La beauté est dans l'humilité. Incontestables, l'une et l'autre. Inséparables compagnes aussi d'Ernest Pignon-Ernest. Infatigable peintre de murs souillés et rehaussés à la fois par la misère, l'agonie, la souffrance ou l'attente qui suintent tout à coup de ses œuvres comme imbibés d'une vérité impossible à contenir. Là, au creux d'un soupirail surgit un cadavre comme rejeté par les entrailles de la terre sur le rivage des rues ; ici, plaquée sur une façade de Soweto comme la souffrance qui l'élève, l'établit, cette mère qui porte un fils martyr ; plus loin, tournant le dos à la vie cet homme qui entraîne dans un noir d'enfer un corps abandonné, non pas tant arraché à la vie qui s'éloigne que ramassé par le sort qui passait. Ses collages sont partout, autour du monde : plus loin, Mahmoud Darwich, les yeux cerclés de petites lunettes tournant le dos au Mur de la séparation, comme pour montrer que là n'est pas le véritable obstacle, fixant sereinement ceux qui regardent au-delà de lui, vers cette terre interdite et pourtant promise par sa poésie ; et là enfin, parmi tous les autres, cet homme, lourd d'une mort certaine, indifférent désormais, collé au mur comme on y colle un condamné, qu'un duo semble retirer de sa croix, ce mur justement, sali par la pluie, taché de suie : Saint-Genet consacré tantôt par Sartre comédien et martyr.
Bref, aller voir une exposition consacrée à Ernest Pignon Ernest (et celle de la Maison des Arts de Malakoff mérite une visite), c'est un peu comme courir les rues, courir un monde révélé à lui-même par la présence ajoutée de la peinture, du dessin. Comme s'il fallait cette présence de ce qui n'existe pas ou plus pour découvrir ce qui est encore ou adviendra à coup sûr.
Rien de morbide, donc, dans ces morts, de criard dans ces couleurs, de définitif dans ces tragédies. Partout, l'espoir parvient à s'insinuer. Le long même de ces cadavres sur lesquels l'âme, en les abandonnant, a laissé de sa noble langueur. Et, en voyant les photos que l'artiste migrateur en a tiré - ces merveilleux enfants de Soweto par exemple, mais aussi ces napolitaines assises au pied d'un corps comme si de rien n'était, ou cet homme qui téléphone d'une cabine tapissée de silhouettes - l'on ne peut se déprendre d'un sentiment de compassion auquel succède bientôt une forme d'espoir, de joie communicative qui naît de la perfection de la forme comme de la force du message.
Du coup, l'on ressort d'une heure passée avec ses personnages, rasséréné, fort du dialogue engagé, reconnaissant aussi à Ernest Pignon Ernest de nous avoir ainsi, humblement, rappelé à l'essentiel !
PS : Maison des Arts de Malakoff, en mars tous les jours à partir de midi (14h le WE) jusqu'à 18h.
Très belle critique écrite dans une écriture superbe ! Merci pour ce plaisir rare.
Rédigé par : Izoux | 12 mars 2014 à 00:00
Ernest PIGNON ERNEST expose aussi un travail superbe sur les prisons à la galerie LELONG, 13 rue de Téhéran 75008 PARIS, jusqu'au 28 Mars.
Rédigé par : Marc Lecarpentier | 03 mars 2014 à 17:21