A en croire ma collègue Marie-Noëlle Lienemann, la décision prise par le gouvernement de réduire les cotisations sociales assises sur les salaires pour la part payée par les entreprises aurait un caractère "idéologique". Où va se nicher le débat politique ? De mon point de vue, il s'agit d'une question exclusivement pratique qui n'implique donc aucun jugement de valeur.
D'abord parce que les cotisations sociales ont, c'est bien connu, un caractère régressif et que la justice fiscale ne pourra que gagner de voir le financement des dépenses de la branche famille transférées sur l'impôt.
Mais plus encore parce que le coût du travail, qu'on le veuille ou non, a augmenté plus vite en France ces dix dernières années que chez nos principaux concurrents, à commencer par l'Allemagne. Cela doit-il nous conduire à amorcer le mouvement inverse, comme nous y invitent nos partenaires d'Outre-Rhin ? Admettons-le, à ce stade le mieux est l'ennemi du bien. Si tous les pays de la zone euro devaient suivre pareille recommandation, il en résulterait nécessairement une spirale sécessionniste qui nous éloignerait un peu plus d'un retour de la croissance. La logique serait donc tout au contraire d'engager à l'échelle de la zone un plan de relance visant à réduire les excédents de l'Allemagne pour aider au rétablissement des comptes des pays déficitaires. Là se trouve la raison. Le problème est que celle-ci n'obtient aujourd'hui parmi les gouvernements européens que peu de soutiens et que les efforts tentés par le Président de la République pour faire bouger les curseurs ont, jusqu'à présent, échoué. Le citoyen sera fondé à le déplorer. Mais le gouvernement, en charge des affaires du pays, ne peut quant à lui se contenter de s'en plaindre jusqu'au moment où son point de vue finirait par être entendu ! Il lui faut au contraire gérer l'économie courante, ce qui ne lui laisse d'autre issue que de jouer sa partition dans la compétition européenne et, faute de pouvoir dévaluer pour compenser des coûts plus élevés, d'accorder à nos entreprises le maximum de compensations : d'où la CICE ! D'où la prochaine réduction des cotisations famille pour compenser l'augmentation des cotisations vieillesse.
Que l'on veuille ou non, tout cela n'a rien d'idéologique : c'est simplement l'effet d'un rapport de forces que syndicats et partis européens sont aujourd'hui incapables de modifier. Que l'on ne fasse donc pas porter à notre seul gouvernement le poids de l'opprobre que mérite l'impéritie de la gauche européenne !
Un tel constat appelle-t-il pour autant d'aller plus loin en en appelant, comme on vient de l'entendre, à une pause fiscale ? Disons les choses clairement !
S'il s'agit d'annoncer un moratoire destiné à écarter pour l'avenir une nouvelle hausse du volume global des prélèvements, on ne peut qu'y acquiescer. Même si la France n'est pas en la matière leader mondial, elle est en effet tout près des premières places et l'on peut dès lors comprendre que la stagnation des revenus liée à la crise justifie de répondre à une demande de modération pour préserver le bien modeste pouvoir d'achat des ménages.
Mais s'il s'agit de renoncer à toute réforme de la fiscalité, on ne peut alors que s'inquiéter !
Notre système de prélèvements est en effet particulièrement injuste : non seulement l'impôt progressif sur le revenu pèse moins sur celui-ci que les impôts proportionnels (Csg, cotisations sociales, TVA) ! Non seulement le capital est globalement moins taxé que le travail ! Mais le taux de prélèvement supporté par les 500.000 ménages les plus riches, en particulier par le jeu des niches, est inférieur à celui acquitté par les plus modestes. Les travaux de Thomas Piketty nous ont là dessus tout appris. L'enjeu politique pour la gauche est donc moins de contester les avantages consentis ou promis aux entreprises qui doivent faire face à la concurrence mondiale que d'obtenir que la charge de prélèvements soit plus équitablement repartie qu'aujourd'hui.
C'est cette réforme qu'appelle l'annonce d'une fiscalisation partielle des ressources de la branche famille. A défaut, l'on aurait raison de contester les allégements accordés, non pour des raisons de principe ou " idéologiques ", mais parce que cela reviendrait à faire payer l'essentiel du transfert par les petits revenus. Il y aurait là, pour le coup, de quoi s'indigner !
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