2009
Mesdames, Messieurs, Chers Collègues,
Je ne sais pas s’il existe un modèle social européen. Les différentes études conduites ces dernières années, de Gosta Esping Andersen à Bruno Aimable, ont plutôt conduit à conclure, selon le sentiment maintes fois exprimé par Jacques Delors, par la négative. Le social, son financement, sa gestion, relèvent de nos cultures politiques nationales et sont étroitement liées à nos histoires respectives.
Mais il existe, en revanche, une exigence de cohésion sociale à l’échelle de l’Union à laquelle le « papier » qui nous est présenté sur un pacte de stabilité sociale fait très précisément allusion.
Les évènements récents ont d’ailleurs permis d’illustrer cette préoccupation, qu’il s’agisse de la brusque réaction des salariés britanniques de TOTAL à la perspective de l’arrivée de main d’œuvre italienne ou du transfert de DELL d’Irlande en Pologne.
Il ne fait aucun doute que la crise va encore accentuer une demande de protection de la part de salariés, qui, s’il n’y ait pas répondu par le social, risque de se traduire sur le plan douanier ou commercial, ou par tout autre forme d’obstacle à la libre circulation que l’imagination des Etats permettrait d’inventer.
Il y a donc urgence à reprendre l’initiative pour retrouver l’inspiration des fondateurs de l’Europe qui à l’article 117 du Traité avait associé à la libre circulation « l’amélioration des conditions de vie et de travail de la main d’œuvre permettant leur égalisation dans le progrès ». Initiative dont la difficulté tient au fait qu’elle doit à la fois respecter la spécificité des cultures sociales de chaque état à laquelle je viens de faire allusion, tout en favorisant une cohésion plus grande de l’Union toute entière.
L’idée avancée d’un pacte de stabilité sociale parait dans ces conditions particulièrement bienvenue :
D’abord, parce que sa formulation fait pendant à celle du pacte de stabilité économique et financière et apparaît, par conséquent, comme la contrepartie naturelle du premier.
Ensuite, parce que l’idée de définir des obligations sociales pour chaque état en fonction de son niveau de richesse et de développement est la seule façon de concilier et, la spécificité des législations et les écarts de revenus qui peuvent exister tout en intégrant l’idée d’un progrès, le social étant alors systématiquement indexé sur l’économique. On ne peut d’ailleurs de ce point de vue que regretter l’occasion manquée qui a été celle de l’élargissement. Car, comme l’a fait remarquer récemment Alain Supiot, plutôt que de transposer purement et simplement à des économies et à des sociétés foncièrement différentes nos acquis communautaires (qui ne pouvaient être repris que formellement), sans doute aurait-il été préférable de fonder un véritable pacte social prenant en compte ces situations différenciées.
Enfin, parce qu’une telle idée devrait permettre de résister à la formidable pression à la baisse des dépenses et des investissements sociaux que va générer la crise, ou plutôt la sortie de crise. La montée de l’endettement public va inexorablement se traduire d’ici quelques années par un besoin de maîtrise des dépenses publiques et comme toujours, probablement d’abord, des dépenses sociales.
Ceci posé, cette proposition appelle d’autres commentaires :
En premier lieu, une place particulière devrait être accordée au sein de ce pacte et, en particulier, dans les dépenses éducatives, à celles consacrées à la petite enfance : Gosta Esping Andersen nous a montré combien l’investissement dans l’accueil des plus petits était de nature à faciliter et l’intégration professionnelle des femmes et les progrès dans la sociabilité des enfants, comme la prévention des inégalités.
En deuxième lieu, il faudra se garder de considérer que le progrès social est seulement mesurable en parts du PIB qui lui est consacré. S’il s’agit d’une référence indispensable, celle-ci ne garantit pas l’efficacité sociale de ce dispositif. La mise en place d’un mécanisme d’évaluation validé et la diffusion de bonnes pratiques paraissent indispensables. De même, une place particulière devra être faite aux citoyens et aux partenaires sociaux dans l’élaboration et la vérification de ces indicateurs. Au total, ce mécanisme de pacte de stabilité sociale ne doit pas conduire à faire l’économie d’une réflexion sur la réforme de notre Etat providence vers un Etat social prévoyant ou actif selon les formulations retenues.
Il conviendra, ensuite, de ne pas s’en tenir à cette seule approche. D’autres questions sont en effet en suspend concernant notre Europe sociale, en particulier, s’agissant du Droit du Travail depuis les arrêts Viking et Laval, questions auxquelles le Manifesto adopté à Madrid fait heureusement directement référence.
Mais il faudra plus encore se garder, en adoptant une telle approche, de ne lier le social qu’à l’économique. La cohésion sociale, la solidarité, doivent répondre d’abord à une exigence de dignité qu’il faut sans cesse rappeler. Si elles sont liées à l’économique, elles doivent garder leur spécificité ; la question étant celle, comme le rappelait Dominique Méda dans une intervention, lors d’un précédent colloque de l’Institut Friedrich Ebert, du « niveau général de civilité », c'est-à-dire de la qualité des relations humaines qui doivent prévaloir dans nos sociétés et qui constitue le fondement et l’aboutissement de toute politique socialiste.
Gaëtan GORCE
Commentaires