Les commémorations ont ceci de rassurant qu'elles redonnent vie, tous les dix ans en l'occurrence, à des événements fondateurs qui doués de cette nouvelle jeunesse, semblent se suffire à eux-mêmes. Ainsi de l'amitié franco-allemande que le souvenir du traité de 1963 suffirait à régénérer.
C'est d'abord oublier qu'au delà du symbole - celui, si fort, de la réconciliation - le traité de l'Elysée a aussi ouvert sur une phase d'ambiguïtés et de controverses que sa ratification difficile par le Bundestag devait illustrer. L'Allemagne d'alors était loin de partager la volonté gaullienne d'équilibrer l'influence des États-Unis sur l'Europe par une politique d'Indépendance dont l'Union européenne serait le prolongement. C'est au fur et à mesure du ralliement de la France à l'idée d'une véritable intégration que le rapprochement s'est consolidé et a pu devenir l'axe du développement européen symbolisé par une succession de couples politiques : Giscard-Schmidt et Kohl-Mitterrand tout particulièrement.
Ce serait négliger ensuite un fait nouveau, bien que l'élément déclencheur date de plus de vingt ans : la réaffirmation politique, via la réunification, de la nation allemande et l'inévitable rééquilibrage des rapports entre nos deux pays qui en est résulté, accentué par le relatif décrochage des deux économies. Et bien que ce "découplage" fut la hantise, pourtant, des fondateurs du Système Monétaire européen puis de l'Euro, la coopération économique et financière ne fut jamais, de part et d'autre du Rhin, à la hauteur de cette obsession.
Malgré ces bouleversements, l'amitié franco-allemande reste intacte ! Mais plus comme une survivance que comme un projet. Nos deux pays savent que leurs destins sont liés, économiquement, socialement et stratégiquement. Tous deux, peut-être les seuls désormais en Europe, conservent, en dépit parfois de leurs dirigeants, la volonté de peser dans les affaires du monde. Leur taille, leur histoire, leurs valeurs, leurs savoir-faire, les poussent à ne pas se résigner. Même si leurs élites se montrent parfois fatiguées et leurs leaders en panne d'inspiration.
Réduite aux acquêts, la coopération franco-allemande ne peut que péricliter. Plus encore si chacune des deux nations devait se résigner à gérer ses problèmes intérieurs et tenter seulement de préserver son niveau de vie, sa paix sociale ou sa culture.
Le monde bouge dans ses profondeurs. La seule question qui vaille est donc bien de savoir si les nouveaux équilibres s'établiront avec ou sans l'Europe. Ce ne pourra être avec elle que si ses deux moteurs redonnent à l'Union une dynamique qui passe par un rapprochement approfondi entre nos deux grandes nations. Quoi que l'on ait pu en penser voici 20 ans, l'Union à 27 est un espace où la volonté se dilue. Les égoïsmes pèsent désormais trop lourd. Et s'il ne faut rien regretter, tant les enjeux de solidarité ont d'importance, il faut libérer ceux qui veulent aller plus loin des contingences et recréer un noyau rayonnant qu'une Confédération franco-allemande pourrait constituer. Mettre en commun nos moyens diplomatiques et militaires, créer les modalités d'une intégration budgétaire dans des domaines-clefs (la fiscalité des entreprises mais aussi les grands équilibres), fixer des priorités industrielles et de recherche, inventer un gouvernement mixte pour en piloter la mise en œuvre et un Parlement franco-allemand pour en assurer le contrôle : n'est-ce pas à cette échelle qu'il faut voir désormais l'amitié entre nos deux peuples ? Deux États pour un même projet stratégique en quelque sorte !
N'est-ce pas lorsque les difficultés des temps paraissent peu propices à l'utopie que celle-ci devient nécessaire ?
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