Monsieur le Préfet, Monsieur le représentant du Ministre de la Culture,
Monsieur le Président Directeur et Général des Mots, Chers Amis du Mot,
Il n’est guère de moment que je redoute plus que celui-ci. Où par un absurde usage établi voici six ans, le Maire que je suis se voit contraint d’abandonner les facilités de la langue de bois pour tenter de faire l’original avec les mots.
Cette langue de bois a pourtant bien des avantages : c’est celle dont est fait l’arbre qui cache toutes les forêts. Celle grâce à laquelle on peut toujours se raccrocher aux branches quel que soit le sujet sur lequel on planche.
Adieu donc, comme d’autres l’ont dit avant moi, la langue de bois qui laisse de marbre ; préférons-lui la langue de joie qui plaira mieux à nos hirondelles annonciatrices d’un nouveau printemps des mots. Aussi, je me jette aux mots comme on se jette à l’eau…
« Six in the city » ainsi pourrait-on résumer ce nouvel exercice !
« Six », comme « Six appeal » parce que nous en sommes à la sixième édition d’un pari fou et que l’on peut dire aujourd’hui réussi.
« In the city » parce qu’après que La Charité ait donné droit de cité aux mots, elle peut de droit devenir la Cité du Mot. C’est le projet sur lequel nous travaillons Marc et moi et dont je l’espère nous pourrons vous présenter les grandes lignes avant la fin de cette année.
« In the city » aussi parce qu’à peine Marc et Vincent Roca ont-ils paru qu’ils laissent échapper, à coup de paroles imprudentes et à tout propos des foules de mots, des mots si nombreux qu’ils excèdent leurs pensées et qui envahissent tout : nos rues, nos cours, nos maisons, nos murs sur lesquels ils s’incrustent. Pour un peu, on le chanterait : les mots, les mots sont entrés dans la ville… des mots qui bientôt règnent en maître, et ce maître-mot vient changer nos impressions, modifier nos caractères. Les mots, les mots, les charitois n’ont plus que cela à la bouche ! Le mal des mots les guette : mot du cœur, mot de tête, mot d’estomac, peu importe ! Comment lutter contre ce disert médical ? Certains ne se comprenant pas en viennent aux mots. D’autres se les passent comme on ferait d’un ballon. Certes ce sont avec ces mots de passe que s’écrivent les plus beaux essais, les plus marquants. Mais ces mots qui roulent, qui déboulent, filent entre nos lèvres, quand s’arrêteront-ils ? Comment s’en débarrasser : si chasser les rongeurs est «dératisation », chasser les mots serait en effet dé-mo-tivation, dé-mo-bilisation, dé-mo-ralisation.
C’est pourquoi j’invite chaque charitoise et chaque charitois à leur proposer l’hospitalité, à prononcer des mots d’accueil. Que chacun d’entre vous prennent un mot chez lui, un mot ou deux, un mot tout simple. Pas un de ces mots de l’année dont Vincent Roca nous rebat les oreilles. Mais de ces mots qui s’accordent entre eux. D’après la liste que l’on m’a fournie, plusieurs sont encore sans refuge.
Ainsi du mot « caractère », un mauvais celui-là dont Marc Lecarpentier tente de se débarrasser, que l’on a aperçu en ville portant un voile, à moins que ce ne soit un fichu. Mais attention ce fichu caractère aime faire gras.
Ainsi du mot « Excédent » qui a disparu du vocabulaire courant, en tout cas du langage budgétaire. Il voyage avec un surcroit de bagages, prend plus de place que prévu mais dispose de larges ressources. Talentueux, il peut exceller. Enervant il peut aussi excéder.
Plus difficile à loger le mot « polygame » car il ne voyage pas seul. Il lutte contre une injuste réputation : d’après lui ceux qu’on dit polygame sont ceux qu’on diffame (dix femmes).
Certains mots sont aussi d’un abord difficile et posent problème :
D’orientation : le mot d’Ouest est ainsi plus arrogant que le mot d’Est.
Politique : si le mot d’ordre est de droite et de gauche le mot d’excuse, ou placer le Modem ?
De tempérament : le mot « rose » est triste. Le mot « lire » manque de fermeté. Méfiez-vous des mots qui se présentent à vous dans le plus simple appareil : car le mot nu ment ! Le mot « silencieux » est malodorant : c’est qui ne dit mot qu’on sent !
D’usage : le mot qui fait mouche n’est pas toujours un mot en l’air. Enfin, il faut se garder de se priver de certains mots indispensables à l’exercice de certains métiers : ainsi le coiffeur ne peut couper les cheveux s’il est privé de mots « tif ».
Et puis, il y a tous ceux que Marc Lecarpentier a traités en paria : tous ces mots sélectionnés pour être mot de l’année, à qui l’on avait promis de finir dans l’exposé de Vincent Roca et qui finalement ne furent pas retenus. Tous ces mots qui ne se remettent pas de n’avoir pas été choisis. Au rebut faute d’être relu !
Ainsi du mot « grippe » pourtant si répandu contre lequel le jury a fini par se faire vacciner ; ainsi du mot « identité » dont ayant perdu ses papiers on n’a pu préciser la nationalité ; et que dire des mots des années passées lâchement abandonnés par leur promoteur. Qu’est devenue la bravitude royalement plébiscitée en 2007 ? Et le respect de 2006, perdu le respect ? La précarité de 2005 s’est pourtant révélée plus durable que l’on ne pouvait le penser. Et le bling-bling, ce nouvel ornement de la République Sarkoziste : Dura lex sed Rolex ? Et le parachute doré, Cher Vincent Roca, dont vous faisiez pourtant ici l’éloge l’an passé : oublié, parti en torche, largué. Il faut dire que c’était un mot à vous faire sauter !
Alors qu’aurait pu être le mot de l’année ? Burqa ? Seule une loi aurait pu le dévoiler ! Climat ? Cela aurait senti le réchauffé ! Rigueur ? Mais on s’interdit de le prononcer ! Pas non plus « retraite » que l’on voit s’éloigner à l’horizon ! Ce fût « dette ». Un mot creux s’il en est ! Mais un mot avec lequel Roca, on l’a entendu, est à dû et à doit. Mon dieu qu’il est dette ! Face à une telle annonce il faut que je m’économise et que je vous épargne des mots superflus. Comme mot de l’année, j’aurais préféré La Charité, mot généreux et bien ordonné. Alors criez avec moi à bas la dette, vive La Charité, vive le Festival du Mot et vive celui qui me servira de : chut !
Encore une fois bravo pour votre discours extraordinaire et dans la recherche et dans la restitution !
Rédigé par : Philippe Romano | 29 mai 2010 à 07:46