S'est enclenché dans l'opinion depuis une vingtaine d'années l'un de ces puissants glissements de terrain qui précèdent le tsunami. La classe dirigeante, celle qui peuple les grands ministères, la direction des partis, le sommet des médias et les milieux d'affaires refuse pourtant d'en reconnaître, dans les nombreuses secousses qui l'ont visée ces dernières années, les signes annonciateurs. Le dernier remaniement en fait foi !
Du rejet du traité constitutionnel européen en passant par les manifestations anti-CPE jusqu'à la sécession des banlieues, du choc du 21 avril 2002 aux dernières régionales, tout laisse penser que se prépare, sur fond de chômage de masse, un raz-de-marée qui pourrait submerger toutes les équipes en place, de quelque obédience qu'elles se réclament. Ce n'est en effet pas l'indifférence qui prédomine parmi nos concitoyens et ce n'est pas la politique qu'ils rejettent mais l'incapacité de ceux qui la font à mener celle qu'ils appellent de leurs vœux. Le ras-le-bol est palpable sur les marchés, dans les entreprises et les bureaux, partout se laissent deviner un malaise et une amertume qui ne pourront plus se contenir très longtemps.
Son irruption est d'autant plus imminente que rien dans l'attitude de ceux qui exercent ou revendiquent le pouvoir ne laisse penser qu'ils auraient perçu la menace. Le président de la République déclare le pays en guerre pour s'en aller jouer au meccano gouvernemental, semblant ne plus juger utile d'informer la nation. Le Premier ministre poursuit sa stratégie de rupture au risque de tendre jusqu'à l'extrême ses rapports avec son camp. Apparatchiks et amis du chef se disputent les places comme au bon vieux temps. L'opposition n'a plus qu'une chose en tête, l'ordre du tiercé des primaires et en oublie jusqu'à la notion d'intérêt général. Le Front national, enfin, cède à toutes les démagogies sans comprendre que les forces sur lesquelles il s'efforce de surfer risquent, comme en décembre, de lui échapper. De tous, il est certes le mieux placé pour tenter de profiter du chambardement qui s'annonce. Mais le déficit d'envergure de ses chefs ne lui en donne pas la garantie. Il n'est pas sûr en effet que ce soit par le canal des élections que passe l'onde de choc.
On peut certes penser - en particulier si PS et ex-UMP devaient s'obstiner à soutenir leur (pour l'un l'actuel, pour l'autre ancien) président - que la présidentielle pourrait offrir une formidable opportunité pour une candidature "hors norme" dont l'émergence provoquerait un complet renouvellement du système.
Mais on peut craindre aussi que le peu d'appétence qu'exerce désormais la politique sur les talents de tout ordre oblige nos compatriotes à chercher un autre vecteur, social celui-là, aux formes variées, du poujadisme aux grandes manifestations de rue. Dans tous les cas, il est plus que probable que les Français reprendront à leur compte le slogan déchu de Hollande et fasse du "changement c'est maintenant" leur mantra, le retournant en boomerang à l'envoyeur.
D'autant que cette tentation n'est pas propre à la France. Le succès, en Europe, des partis dits populistes, de droite comme de gauche et aux Etats-Unis des candidats antisystème que sont Trump et Sanders, nous montre clairement que partout les peuples n'en peuvent plus de l'insécurité dans laquelle les a plongés la crise du néolibéralisme. Non seulement les effets de la crise de 2008 ne sont pas encore soldés, mais le nouveau paradigme de l'économie mondiale (la hausse des rendements financiers) fait peser en permanence sur tous un risque de dérapage mortel, comme en témoigne la résurgence des risques de krach boursier lié à la surabondance de liquidités.
A tout prendre, il serait préférable que les élections offrent à cette colère une issue "gérable".
Mais encore faudrait-il s'y préparer. Ce qui supposerait qu'un nombre conséquent de responsables franchissent le pas et rompent là avec leur parti, pour lancer en direction du pays une démarche nouvelle, sans tabou et surtout sans démagogie, pour s'adresser aux citoyens avec respect, en leur disant la vérité et en choisissant pour réponse à leurs problèmes celles que dicte l'audace....
Le changement qui vient pourrait aussi concerner les institutions.
Est-il souhaitable que le PR gouverne lui-même alors qu'il n'est responsable devant personne ? Est-il normal qu'il puisse décider quasiment tout seul de mener une nouvelle politique économique, totalement contraire à ses engagements de campagne, et se contenter d’annoncer celle-ci aux Français, en leur présentant ses vœux à la télévision ?
Il y a là une dérive présidentielle du régime à laquelle ont succombé tous les présidents de la Vème République, de droite comme de gauche.
Ne serait-il pas temps d'y mettre un terme et de moderniser nos institutions en les réformant de façon à les rendre plus démocratiques ?
Rédigé par : chatel | 19 mars 2016 à 18:16
« La présidentielle pourrait offrir une formidable opportunité pour une candidature "hors norme" dont l'émergence provoquerait un complet renouvellement du système »
L'intérêt de l'élection d'une personnalité hors norme et hors parti pourrait être également de rompre avec un mode de fonctionnement bien peu démocratique des institutions de la Vème République, lesquelles permettent qu'un PR ait la possibilité de décider quasiment tout seul de mener une nouvelle politique économique, totalement contraire à ses engagements de campagne, et qu’il puisse se contenter d’annoncer celle-ci aux Français en leur présentant ses vœux à la télévision.
Rédigé par : chatel | 09 mars 2016 à 22:12