La réorientation suggérée dans mon précédent papier invitant la gauche à retrouver la valeur de concepts comme la démocratie et la coopération se heurte cependant à plusieurs difficultés qu'il faut tenter de surmonter et qui toutes renvoient au débat qui s'est ouvert sur l'héritage de mai 68.
Ces concepts, dont j'ai essayé précédemment de démontrer la pertinence et l'actualité, font en effet directement écho à des thèses en construction pendant et à la suite des "Événements". Aussi risquent-ils de tomber sous le feu de la critique que ceux-ci suscitent aujourd'hui des deux côtés de l'échiquier politique. Réconciliés dans leur condamnation droite comme gauche y voient désormais la matrice pour l'une d'un désordre moral pour l'autre d'une débandade sociale trouvant chacune leur source dans la contestation des valeurs collectives, respectivement de la famille, de la nation, du travail comme de l'autorité, ou de la citoyenneté et des solidarités.
Tout le mal, à entendre ses contempteurs venant d'un mouvement hédoniste, faussement révolutionnaire, ayant ouvert la porte à la permissivité ou à la concurrence sauvage, il serait pour le moins curieux d'y chercher aussi le remède !
Plutôt que de vouloir démonter les critiques dont 68 fait l'objet, et qui sont pour certaines loin d'être infondées, ne pourrait-on suggérer de clore une bonne fois cette controverse dans laquelle la gauche a plus à perdre qu'à gagner ? Pour s'y résoudre, ne suffit-il pas d'admettre que 68 se prête en réalité à une pluralité d'interprétations liée à la diversité des courants qui l'ont alimenté ou en sont issus et doit échapper du coup à tout jugement univoque ?
Faire preuve d'une telle mesure nous autoriserait alors à nous ressaisir d'un des legs de cette période pour prendre en compte une demande que les décennies suivantes sont loin d'avoir épuisé : l'ambition de "démocratiser la démocratie" ! Comme j'ai cherché à le montrer la semaine dernière, une telle option nous permettrait de réconcilier pour une part le projet socialiste avec les aspirations à l'autonomie individuelles qui ne cessent de s'exprimer.
Admettons cependant que cet ajustement ne suffirait pas à lui seul à nous réarmer face à l'offensive d'une droite qui travaille à transformer en prétendue crise de civilisation imputable au relativisme culturel une crise économique liée aux excès de la chasse aux profits.
On peut penser que cette habile manipulation a été facilitée par l'impuissance de la gauche à traduire son discours sur les méfaits du libéralisme sauvage en actes, la privant ainsi de toute crédibilité et l'incitant à la surenchère sécuritaire, à la triangulation ou encore à la fuite en avant sur l'Europe ou les droits des minorités, donnant ainsi trois fois raison à son adversaire.
Une bonne partie de l'opinion est en effet désormais convaincue que l'immigration est due à l'Europe, la délinquance à la permissivité des familles et de l'école, le chômage à la dévalorisation du travail, la faiblesse des salaires au poids de l'impôt et à l'inefficacité administrative etc. Comment lutter là contre ?
En reprenant la question à sa source : la société, sauf à se dissoudre, ne peut être laissée à elle-même ! Soit l'on s'efforce de la réguler par la morale, et c'est ce que prétend la droite néo-conservatrice, avec les limites qu'on imagine. Soit l'on s'appuie sur la vitalité des Institutions, en les rendant de nouveau capables de transcender les intérêts privés autour du bien commun. En effet, pas plus les valeurs de démocratie (ou de participation) que de coopération ne sauraient y suffire.
La seule manière d'y parvenir est de redonner une dimension historique à la démarche politique, c'est à dire de l'inscrire dans un projet collectif, une vision de l'avenir, aujourd'hui récusée, qui se donne les moyens de sa réalisation. Ainsi est-il possible d'affirmer qu'il n'y aura pas de renaissance de la gauche sans une re-légitimation des outils collectifs d'intervention (le Plan etc.)... et individuels de réalisation de soi (formation tout au long de la vie etc.). La collectivité doit se redonner l'envie et les moyens de (plus ou moins) maîtriser son destin. C'est la perspective librement définie du but à atteindre en commun qui apportera à l'égoïsme ou à la revendication d'autonomie ses limites démocratiquement consenties. Et permettra de réconcilier l'aspiration à la liberté et la solidarité, remettant au goût du jour l'observation faite au lendemain de la guerre par Poliany selon laquelle, sous réserve des droits fondamentaux, le progrès de la démocratie ne peut être que le résultat d'un équilibre entre des contraintes supplémentaires et des droits nouveaux.
Ce projet, comme j'ai eu déjà eu l'occasion de l'évoquer ailleurs, la crise écologique nous en fournit l'opportunité, qui constitue une invitation à redéfinir nos objectifs qui ne peuvent plus se réduire à une croissance continue de la production et de la consommation. Si la société ne peut plus se laisser conduire par cette sorte de mouvement perpétuel que constituait l'appétit jamais rassasié de richesses matérielles, elle va devoir se donner d'autres buts. Il vaudrait mieux que ceux-ci prennent la forme d'un projet socialiste, fondé sur le débat, la coopération comme la redistribution, plutôt que d'un sursaut réactionnaire dont les ingrédients sont cependant en train d'être réunis par les droites européennes.
En somme, il appartient à la gauche de retrouver lucidité et volontarisme...
"Il vaudrait mieux que ceux-ci prennent la forme d'un projet socialiste, fondé sur le débat, la coopération comme la redistribution, plutôt que d'un sursaut réactionnaire dont les ingrédients sont cependant en train d'être réunis par les droites européennes."
Bien sûr. Mais l'Europe des traités, celle de la concurrence libre et non faussée, est incompatible avec un tel projet.
Parallèlement à la construction de celui-ci, il faut donc agir en vue de s’émanciper du cadre européen afin de retrouver des marges de manœuvre. Ceci implique de rejeter toute idée de gouvernement économique européen et de reconnaître qu’il faut désormais moins d’Europe, en tout cas dans le domaine économique. Mais ceci nécessiterait des révisions déchirantes auxquelles peu sont encore prêts aujourd’hui à gauche, et tout particulièrement au PS.
Rédigé par : chatel | 14 septembre 2015 à 17:10
Rouvrir le débat idéologique et lire tout cela c'est pour moi comme entendre un sermon du père Bourdaloue.
Je crois que la messe est dite , les gens simples se sont fait une opinion sur nos gouvernants et ils sont plus que fatigués des discours, seuls les actes comptent ils ont eu le temps de se forger une opinion , de voir leurs vrais amis et les autres qui n'ont aucune volonté de devenir lucide.
Terminons mes frères très brièvement par une citation du père Bourdaloue:
"Aimons la vérité qui nous reprend et défions nous de celle qui nous flatte"les politiques devraient en faire bon usage.
girard
Rédigé par : girard | 07 septembre 2015 à 20:53