Le débat sur ce que représente véritablement l'élection de J.Corbyn est bien mal engagé.
À travers les positions qui s'y expriment, se révèle au grand jour la fracture mortelle qui menace désormais la gauche et que certains s'évertuent à entretenir.
Il est en effet frappant d'observer que toutes les réactions renvoient à une lecture datée du phénomène que constitue la montée de Syriza ou de Podemos ou encore le succès du nouveau leader travailliste en rupture de ban avec le Blairisme.
L'analyser comme la sanction d'une dérive libérale ne serait pas plus juste que d'y voir le triomphe des thèses radicales. Cette grille de lectures renvoie aux enjeux des années 90 où le social-libéralisme semblait avoir le vent en poupe face à la résistance que lui opposait une vieille gauche dopée à la nostalgie des Trente Glorieuses.
L'adaptation au nouveau cours d'une économie mondialisée pouvait encore avoir un sens alors, et ceci d'autant plus que l'ouverture des frontières rendait obsolète tout projet fondé sur la seule défense des acquis sociaux. Le progrès de la construction européenne pouvait même laisser espérer l'émergence d'un État régulateur à l'échelle de l'UE. Mais tout cela relève désormais de l'illusion.
C'est qu'il s'est passé depuis un événement considérable qui nous oblige à déchausser nos anciennes lunettes : la crise de 2008, par sa soudaineté et la violence de ses effets, à porté un coup mortel à la social-démocratie. Celle-ci reposait sur la recherche d'un compromis qu'elle est désormais seule à souhaiter. Les forces économiques et financières à l'œuvre ont au contraire montré jusqu'où elles étaient prêtes à pousser leur avantage. Non seulement elles mirent en péril la stabilité de la communauté mondiale tout entière mais elles surent aussi faire payer aux États et aux contribuables la facture de leurs errements. Sans compter l'exigence relayée en Europe de réduire les budgets sociaux pour éponger les déficits qu'elles avaient provoqués. Si l'on veut bien se rappeler que ce processus se déroule sur fond d'inégalités croissantes au profit du 0,1% le plus riche, on ne peut qu'être confondu par l'aveuglement ou la naïveté de ceux qui prêchent toujours de "s'adapter"comme si le jeu n'était pas définitivement biaisé.
Se résoudre à le faire ne reviendrait-il pas à s'en remettre aux lois du modèle en place dont on sait désormais qu'il a partie liée avec la montée des injustices et qu'il constitue un facteur d'instabilité que la crise écologique souligne chaque jour.
C'est en cela que la gauche"moderne",qui veut voir dans les phénomènes grec, espagnol ou britannique une " gauchisation"se trompe. Il s'agit plutôt d'un sursaut venu des tréfonds de la gauche tout entière qui refuse l'abandon de ses valeurs fondamentales. Il ne s'agit donc pas plus d'un quitus donné aux plus radicaux. Seulement d'un refus d'aller plus loin sur le chemin de la démission et du renoncement !
Dramatiser ce sursaut en en faisant un outil d'une gauche contre une autre serait mortifère.
La tentation existe pourtant : pour les plus modérés de poursuivre leur fuite en avant pour échapper à la menace gauchiste qu'ils confondent avec l'instinct de survie qui anime de plus en plus de militants; pour les plus déterminés d'excommunier les " faibles", de stigmatiser les traîtres etc.
L'enjeu est tout autre : il est d'inviter les deux camps à prendre la conscience des réalités.
Ce qui suppose pour les premiers d'ouvrir les yeux sur l'impasse dans laquelle ils s'enferment, à refuser le combat. Pour les autres de comprendre la nécessité de renouveler leur projet pour le rendre opérationnel dans un monde nouveau.
"L'adaptation au nouveau cours d'une économie mondialisée pouvait encore avoir un sens alors, et ceci d'autant plus que l'ouverture des frontières rendait obsolète tout projet fondé sur la seule défense des acquis sociaux. Le progrès de la construction européenne pouvait même laisser espérer l'émergence d'un État régulateur à l'échelle de l'UE. Mais tout cela relève désormais de l'illusion.
C'est qu'il s'est passé depuis un événement considérable qui nous oblige à déchausser nos anciennes lunettes : la crise de 2008."
Il est difficile de partager totalement cette analyse. Les suites de la crise de 2008 ont sans doute ouvert les yeux de ceux qui n’avaient pas encore compris quelle était la nature du projet européen, notamment depuis la création de l’euro.
Mais les conséquences de l’ouverture des frontières, que ce soit la mise en concurrence des travailleurs ou la nécessité d’ouvrir le capital des entreprises nationalisées, étaient largement prévisibles.
Par ailleurs, l’espoir de l’émergence d’un Etat régulateur a toujours été un espoir chimérique, la construction européenne reposant depuis l’origine sur un projet d’inspiration libérale.
La désaffection de l’électorat envers la gauche trouve son origine dans l’incapacité de celle-ci à reconnaître ses erreurs, erreurs qui l’ont conduite à jouer un rôle moteur dans la construction de l’Europe libérale et à se faire le chantre de la mondialisation heureuse.
Rédigé par : chatel | 17 septembre 2015 à 22:51