Avons-nous pris toute la mesure des conséquences de la crise dans laquelle est plongé le système financier international et par contrecoup la Zone Euro ? Les solutions qui sont aujourd’hui préconisées, ne sont pas, en effet, sans poser problème. A tel point que les partisans de toujours de la construction européenne et qui ont défendu la monnaie unique pourraient se trouver confrontés à une situation délicate, pour ne pas dire politiquement intenable.
En premier lieu, l’euro est susceptible d’apparaître aujourd’hui comme une forme de menace pour les plus modestes, dans la mesure où l’appui qu’apporte la Zone aux pays les plus en difficulté, la Grèce, l’Irlande, s’accompagne de plans d’austérité qui touchent d’abord les salariés et les petits revenus.
À cette première ambiguïté, s’en ajoute une deuxième : l’euro risque d’apparaître du même mouvement comme une menace pour la croissance, dans la mesure où les plans exigés des uns et des autres s’accompagnent d’une réduction drastique des déficits et, pour y parvenir, des salaires comme des dépenses sociales qui font du retour à l’équilibre une vraie quadrature du cercle. Comment peut-on espérer que la Grèce, invitée à diviser par quatre son déficit public, puisse en même temps éviter l’effondrement de son économie ? Et comment faire en sorte que les politiques de rigueur qui sont en route partout n’aillent pas à l’encontre de la reprise de l’activité économique ? Le faible taux de croissance annoncé pour l’ensemble de l’Union européenne, à l’exception de l’Allemagne, est une première réponse qui ne peut être satisfaisante.
Enfin, la troisième difficulté tient au fait qu'une certaine conception de l’euro pourrait constituer aussi un danger non pour nos démocraties, mais pour la souveraineté populaire puisqu’il est question désormais partout de fédéralisme budgétaire, dont la responsabilité serait confiée à la Commission. Comment ne pas voir dans ce dispositif une atteinte directe aux rôles des Parlements nationaux et ne pas anticiper une réaction négative des opinions publiques associant encadrement des politiques budgétaires par l'Union à la réduction du niveau de vie ?
Dès lors, il est indispensable de substituer aux réponses techniques qui s’ébauchent ici ou là, dont le prochain Conseil européen sera l’illustration, une vraie réponse politique propre à redonner confiance aux peuples européens. Pour cela, trois initiatives me paraissent nécessaires :
1. L’Union européenne doit revendiquer sur la scène internationale son plein rôle diplomatique et financier. Il n’est pas possible qu’elle continue à assister en spectateur passif à la partie de ping-pong que se livrent la Chine et les États-Unis, à son détriment. L’une augmente ses excédents, l’autre « explose » ses déficits tandis que l’euro par esprit de responsabilité reste à un niveau trop élevé pour affronter la compétition économique mondiale. La Banque Centrale soutenue par le Conseil européen devrait proposer à ses partenaires, à la fois Banque du Japon et Banque Fédérale, une politique coordonnée d’achat de titres publics qui serait une manière à la fois d'alléger notre dette et d’encourager une baisse concertée et maîtrisée de nos devises respectives. N'est-ce pas la seule façon de redonner de l’air à l’économie européenne sans précipiter l’ensemble de l’économie mondiale dans un nouveau séisme ?
2. Traiter la crise à ses racines : celles-ci sont plus profondes et ne tiennent pas simplement l’explosion de la bulle immobilière. La crise est due très largement à un excès de liquidités nourri par les excédents commerciaux que réalisent les États-Unis. Cette abondance de liquidités alimente des politiques spéculatives qui jouent sur les différences économiques qui peuvent exister entre les pays membres de l'Union. Il s’agit donc bien de développer une politique qui vise à corriger les écarts de compétitivité qui affaiblissent la zone euro en mobilisant des fonds européens renforcés très significativement pour pouvoir jouer un rôle contra-cyclique. Parallèlement, les efforts engagés par les syndicats dans différents secteurs professionnels devraient être encouragés afin de favoriser une évolution coordonnée des salaires qui retirent à ceux qui pratiquent des politiques de déflation salariale les avantages indus qu’ils se sont attribués.
3. Aller vers le fédéralisme budgétaire mais avec une extrême précaution. Compte tenu des contrecoups politiques qu’il est susceptible d'entraîner, il serait sans doute préférable de l’expérimenter d’abord à l’échelle des deux pays phares de la zone euro que sont la France et l’Allemagne et proposer à nos partenaires d’Outre-Rhin une démarche en ce sens.
Ces trois initiatives pourraient servir de socle à un discours politique adapté à la préparation de la prochaine élection présidentielle. Nos concitoyens s’interrogent aujourd’hui sur la capacité de l'État à faire face à la crise. Ce sentiment d’instabilité, de perte de maîtrise, nourrit une défiance, un pessimisme, voire symétriquement une démagogie qu’il est absolument indispensable de contrebattre. Pour y parvenir, il faut qu’un message volontariste succède à l’excès de technicité qui a pris la place de l’excès de résignation auquel s’identifiait le néo-libéralisme triomphant. Ce doit être le rôle de la gauche européenne de porter un tel message. Les derniers contacts engagés entre le Parti socialiste français et le SPD allemand vont dans la bonne direction et les textes publiés d'un commun accord sont satisfaisants. Il est regrettable en revanche qu’ils n'aient pas été présentés de manière plus solennelle, comme le début d'une nouvelle démarche visant à opposer à la politique actuellement menée par les gouvernements, une autre vision de la reconstruction et du développement de la zone euro.