Si l'on doutait de la radicalisation du débat public, Manuel Valls ou Robert Badinter auraient été là ce week-end pour nous en rappeler la pénible réalité ! Dans deux entretiens, aux deux journaux du dimanche, ils ont, chacun à leur façon, souligné la dérive qui s'est emparée d'une partie de l'opinion comme la nécessité d'un sursaut de la gauche pour y faire barrage.
J'aborderai ici la question autrement. Cette dérive : d'où vient-elle et qu'est-ce qui l'a favorisée ?
La réponse tient évidemment à l'évolution idéologique d'une partie des extrêmes qui, bien que nanties d'identités différentes, se crispent de la même façon pour les défendre : en maniant la haine de l'autre !
Mais elle ne se résume pas à cette dimension. Ces folies ne sont pas nouvelles. Ce qui l'est, c'est l'écho qu'elles trouvent aujourd'hui et dont l'explication tient en 2 mots : la désacralisation du pouvoir.
Sans doute était-elle, au regard des pompes de la 5ème République, nécessaire. A l'époque de VGE, on l'a oublié aujourd'hui, l'on prenait soin de ne pas placer de convive en face du Président ! Et c'est le gouvernement tout entier, Premier ministre en tête, qui allait à Orly accueillir le Général de Gaulle au retour d'un voyage à l'étranger. Quant au délit d'offense au chef de l'Etat, il fut à une époque l'objet d'une répression presque d'usage courant (le regretté Cavanna en sut quelque chose). Bref, que l'on ait renvoyé ces pratiques, et d'autres encore, au rayon des souvenirs, ne pouvait faire de mal. Mais après s'en être pris aux excès, on s'est attaqué aux symboles. La responsabilité principale en incombe certes à Nicolas Sarkozy qui choisit délibérément en s'adressant aux Français dans une langue de charretier de s'attirer des réponses de la même eau. Le mal eut été réparable si cette "vulgarisation" de la parole présidentielle ne s'était accompagnée de sa décrédibilisation à travers la multiplication des engagements non tenus, des promesses sans suite ou des mises en cause par le chef de l'Etat des autres Institutions à commencer par la Justice. Et si François Hollande s'est efforcé de ne pas alors en rajouter, l'actualité nous oblige à constater qu'il n'est pas tout à fait parvenu à rétablir l'autorité de la fonction !
Du coup, nul ne s'interdit plus de parler "comme" l'ancien Président de la République, avec les mêmes mots que ceux que l'on emploierait pour régler un litige avec son voisin de palier ou une dispute conjugale. La dureté de la crise y a même ajouté sa touche : pourquoi contenir sa colère, quand on a la conviction d'être joué... qui plus est par le locataire de l'appartement du dessus ?
La politique, pourtant, ne peut fonctionner sans bénéficier du respect "a minima" du citoyen, qui, comme chacun sait, se mérite. Si "ceux ou celles qui nous gouvernent" y renoncent d'eux-mêmes, ils libèrent du même coup la violence des discours qui s'adressent à eux ou de manière plus générale à toutes les Institutions qui, facteur aggravant, semblent désormais impuissantes à assumer efficacement leur mission.
Le phénomène, enfin, est sans doute aggravé par l'intérêt des médias pour le langage "hors norme" que les responsables politiques sont encouragés à employer s'ils veulent être repris, cités ou relayés. L'excès, le dérapage sont devenus le sésame des radios et des télévisions pour des élus qui vivent dans un système de plus en plus concurrentiel. On serait donc en droit d'attendre qu'à l'avenir la Presse, si prompte à s'émouvoir (hypocritement) de cette dérive, traite comme elle le devrait les incongruités verbales, c'est à dire par le mépris. Nul doute que cela contribuerait à ralentir leur cadence.
Mais ainsi encouragés, élus et dirigeants politiques devront aussi se convaincre que, dans l'exercice d'une fonction qui passe par la parole, utiliser celle-ci à tort et à travers, c'est trahir à sa mission. Parce qu'ils sont rudes et agités, et donc dangereux, les temps me semblent plutôt à la pédagogie qu'à la surenchère...sauf à jouer, comme le font par exemple ce pauvre M. Copé ou Laurent Wauquiez, la politique du pire.
Cette période, où chacun se croit tout permis, n'est cependant pas inédite dans notre histoire récente. La guerre froide s'accompagnait d'une rhétorique musclée et souvent insultante. Et les contempteurs du régime n'avaient dans l'entre-deux-guerres pas de mots assez insultants pour le pourfendre ou le vouer aux gémonies. On ne peut pas dire que ces deux époques suscitent cependant beaucoup de nostalgie....N'oublions pas, en tout cas, que la modération formelle du propos est le moyen par lequel la démocratie se protège de la subversion comme, paradoxalement, la violence maîtrisée du jeu sur un terrain de Rugby expulse celle-ci des travées des stades, à la différence du football. La République ne va pas sans considération pour les fonctions officielles comme pour les citoyens. Et l'anti-républicanisme, pour parler comme Manuel Valls, commence justement là où le respect dû à chacun s'effondre...
"La désacralisation du pouvoir": je ne savais pas qu'en démocratie le pouvoir était sacré. Il serait bon de ne pas perdre de vue que ce pouvoir ne vous appartient pas il vous est confié par les citoyens électeurs et dès lors que vous ne tenez pas vos promesses , vous cessez d'être légitime.
Ne renversons pas les rôles , c'est à nous électeurs d'être mécontents , pas l'inverse .
Vous êtes accueillis avec des roulements de tambours , vous faut il un licteur avec le faisceau de verges et la hache?
Ce n'est pas de l'anti-républicanisme, quant bien même nous serions en royauté ou nous aurions un empereur l'effet serait le même, le mépris dans lequel on nous tient ne peux engendrer de la vénération.
rené girard
Rédigé par : girard | 04 février 2014 à 10:05
Il me semble que vous parlez juste. merci !
Rédigé par : BELLE Mira | 03 février 2014 à 13:05