Réponse à la tribune publiée dans Le Monde par Bernard Accoyer
La pénibilité est un risque auquel le Président de notre Assemblée nationale est manifestement exposé. Loin de moi l'idée d'en profiter pour demander sa retraite anticipée. Je plaiderai plutôt pour un effort de prévention, à savoir, une amélioration conséquente de l'organisation du travail parlementaire qui le concerne au premier chef. Car loin d'avoir apporté des solutions acceptables, le règlement actuel de notre assemblée a au contraire accentué les difficultés obligeant même Bernard Accoyer à s'en affranchir pour complaire à sa majorité.
L'exercice auquel le Président Accoyer s'est essayé dans les colonnes du Monde pour tenter de se justifier se révèle particulièrement laborieux dans la forme et contestable sur le fond. Nul doute qu'il soit difficile dans un contexte politique aussi tendu que celui créé par Nicolas Sarkozy de faire montre - à défaut de faire preuve - d'impartialité. Mais il est du devoir du président de préserver l'Institution quel que soit le contexte.
En effet, à la différence des autres députés, le Président de l'Assemblée nationale est comptable au regard de notre Constitution de la façon dont il garantit les Droits du Parlement et, au sein de celui-ci, de l'opposition. C'est une mission qui exige de l'autorité, non de l'autoritarisme; du doigté, non de la brutalité; un respect constant de l'opposition et non une intermittente indulgence.
Les règles sont faites pour être appliquées et si elles appellent parfois à interprétation, celle-ci ne peut contrevenir ni à leur lettre, ni à leur esprit. Elles n'ont pas été conçues pour le confort d'une majorité mais pour permettre à des députés appartenant à des groupes différents de travailler ensemble, or ce sont bien ces règles, n'en déplaise à Bernard Accoyer qui ont été bafouées lors du débats sur les retraites., Preuve en est que, pour tenter de se blanchir de tout reproche, Bernard Accoyer a été obligé de jouer avec les mots.
Ce mercredi 15 septembre au matin, Bernard Accoyer a décidé non de « suspendre » la séance comme il l'indique dans sa tribune, mais bien de la « lever », arguant, « avoir entendu vingt-trois orateurs exposer des positions qui ne se démarquaient pas de de celle de leur groupe ». Croyant bon d'ajouter « comme cela aurait dû pourtant être le cas dans le cadre de cet article à la lumière des travaux préparatoires ».
L'argument peut en imposer ! Sauf qu'à « la lumière des travaux préparatoires » justement, le point de vue du Président de l'Assemblée nationale se révèle non pertinent. En effet, le rapport du Président UMP de la Commission des Lois Jean-Luc Warsmann est limpide : « Le treizième et dernier alinéa de l’article 49 permet à chaque député de prendre la parole, à l’issue du vote du dernier article du texte en discussion, pour une explication de vote personnelle de cinq minutes, laquelle ne sera pas décomptée du temps global de discussion du texte. Ainsi, même dans l’hypothèse où un groupe aurait fait usage de tout le temps de parole qui lui a été imparti par la Conférence des Présidents, les députés membres de ce groupe conserveraient un droit individuel à s’exprimer sur ce texte, par le biais de cette explication de vote personnelle de cinq minutes ». La référence à une quelconque nécessité d'exprimer des positions qui se « démarqueraient » de celle de leur groupe, n'y figure nullement et semble n'être apparue que pour les besoins de la cause. Qui s'avère particulièrement mauvaise si l'on veut bien ensuite considérer l'avis rendu par rendu par le Conseil constitutionnel le 27 mai 2009.
Le Conseil juge en effet constitutionnel l'article du règlement qui permet de fixer la durée limite d'examen d'un projet de loi en prenant argument du fait justement que cet article « autorise, dans le même cas, chaque député à prendre la parole pour une explication de vote personnelle à l'issue du vote du dernier article ». À défaut d'une telle disposition, la clôture automatique prévue « pourrait avoir pour effet d'interdire aux membres d'un groupe d'opposition d'intervenir dans la discussion d'un article » ; et méconnaîtrait, par suite, les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
Peut-on être plus clair ? Comme l'a bien rappelé notre collègue Daniel Garrigue (ex-UMP), si la Constitution reconnaît le rôle des partis politiques qui concourent à l’expression des suffrages, son article 3 réaffirme très clairement que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». En considérant que les positions personnelles ne pourraient être que dissidentes, le Président de l'Assemblée nationale a préjugé du point de vue qu'auraient exprimé les 152 parlementaires inscrits, parmi lesquels, faut-il le rappeler, 116 n'avaient pas pu jusqu'alors s'exprimer sur le projet de loi. D'autant que l'on peut voter de la même façon mais pas pour les mêmes raisons. Lors du vote sur le travail du dimanche, de nombreux députés de droite, fervents catholiques, ont ainsi voté avec les députés de l'opposition - pour des motifs qu'on imagine différents -contre le projet. À en croire Bernard Accoyer, il aurait mieux fallu les bâillonner.
L'attitude du président de l'assemblée est d'autant plus choquante que, si le débat avait pu se poursuivre comme le permettait le règlement, le vote n'aurait été décalé tout au plus que de quelques heures. Ce qui, on l'admettra ne mettait en péril ni l'avenir du projet de loi, ni nos Institutions. Au total, le bilan est calamiteux : un Président qui s'assied sur le Règlement, qu'il a pour mission de faire respecter; un débat de grande importance stoppé net ; une opposition exaspérée qui s'affranchit à son tour d'une certaine décence. Si l'on ajoute à cette dérive les multiples dérapages auxquels la pratique du pouvoir a donné lieu ces dernières semaines, cela fait beaucoup. Aussi serait-il urgent de revoir notre Règlement. Les bonnes intentions exprimées lors de la réforme de la Constitution sont restées lettre morte. Sauf à considérer l'Assemblée comme le champ clos d'un affrontement entre les ambitions du chef de l'État et celles du chef du groupe UMP dont l'opposition serait exclue, il est urgent d'en revenir à une conception plus équilibrée de la démocratie. Il faut, pour cela, « réformer la réforme ». Les idées ne manquent pas et un groupe ouvert à toutes les sensibilités de l'Assemblée, va, à mon initiative, s'y atteler dès cette rentrée.
L'exercice auquel le Président Accoyer s'est essayé dans les colonnes du Monde pour tenter de se justifier se révèle particulièrement laborieux dans la forme et contestable sur le fond. Nul doute qu'il soit difficile dans un contexte politique aussi tendu que celui créé par Nicolas Sarkozy de faire montre - à défaut de faire preuve - d'impartialité. Mais il est du devoir du président de préserver l'Institution quel que soit le contexte.
En effet, à la différence des autres députés, le Président de l'Assemblée nationale est comptable au regard de notre Constitution de la façon dont il garantit les Droits du Parlement et, au sein de celui-ci, de l'opposition. C'est une mission qui exige de l'autorité, non de l'autoritarisme; du doigté, non de la brutalité; un respect constant de l'opposition et non une intermittente indulgence.
Les règles sont faites pour être appliquées et si elles appellent parfois à interprétation, celle-ci ne peut contrevenir ni à leur lettre, ni à leur esprit. Elles n'ont pas été conçues pour le confort d'une majorité mais pour permettre à des députés appartenant à des groupes différents de travailler ensemble, or ce sont bien ces règles, n'en déplaise à Bernard Accoyer qui ont été bafouées lors du débats sur les retraites., Preuve en est que, pour tenter de se blanchir de tout reproche, Bernard Accoyer a été obligé de jouer avec les mots.
Ce mercredi 15 septembre au matin, Bernard Accoyer a décidé non de « suspendre » la séance comme il l'indique dans sa tribune, mais bien de la « lever », arguant, « avoir entendu vingt-trois orateurs exposer des positions qui ne se démarquaient pas de de celle de leur groupe ». Croyant bon d'ajouter « comme cela aurait dû pourtant être le cas dans le cadre de cet article à la lumière des travaux préparatoires ».
L'argument peut en imposer ! Sauf qu'à « la lumière des travaux préparatoires » justement, le point de vue du Président de l'Assemblée nationale se révèle non pertinent. En effet, le rapport du Président UMP de la Commission des Lois Jean-Luc Warsmann est limpide : « Le treizième et dernier alinéa de l’article 49 permet à chaque député de prendre la parole, à l’issue du vote du dernier article du texte en discussion, pour une explication de vote personnelle de cinq minutes, laquelle ne sera pas décomptée du temps global de discussion du texte. Ainsi, même dans l’hypothèse où un groupe aurait fait usage de tout le temps de parole qui lui a été imparti par la Conférence des Présidents, les députés membres de ce groupe conserveraient un droit individuel à s’exprimer sur ce texte, par le biais de cette explication de vote personnelle de cinq minutes ». La référence à une quelconque nécessité d'exprimer des positions qui se « démarqueraient » de celle de leur groupe, n'y figure nullement et semble n'être apparue que pour les besoins de la cause. Qui s'avère particulièrement mauvaise si l'on veut bien ensuite considérer l'avis rendu par rendu par le Conseil constitutionnel le 27 mai 2009.
Le Conseil juge en effet constitutionnel l'article du règlement qui permet de fixer la durée limite d'examen d'un projet de loi en prenant argument du fait justement que cet article « autorise, dans le même cas, chaque député à prendre la parole pour une explication de vote personnelle à l'issue du vote du dernier article ». À défaut d'une telle disposition, la clôture automatique prévue « pourrait avoir pour effet d'interdire aux membres d'un groupe d'opposition d'intervenir dans la discussion d'un article » ; et méconnaîtrait, par suite, les exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire.
Peut-on être plus clair ? Comme l'a bien rappelé notre collègue Daniel Garrigue (ex-UMP), si la Constitution reconnaît le rôle des partis politiques qui concourent à l’expression des suffrages, son article 3 réaffirme très clairement que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». En considérant que les positions personnelles ne pourraient être que dissidentes, le Président de l'Assemblée nationale a préjugé du point de vue qu'auraient exprimé les 152 parlementaires inscrits, parmi lesquels, faut-il le rappeler, 116 n'avaient pas pu jusqu'alors s'exprimer sur le projet de loi. D'autant que l'on peut voter de la même façon mais pas pour les mêmes raisons. Lors du vote sur le travail du dimanche, de nombreux députés de droite, fervents catholiques, ont ainsi voté avec les députés de l'opposition - pour des motifs qu'on imagine différents -contre le projet. À en croire Bernard Accoyer, il aurait mieux fallu les bâillonner.
L'attitude du président de l'assemblée est d'autant plus choquante que, si le débat avait pu se poursuivre comme le permettait le règlement, le vote n'aurait été décalé tout au plus que de quelques heures. Ce qui, on l'admettra ne mettait en péril ni l'avenir du projet de loi, ni nos Institutions. Au total, le bilan est calamiteux : un Président qui s'assied sur le Règlement, qu'il a pour mission de faire respecter; un débat de grande importance stoppé net ; une opposition exaspérée qui s'affranchit à son tour d'une certaine décence. Si l'on ajoute à cette dérive les multiples dérapages auxquels la pratique du pouvoir a donné lieu ces dernières semaines, cela fait beaucoup. Aussi serait-il urgent de revoir notre Règlement. Les bonnes intentions exprimées lors de la réforme de la Constitution sont restées lettre morte. Sauf à considérer l'Assemblée comme le champ clos d'un affrontement entre les ambitions du chef de l'État et celles du chef du groupe UMP dont l'opposition serait exclue, il est urgent d'en revenir à une conception plus équilibrée de la démocratie. Il faut, pour cela, « réformer la réforme ». Les idées ne manquent pas et un groupe ouvert à toutes les sensibilités de l'Assemblée, va, à mon initiative, s'y atteler dès cette rentrée.
Gaëtan Gorce
Vice-Président du groupe socialiste
Dernier orateur inscrit le 15 septembre
Gaetan, toujours aussi clair. A chaque fois que je te lis, j'apprends quelquechose. Merci.
Rédigé par : JeanMichelquitaaccueillialafrat | 28 septembre 2010 à 15:14