Nous sommes sur le point de commettre une erreur historique : celle qui consiste à penser qu'il suffira que la croissance revienne pour qu'avec elle soit restauré le pacte de confiance qui lie en principe la nation à ses dirigeants.
C'est se tromper lourdement sur la nature du mal qui affecte le pays ! Celui-ci est certes las du chômage. Mais ce qu'il ne supporte plus c'est de ne plus savoir ce qu'il est ni où il va.
C'est ne pas voir pourquoi le feu qui couvait depuis longtemps sous la cendre s'est désormais à ce point attisé, que de penser, comme la légèreté de l'opposition - et parfois de la majorité - le laisse deviner, qu'il suffirait de patienter avant d'en revenir à des jours meilleurs !
L'ampleur de la crise financière a fourni les premiers tisons : chacun, à cette occasion, a bien compris que notre force économique était désormais vacillante et que les retards accumulés au cours de la décennie précédente risquaient de se payer comptant. La crise a mis nos faiblesses à nu : telle est la réalité vécue par nos compatriotes qui s'interrogent désespérément sur les moyens de les réduire.
Paradoxalement, l'élection de François Hollande a, à son tour, nourri la flamme. La déception qui l'a rapidement accompagnée a conduit nombre de nos compatriotes à ne plus placer leur espoir dans le mécanisme classique, et éprouvé depuis 1981, des alternances électorales,....du moins entre la droite et la gauche de gouvernement.
De ce point de vue, et comme vient de le rappeler Jean Viard, la poussée de l'extrême-droite n'est pas étroitement corrélée à la situation économique. Ce qui nourrit le désarroi de nos compatriotes, et accessoirement peut contribuer à la montée des thèses frontistes, c'est l'incertitude qui s'est installée quant à la possibilité et le contenu d'un destin commun.
Les Français, plutôt confiants pour eux-mêmes, doutent de la France. La droite ne leur a-t-elle pas dit qu'elle constituait une exception qui devait disparaitre tandis que la gauche se gardait bien de se prononcer sur le sujet ? Rien, en effet, de ce qui détermine l'avenir du pays n'est aujourd'hui clairement expliqué, encore moins assumé.
Ainsi de l'Europe dont les perspectives sont d'autant plus qu'incertaines que le gouvernement, comme l'opposition, ne font rien pour les clarifier. Il faut dire si notre avenir se situe dans le cadre de la zone Euro et si oui à travers quelles réformes de sa gouvernance. Il faut dire si cette évolution appellera de nouveaux transferts de souveraineté et s'ils seront soumis, ce qui est incontournable, à l'appréciation des Français. Il faut dire enfin ce que serait une stratégie de rechange et écarter une fois pour toutes l'argument catastrophiste de "la seule politique possible" qui désespère nos concitoyens et affaiblit notre démocratie ! Il faut dire, au fond, à quelles conditions notre pays peut reprendre son destin en mains alors que l'on a aujourd'hui le sentiment que tout est fait pour lui masquer les choix qui devront pourtant être faits. Comme si le fragile retour de la croissance pouvait constituer la réponse à ses multiples et profondes interrogations....
Ainsi, aussi, de la crise climatique, grande oubliée, de nos débats publics, y compris par les Verts dont l'agitation brouillonne, éloigne et des problèmes et de leurs solutions. A aucun moment, dans le discours gouvernemental comme dans celui des partis de la majorité, n'est dessiné le type de société vers lequel les réformes écologiques proposées sont censées nous conduire. Le fragile retour de la croissance espéré ne peut pourtant se concevoir indépendamment de cette ambition qui devrait animer la gauche : changer de modèle !
Ainsi, enfin, de la laïcité qu'entoure un débat si confus que c'est désormais l'extrême-droite qui s'en pose en meilleur défenseur. Il ne sert à rien pourtant de nier le problème que pose la montée d'une religion anciennement enracinée dans notre pays mais qui jusqu'alors restait prudemment discrète et minoritaire. Le droit de chacun d'avoir ou non une opinion religieuse ne met pas en cause le principe de la neutralité de l'Etat pour autant que celui-ci veuille bien re-préciser ce qu'est son rôle : protéger les opinions de tous en se protégeant de toutes les opinions ! Aussi lui revient-il de rappeler ce qui est possible et ce qui ne l'est pas dans l'espace public de façon que chacun puisse trouver sa place de manière claire et entendue.
Là, dans ces refus de choisir ou de clarifier, se trouvent les ferments du doute dont de plus en plus de nos concitoyens cherchent à se libérer par l'abstention au mieux, au pire par un vote extrême. Celui-ci doit être entendu comme un appel à redéfinir notre projet national et c'est en y travaillant, et seulement de cette façon, que l'on parviendra à le re-orienter.
C'est donc dans ce besoin de retrouver, dans un monde instable et perçu comme dangereux, une perspective et une volonté que se situe la nouveauté du problème que nous devons affronter. Penser qu'il suffirait de "faire le gros dos" le temps des années difficiles, pour ensuite, à la première brise, reprendre un rythme de croisière, relèverait d'une grave illusion dont le prix à payer serait élevé : à la hauteur de l'angoisse nationale que l'on aurait ignoré mais dont, au vu de la gravité de la crise, nous ne devrions plus nous étonner.
« C'est ne pas voir pourquoi le feu qui couvait depuis longtemps sous la cendre s'est désormais à ce point attisé, que de penser, comme la légèreté de l'opposition - et parfois de la majorité - le laisse deviner, qu'il suffirait de patienter avant d'en revenir à des jours meilleurs »
Entièrement d’accord. C’est bien l’impression que donnent tous les pays européens, qu’ils soient gouvernés par la droite et/ou par la gauche : « faire le gros dos » et espérer que tout puisse recommencer comme avant, le plus vite possible.
« Ainsi de l'Europe dont les perspectives sont d'autant plus qu'incertaines que le gouvernement, comme l'opposition, ne font rien pour les clarifier. Il faut dire si notre avenir se situe dans le cadre de la zone Euro et si oui à travers quelles réformes de sa gouvernance. »
Absolument. On peut toutefois douter que l’émergence d’une « personnalité forte » à la tête de la Commission européenne soit de nature à résoudre en quoi que ce soit les difficultés auxquelles nous devons faire face. En effet, l’action de la Commission européenne -et c’est heureux- doit respecter les traités. Or les traités européens reposent sur des principes -notamment la concurrence libre et non faussée, autre dénomination de la guerre de tous contre tous- incompatibles avec les valeurs traditionnelles du socialisme.
Par ailleurs, il ne va pas du tout de soi que le rachat de la dette publique par la BCE soit une solution. D’abord, les Allemands y sont opposés au nom de leur intérêt national. Ensuite, le rachat de la dette publique impliquerait une immixtion plus grande encore des instances européennes dans la politique budgétaire des pays membres de la zone euro. Or, il n’est pas du tout certain que les européens y soient prêts, comme le montrent bien les réactions du peuple grec.
Il semble donc bien qu’il convienne de préférer d’autres solutions, ainsi que le suggèrent de façon subliminale les derniers billets de Gaëtan Gorce (« La réussite n'est cependant pas assurée, ce qui supposera d'avoir en tête, en cas d'échec, un autre scénario.... » ; «Il faut dire enfin ce que serait une stratégie de rechange et écarter une fois pour toutes l'argument catastrophiste de "la seule politique possible" qui désespère nos concitoyens et affaiblit notre démocratie ! »). Ce sont ces solutions alternatives qu’il convient maintenant d’explorer. Le temps presse.
Rédigé par : chatel | 18 octobre 2013 à 10:48