Cette fois, je le quitte !
Non sans regret, comme toujours à pareille époque : c'est qu'entre mon jardin et moi s'est nouée une relation passionnelle faite de longues séparations, entamées dès l'automne, et de brusques réconciliations, fêtées chaque fois que je peux répondre au rendez-vous que le soleil me fixe. Avant que notre amitié ne se scelle à nouveau au cœur de chaque été.
Mais passé le 31 août, le cœur n'y est plus vraiment : désormais chaque heure en sa compagnie sera volée… au travail, au Sénat, à la mairie.
Aussi garderai-je dès demain et pour des mois la nostalgie de ces quelques jours de vacances passés ensemble...
Mon jardin est en effet cet ami chez lequel chaque année je prends mes "congés". Amitié d'abord en herbe que j'eus ensuite plaisir à "cultiver" et qui, comme tout sentiment véritable, se passe maintenant de mots.
Un respect mutuel commande nos rapports. Il me prend comme je suis ; je le prends tel qu'il est. Je m'installe chez lui sans rien changer à ses habitudes : ni ne plante, ni ne coupe, ni ne tonds... Le silence y prend racine, tout y pousse... à la rêverie.
C'est que le jardin est un espace clos : l'on ne peut donc en sortir que par le haut ! Butant sur les haies et les murs, le regard n'a d'autre issue que le ciel des beaux-jours. Et si l'on peut s'y enfermer longtemps, c'est parce que l'on s'en évade toujours...
Le matin, bleu, je le partage avec les oiseaux puis avec les insectes dont la rumeur vrombissante monte avec le soleil. Sous la garde de ses rayons encore doux, je travaille, écris, signe, rature, relis jusqu'à ce que son zénith... et le déjeuner me poussent à l'ombre où je passerais le reste de la journée. Et c'est l'extase du début d'après-midi, tout entier consacré aux livres ! Le jardin fait au café bon accueil à mes invités : cette fois, Barrès m'a intrigué, Rostand séduit, Bernanos enthousiasmé. Au point de convier tour à tour ses biographes (Botherel) et ses critiques (Guillemin, Picon) à partager un petit coin de gazon. Un homme qui peut refuser par trois fois la Légion d'Honneur, et même une quatrième fois au Général de Gaulle à la Libération, qui rejeta l'idée même d'une candidature à l'Académie au motif "qu'habillé en singe vert" son propos perdrait en crédibilité, ne mérite-t-il pas son fauteuil mieux que sous la Coupole : sous ma treille ?
Comme Hugo, enfin, j'ai fait tourner les tables pour entrer en contact, via ses Souvenirs de prison, avec Jean Zay, âme noble dont l'écriture, au cœur du malheur, ne laisse rien entrevoir de la détresse et si peu de la menace des assassins qui viendront pourtant lâchement l'achever.
Et puis Camus eut la gentillesse de faire un court déplacement pour m'inviter à ses Noces, lumineuses, celles de l'homme et de la nature. Camus, cette volonté de toujours associer de la vie les contraires, ce fatalisme sans résignation, ce volontarisme sans espoir....
Bref, je fus, avec mon jardin, en si bonne compagnie, que, famille aidant, cela ressemblait presque au bonheur, un bonheur souligné par le soupir du vent dans les branches des petits arbres fruitiers (et non de sassafras, quelque respect que m'inspire Obaldia), parfois troublé sur la fin par des chutes de prunes plus redoutables encore que les pluies d'orages qui eurent l'élégance de se faire rares.
Le soir, place fut faite aux amis et à ces interminables conversations qu'interrompait la fraîcheur de la nuit tombante et dont l'écho se répercutait au loin.
C'est pourtant cet ami fidèle, chaleureux et bienveillant que je vais laisser ce soir. Il n'est certes de bonne compagnie qui ne se quitte, mais j'aurais aimé emporter avec moi plus qu'un petit bouquet de souvenirs. Chassé de mon jardin d'Eden, je ne garantis plus ma conduite même si celui du Luxembourg, au retour, tempérera ma peine. C'est l'habileté du Sénat que de nous laisser espérer, depuis ses fenêtres, un petit tour au Pays de Nerval (et d'Anatole France, de Gide et de tant d'autres) que notre conscience des travaux législatifs à venir... et l'ordre du jour ne nous permettent cependant jamais d'accomplir...
(Texte rédigé le 31/8... dans le jardin)
"Le personnage que nous sommes, c'est un jardin, et notre volonté le cultive." HAMLET
Il n'est pas mauvais de cultiver son jardin avec des livres. Je te conseille la bio de Glenn Gould par Michel Schneider et "Corps et âmes"de Frank Conroy, les deux en Folio. Et pour découvrir un NIETZSCHE marchand vers la lumiére, "La danse de Nietzsche" de Béatrice Commengé. Mon pommier japonais a aussi beaucoup aimé "Un été avec Montaigne" d'antoine Compagnon. ET pour le plaisir d'un roman fou, le désormais best seller "Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire" de Jonas Jonasson. Vive les mots !
Marc Lecarpentier
Rédigé par : Marc Lecarpentier | 06 septembre 2013 à 14:52