Monsieur le Président de la République,
J'ai reçu ce jeudi matin à l'Assemblée nationale la lettre que vous nous avez fait l'honneur de nous adresser.
Vous vous félicitez à cette occasion des résultats du dernier sommet européen et évoquez l'indispensable émergence d'un gouvernement européen. Aussi suggérez-vous dans cette perspective que la France se montre financièrement exemplaire en se dotant d'un cadre constitutionnel qui fasse obstacle à de nouveaux déficits.
Je tenais d'abord à vous faire savoir que je comprends et partage pleinement votre inquiétude sur la dérive des comptes publics, qui se sont profondément dégradés ces dernières années, et ce, avant même le début de la crise, puisque l'endettement de la France est passé de 900 milliards en 2002 à près de 1800 milliards cette année.
Il me semble comme à vous que cette situation est insoutenable. Il faut donc trouver des solutions qui permettent d'y répondre. Je n'insisterai pas sur le paradoxe qui consiste pour un gouvernement et une majorité qui ont contribué à creuser le déficit de manière abyssale à vouloir imposer une règle d'or. Il me semble surtout que la question de l'équilibre budgétaire est d'abord une question de volonté politique et non pas d'ordre juridique.
Aussi serait-ce de mon point de vue une erreur de vouloir s'imposer des règles définitives qui ne seraient pas soutenues par une volonté politique ferme. Nous avons vu avec la crise de l'Euro combien les pays de l'Union européenne n'ont pas hésité à transgresser certaines règles de base, y compris la Banque centrale européenne, en rachetant des titres, pour faire face à l'urgence.
La politique budgétaire étant ainsi un outil conjoncturel, ce serait également une faute économique majeure de se lier les mains pour l'avenir. Si aujourd'hui il nous faut mener une politique vigoureuse de rétablissement des comptes, il n'est pas impossible qu'il nous soit demain nécessaire de faire à nouveau appel à l'outil budgétaire pour soutenir l'activité et la croissance.
Aussi ne sert-il de rien d'afficher des principes symboliques, ne valant qui plus est que pour l'avenir, alors que les problèmes que nous avons à traiter se déclinent au présent et que demain pourrait exiger d'autres méthodes et d'autres politiques.
Vous comprendrez dans ces conditions, en toute liberté de jugement, et tout en revendiquant une rigoureuse reprise en main de nos comptes publics, qu'il ne me soit pas possible d'envisager de voter pour une proposition qui n'apporterait aucune réponse concrète aux besoins du moment et pourrait se révéler totalement inadaptée aux nécessités de demain.
Je vous prie d'agréer, Monsieur le Président de la République, l'expression de mes sentiments les plus respectueux.
Gaëtan Gorce