La Birmanie est revenue au cœur de l’actualité internationale. Quiconque aime ce pays ne peut naturellement que s’en réjouir.
En bordure d’une Thaïlande, en plein développement (bien que traversée de fortes tensions), la Birmanie reste au contraire frappée par la misère. Celle-ci n’est compensée que par une formidable solidarité pour laquelle les Moines bouddhistes, aussi bien en matière sociale qu’en matière d’éducation, jouent un rôle considérable. Mais on ne peut avoir que le cœur serré en observant les conditions de vie de la paysannerie, de la petite industrie artisanale et l’absence totale d’intervention publique.
Il ne peut être question là-bas d’Etat providence puisqu’il n’existe pas d’Etat du tout, l’armée ayant jusqu’alors assumé l’ensemble des missions et absorbé l’ensemble des moyens. La situation semblait jusqu’à ces dernières semaines sans issue. L’héritage laissé par le dernier Chef de la junte se résumait tout entier dans la construction d’une capitale mégalomaniaque placée au cœur du pays, répondant à je ne sais quelle obsession sécuritaire.
Pourtant, les choses se sont mises à bouger. Le processus amorcé voici plusieurs années d’un plan par étape vers une « démocratie disciplinée » est en passe d’accoucher de véritables changements. Il aura fallu pour cela sans doute la pression constante de la communauté internationale, même si celle-ci s’est exprimée souvent dans le plus grand désordre. Il aura fallu, pour cela, le début d’ouverture d’une classe dirigeante qui a sans doute compris que rien ne serait possible sans une évolution tangible. Il aura fallu pour cela tout particulièrement la détermination et la ténacité d’Aung San Suu Kyi. Celle-ci reste aujourd’hui au centre de toute solution politique. Elle a fait preuve ces dernières semaines d’un courage éblouissant qui ne fait que confirmer celui dont elle avait témoigné au cours de ces dernières décennies. Recluse, interdite de visite, menacée souvent dans sa vie même, elle n’a jamais cédé tout en faisant preuve de la même sérénité. Aujourd’hui qu’une main lui est tendue, elle a choisi de la saisir pour faire progresser la cause de la paix et de la démocratie. Y parviendra-t-elle ? Elle a face à elle un pouvoir qui ne peut être au fond véritablement menacé que par une mobilisation populaire, et qui attend sans doute d’Aung San Suu Kyi qu’elle sache canaliser cette poussée pour éviter qu’elle ne s’exprime de manière trop brutale. Elle ne pourra y parvenir que si des avancées concrètes s’opèrent au fil du temps.
Cela a été le cas sur le terrain politique et judiciaire, à travers la libération de très nombreux prisonniers politiques et l’organisation d’élections plus libres. Mais celles-ci ne seront que partielles. Puisqu’elles ne permettront que de renouveler quelques sièges dans une assemblée largement dominée par les militaires ou leurs partisans. Sera-t-il possible d’aller plus loin ?
La présence ce week-end, en Birmanie, du Ministre des Affaires Etrangères Français, Alain Juppé, va dans la bonne direction. Elle traduit à la fois l’attention que des pays européens comme les Etats-Unis, après la visite d’Hilary Clinton, prêtent au mouvement en cours et en même temps la vigilance dont les uns et les autres continent de faire preuve en ne relâchant en rien leur soutien au prix Nobel de la Paix.
Mais le plus important tient sans doute dans la stratégie développée par le pouvoir en direction des minorités ethniques et qui vient de se traduire spécialement par le cessez le feu conclu avec les Karens. Dans le rapport que j’ai rendu avec mon collègue Blum au printemps, je soulignais le caractère crucial de cette question qui a si longuement servi de prétexte à l’armée pour se porter ou se maintenir au pouvoir. En choisissant d’entamer un règlement des conflits qui déstabilisent le pays sur ses différentes frontières, le régime se prive par conséquent d’un argument pour perdurer dans son être. On peut supposer qu’il ne s’agit pas là d’un accident mais d’une méthode planifiée.
Je forme le vœu, en ce début d’année, qu’Aung San Suu Kyi puisse réussir dans son pari et qu’elle sache mobiliser autour d’elle toutes ces forces vives extraordinaires que j’ai pu rencontrer lors de mon voyage sur les rives de l’Irrawaddy, nées de la révolte de 88 et qui ont continué depuis lors à s’exprimer dans le champ de la société civile…
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